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Notre regard

Le Courrier | Police et migrants, voisins à l’aéroport

Policiers, douaniers, requérants d’asile et déboutés seront installés dans deux bâtiments au bord du tarmac dès 2022. A peine dévoilé, le projet architectural fait grincer quelques dents.

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Philémon et Baucis. Dans la mythologie grecque, le couple de vieillards fut le seul à ouvrir sa porte à Zeus et à Hermès qui, déguisés en vagabonds, testaient l’hospitalité de leur peuple. C’est aussi le nom choisi par les architectes zurichois Berrel Berrel Kräutler, lauréats du concours de projets pour les deux bâtisses qui abriteront la police internationale et des migrants en bordure de l’aéroport.

«Ces futurs bâtiments participeront à ce paysage sublime et contrasté, premier visage de la Genève internationale et humanitaire», présente l’architecte cantonal, Francesco Della Casa, en préface des résultats du concours. «Mon premier souci est l’image que l’on donnera à ceux qui viendront demander l’asile en Suisse, précise-t-il. Mon chef de département a lui-même été bénéficiaire de l’asile en Suisse (Antonio Hodgers, réfugié en Suisse pour fuir la dictature argentine, ndlr) et parle souvent de la chance que cela a été pour lui.»

Le vocabulaire employé pour décrire le projet fait réagir les milieux pro-asile. «On nage en plein cynisme, réagit Léonard Micheli-Jeannet, coprésident d’elisa-asile. Si les qualités architecturales sont certainement indéniables, nous regrettons que Genève devienne un hub d’expulsion.» L’association ne pense pas avoir la qualité pour recourir, mais «s’assurera que les autorités mettront autant de soin à garantir le respect des droits fondamentaux des personnes assignées à ses bâtiments qu’ils en ont mis à communiquer au sujet du projet».

Missions distinctes

Architecturalement, cette «carte postale humanitaire» se traduit par deux bâtiments, un grand rectangle et un petit carré; voisins mais chargés de missions distinctes. «Il n’existe aucune synergie entre les deux, il fallait donc une architecture qui les rende étanches l’un à l’autre», précise l’architecte cantonal. Le rectangle hébergera la police internationale, un centre de coopération douanière ainsi qu’un centre de détention administrative d’une cinquantaine de places pour les requérants déboutés et devant être expulsés dans un délai de vingt-quatre heures. «Le centre de détention sera situé directement sous l’esplanade pour une question de gestion des déplacements. La lumière y pénétrera par un dispositif de cour anglaise, précise Francesco Della Casa. Le niveau inférieur est directement relié au parking et au tarmac, ce qui évite d’entrer en conflit avec le flux des passagers ordinaires.»

La Confédération est le maître d’ouvrage du bâtiment carré où elle installera le premier centre fédéral d’attente et de départ (CFA) pour les requérants d’asile de Suisse romande. Le lieu pourra loger jusqu’à 250 requérants d’asile venant d’arriver en Suisse, cent quarante jours au maximum, le temps de traitement de leur demande.

Plus de sécurité, moins d’accueil

Le centre fédéral est déjà décrié pour ses aspects sécuritaires, voire carcéraux. Maria Drifi, cheffe de projet au Secrétariat d’Etat aux migrations, précise donc cet aspect: «Comme dans tous les autres CFA, une loge de sécurité assure les contrôles des entrées et sorties. Ces centres ne sont pas ouverts au public pour la protection et le respect des requérants d’asile. Pour des raisons de sécurité, il est important de savoir qui se trouve dans le centre car, en cas d’incendie par exemple, cela permet une intervention efficace.» Le cahier des charges du concours précise qu’avant de pénétrer dans le CFA, les requérants doivent remettre leurs documents d’identité, téléphones, appareils électroniques, boissons alcoolisées et objets dangereux ainsi que tout objet dont la valeur serait supérieure à 1000 francs, contre un récépissé.

Le collectif Sans Retour combat ce centre fédéral. «Un centre fermé par une grille, c’est une prison, résume – anonymement – l’un de ses membres. Les autorités considèrent l’asile comme un problème qui passe par l’emprisonnement et non plus par l’accueil. Après avoir hébergé les requérants d’asile dans des foyers ou des appartements, on les a mis sous terre dans des abris PC (lire ci-dessous) et désormais on les met dans des centres fermés. C’est très, très grave et cela fait bien longtemps qu’on n’avait pas vu cela en Suisse.»

