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OSAR | La face cachée des statistiques de l’asile

Les statistiques du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) du 1e trimestre 2018 continuent d’afficher une baisse des demandes d’asile. Que faut-il comprendre de ces nouvelles données? Une réduction des conflits dans le monde? Une politique d’asile suisse suffisamment restrictive pour dissuader des personnes de déposer des demandes d’asile? Karin Mathys  rédactrice au sein de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) propose une lecture différenciée de ces chiffres qui permet de mettre en lumière un taux de besoin de protection élevé dont la demande ne diminue qu’à la mesure des restrictions des voies d’accès vers l’Europe.

L’article de Karin Mathys a été publié sur le site de l’OSAR, dans la rubrique Des faits plutôt que des mythes: « Ce qui se cache derrière les statistiques en matière d’asile des autorités suisses » publié le 17.05.2018

A relire également, les articles de Sophie Malka parus dans la revue Vivre Ensemble VE 167 | Avril 2018: Baisse des demandes d’asile. Pas de quoi se réjouir  et Dublin et le besoin de protection

Ce qui se cache derrière les statistiques en matière d’asile des autorités suisses

Des faits plutôt que des mythes N°126/ 17 mai 2018

Les statistiques actuelles du domaine de l’asile montrent un recul des demandes d’asile de 14% par rapport à l’année dernière. Cela ne signifie pas que le nombre de personnes ayant besoin de la protection de la Suisse recule également. L’édition d’aujourd’hui de «Des faits plutôt que des mythes» explique pourquoi il faut voir ces données avec un regard critique.

Les statistiques en matière d’asile du premier trimestre 2018, établies par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) il y a un mois, rendent compte d’une baisse des demandes d’asile de 14% par rapport à l’année passée. Les chiffres présentés laissent supposer que peu de personnes nécessitent un besoin de protection de la Suisse. Cet article vise à apporter quelques clés de lecture afin d’appréhender de manière critique ces données.

Au premier trimestre 2018, 4’051 demandes d’asile ont été déposées en Suisse contre 4’737 à la même période l’année passée. Sur les 6’623 demandes d’asile réglées en première instance, le taux de reconnaissance (octroi de l’asile) s’est élevé à 24.9%, ce qui correspond au nombre d’octroi de l’asile par rapport au nombre total de cas réglés (sans les radiations[1]). Pour le premier trimestre 2018, le taux de protection (octroi de l’asile et admission provisoire) du SEM s’est élevé à 56.9%.

Dans ses deux calculs, le SEM inclut les décisions de non entrée en matière (NEM) dans le total des cas réglés et les comptabilise ainsi comme décisions négatives dans ses statistiques. Prenons l’exemple de «Michael», un requérant d’asile érythréen, qui a été enregistré en Italie et qui a ensuite déposé une demande d’asile en Suisse pour rejoindre sa famille. Suite à une audition sommaire, sans examen des motifs d’asile sur le fond, les autorités suisses prennent une décision NEM sur la base des accords de Dublin. L’Italie représente ainsi l’État responsable du traitement de la demande d’asile du jeune homme; le statut de réfugié ou une protection subsidiaire (décision positive) lui sera potentiellement délivré par la suite. Le SEM n’a ainsi donc pas examiné sur le fond le besoin de protection de Michael tout en comptabilisant sa décision comme décision négative. Son cas ne fait pas figure d’exception: de janvier à mars 2018, ce sont 1’273 personnes qui ont reçu une décision NEM Dublin.

Dès lors, il est logique de s’appuyer sur une autre méthodologie. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), l’agence européenne des statistiques Eurostat, Vivre Ensemble et l’OSAR écartent du calcul des cas réglés les décisions NEM et considèrent les admissions provisoires comme des décisions positives. Cette méthode de calcul permet d’apprécier le phénomène à sa juste valeur. Ainsi, si pour le SEM, le taux de protection général s’est élevé à 56.9% (voir tableau 7.20) durant le premier trimestre 2018, il correspond à 73.1% selon ces méthodes de calcul. Par ailleurs, le taux de protection est supérieur à 75% pour les ressortissant-e-s d’Érythrée (78.8%), de Syrie (94.9%) et d’Afghanistan (94.8%).

La baisse des demandes d’asile, synonyme d’une politique d’externalisation

La baisse des demandes d’asile ne s’observe pas seulement en Suisse. Au premier trimestre 2018, 6’295 personnes ont débarqué en Italie, contre 24’292 au premier trimestre 2017. Ce phénomène résulte principalement d’une politique d’externalisation et de fermeture de l’Europe, à laquelle la Suisse contribue en partie, notamment en collaborant aux frontières de l’Union européenne avec l’Agence européenne Frontex.

Les personnes en quête de protection sont les premières victimes à subir les dangers inhérents à ces politiques. Selon un rapport du HCR sur les mouvements de réfugiés en Europe, la traversée vers l’Italie s’est révélée plus dangereuse et le taux de mortalité depuis la Libye a grimpé à 1 personne sur 14 au cours du premier trimestre 2018, alors qu’il était de 1 sur 29 au cours de la même période en 2017.

Il n’existe en effet que très peu de voies d’accès légales pour venir en Europe en toute sécurité. La participation de la Suisse au programme de relocalisation de l’Europe étant arrivée à son terme au mois de mars, il est d’autant plus pressant d’augmenter le contingent de réfugiés vers la Suisse et d’assurer des voies d’exil sûres et légales pour les personnes en quête de protection.

[1] Par exemple, lorsque la personne requérante a été déclarée disparu, a retiré sa demande, ou encore est décédée. La demande a été classée par le SEM sans qu’une décision matérielle soit rendue.

Par Karin Mathys, rédactrice au sein de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR

Des faits plutôt que des mythes N° 126 / 17 mai 2018