Aldo Brina, du service réfugiés du Centre social protestant, attend l’ouverture du centre fédéral pour s’exprimer sur ce point. «Nous resterons attentifs aux conditions de vie et à la liberté de mouvement dans ce centre», précise-t-il. A ce stade, le spécialiste de l’asile déplore la proximité entre les demandeurs d’asile, la piste de l’aéroport, l’infrastructure policière et le centre de détention administrative.

«Mis à part les nuisances sonores et la pollution, la menace du renvoi sera omniprésente. Il y a donc fort à parier que beaucoup de requérants d’asile préfèreront disparaître dans la nature genevoise plutôt qu’attendre d’être expulsés.»

Au centre fédéral «test» de Zurich, les disparitions ont explosé: seulement 5% des requérants d’asile déboutés demandent l’aide d’urgence, contre 52% dans le système ordinaire. «Est-ce cela la grande victoire de la révision de la loi sur l’asile?» questionne Aldo Brina.

Espaces verts et ségrégation

Le projet s’implantera sur la parcelle dite de Bois-Brulé où se trouve le foyer pour migrants des Tilleuls (158 places) qui sera détruit. Le Grand Conseil a validé le crédit d’investissement et la modification de la zone (notre édition du 6 mars 2017). Ces choix faits, le jury du concours d’architecture a choisi de primer «la bonne intégration des volumes au site, une circulation des véhicules et des piétons clairement organisée et l’aménagement d’espaces extérieurs de type jardin», explique Henri Roth, secrétaire général adjoint au Département des finances, vers qui nous renvoient les architectes lauréats. Le maintien des espaces verts, que le cahier des charges prévoyait de défricher, a pesé dans le choix.

«Les architectes ont réussi à donner une image économe mais pas une construction régulière. Cela procure une image qu’on souhaiterait moins sévère», observe Dan Troyon, architecte EPFL et auteur d’un travail sur le logement pour requérants en milieu urbain. Pour lui, loger des migrants dans des habitats ou sur des sites où un citoyen lambda ne vivrait pas «est une ségrégation en soi et crée une sorte de méfiance». Dan Troyon préconise une architecture permettant des entrées et sorties les plus fluides possibles pour «que des gens qui fuient la guerre ou une persécution n’aient pas l’impression d’arriver en prison».


Fin des abris PC pour les migrants

L’Hospice général a annoncé la fermeture en janvier de l’abri de protection civile (PC) des Coudrier. Il faisait partie des neufs abris ouverts en 2015 et utilisés pour loger provisoirement des migrants. Le collectif Sans Retour dénonce une récupération politique.

L’hospice explique la fermeture des abris par la diminution du nombre d’arrivées de migrants en 2017, l’ouverture de nouveaux centres d’hébergement et la recherche de logements. Des explications qui ne convainquent pas les associations.

«Nous regrettons le temps qu’a pris l’Hospice général pour prendre cette décision. Une baisse des arrivées était déjà visible en 2016, selon les statistiques de la Confédération. Nous dénonçons aussi le décalage manifeste entre les discours tenus par les autorités politique et l’Hospice et leurs actions. Tous s’accordaient pour dire que les conditions d’accueil n’étaient pas correctes, voire inhumaines. Et pourtant, il a fallu attendre trois ans pour que le dernier bunker ferme. Finalement, l’Hospice récupère à son compte certains projets, alors qu’ils ont été les fruits de la mobilisation des résidents et des associations», s’insurge Thomas1, membre du collectif Sans Retour.

Le communiqué de l’institution sociale explique que les nouveaux centres d’hébergement prochainement construits «ont pour points communs d’être provisoires, prévus pour une dizaine d’années en moyenne, modulables et réutilisables». Bernard Manguin, responsable de la communication de l’Hospice, justifie cette démarche: «Construire des structures définitives est impossible dans un aussi court terme étant donné la rareté des terrains disponibles. Cependant, le Conseil d’Etat et l’Hospice cherchent des solutions pérennes afin de loger décemment les migrants, par exemple par la reconstruction du foyer de Saconnex. Certains projets sont modulables et démontables afin de pouvoir les réinstaller à moindre coût.» Un argument pourtant rejeté par la Cour des comptes lors de son audit en juin 2017 (notre édition du 23 juin 2017). «Cette approche induit des coûts de démantèlement, de transport et de remontage. Une utilisation de ces investissements sur vingt ans au même endroit permettrait d’éviter à la fois ces frais ainsi que le relogement des personnes concernées», avait-elle écrit.

Pour le militant de Sans Retour, cette démarche n’a pas de sens. «On ne crée pas une politique d’asile avec des villages de containers», dénonce-t-il. FANNY SCUDERI