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Notre regard

Parcours |  Ils vivaient à la rue en Italie, cette réfugiée et son fils pourront rester en Suisse

Après avoir obtenu le statut de réfugiée en Italie, «Feven» s’est rapidement retrouvée à la rue. Enceinte, elle choisit de venir en Suisse en quête de meilleures conditions de vie pour elle et son enfant. Réfugiée reconnue en Italie, cette jeune mère est, à deux reprises, renvoyée vers ce pays et s’y retrouve à la rue avec son fils en bas âge. Plusieurs procédures juridiques plus tard, «Feven» et «Sebhat» reçoivent finalement une autorisation de séjour en décembre 2017.

État tiers sûr

Lorsqu’une personne obtient un statut dans un Etat membre de l’Union européenne, ce n’est pas la procédure Dublin qui s’enclenche. Mais une procédure de réadmission vers un «État tiers sûr », avec prononcé d’une décision de non-entrée en matière. Or, dans certains pays, comme l’Italie, la Grèce ou la Hongrie, les conditions d’accueil des réfugié-e-s reconnus ou bénéficiaires d’une protection subsidiaire ne riment ni avec sécurité ni avec dignité. Les rapports de l’OSAR sur la situation en Italie en attestent. Ils viennent d’être cités par le tribunal administratif de Rennes, qui a annulé le renvoi en Italie d’un demandeur d’asile soudanais au motif de «défaillances systémiques» de la procédure d’asile dans la péninsule.
Etat tiers sûr ?  Reste à savoir ce que « sûr » signifie. Ci-dessous un cas individuel publié par l’ODAE romand, où une mobilisation citoyenne a permis à une femme et son enfant de rester en Suisse.

« Feven », ressortissante érythréenne, fuit son pays à l’âge de 18 ans afin d’éviter d’être enrôlée de force dans le service national. En 2006, elle demande l’asile en Italie et y obtient le statut de réfugiée. Cette reconnaissance, loin d’être le signe d’un nouveau départ, représente le début d’un long combat pour obtenir des conditions de vie en cohérence avec ce statut.

Image: Rasande Tyskar

En effet, l’Italie, pays au front de l’accueil des migrants, peine à dispenser du soutien aux requérant-e-s d’asile et réfugié-e-s reconnus. Ces personnes doivent donc se débrouiller seules, comme l’explique le rapport de l’OSAR sur les conditions d’accueil en Italie. Livrée à elle-même, « Feven » se retrouve rapidement à la rue, contrainte de loger dans des squats. Fin 2008, la jeune femme est enceinte. Abandonnée par le père de l’enfant, elle décide de venir en Suisse en quête de meilleures conditions de vie pour elle et son fils.

La jeune femme y demande l’asile en mars 2009 et est attribuée au canton du Jura, où elle donne naissance à son fils « Sebhat » en juin. Un mois après cet heureux événement, « Feven » reçoit une décision de non-entrée en matière du SEM qui prononce son renvoi vers l’Italie en vertu du statut de réfugiée accordé par cet État. Le renvoi a lieu en novembre alors que « Sebhat » n’est âgé que de 4 mois. À nouveau, la jeune mère se retrouve dans une situation de grande précarité en Italie, avec son bébé, sans aucune prise en charge pouvant soutenir son intégration.

« Feven » décide alors de chercher protection en Norvège et y dépose une demande d’asile en décembre 2009. Là encore, sa demande est rejetée en raison du statut accordé par l’Italie. Elle est donc, à nouveau, transférée vers ce pays avec son fils en février 2011. Afin d’éviter un nouvel hiver dans les rues italiennes, « Feven » revient en Suisse et demande une nouvelle fois l’asile en novembre 2011. Le SEM décide, en octobre 2012, de ne pas entrer en matière sur cette deuxième requête. Suite à une demande de reconsidération au SEM et un recours au TAF, tous deux infructueux, le cas de « Feven » et « Sebhat » est porté devant la CourEDH par leur mandataire qui invoque principalement une violation de l’art.3 CEDH (Convention européenne des droits de l’homme) en cas de renvoi vers l’Italie. L’introduction de cette requête suspend le renvoi de la famille prononcé par le SEM.

En octobre 2016, une demande de second asile (art.50 LAsi), subsidiairement de reconsidération de la dernière demande, est adressée aux autorités suisses. Des rapports médicaux attestent que « Feven » souffre de dépression et d’un syndrome de stress post-traumatique. Le SEM rejette la première requête et déclare la seconde irrecevable, « Feven » n’ayant pu s’acquitter de l’avance de frais de procédure de 600 francs. En mai 2017, la requête introduite à la CourEDH est jugée manifestement mal-fondée et déclarée irrecevable, la Cour considérant que le renvoi vers l’Italie ne violerait pas l’art 3 CEDH.

Suite à cette décision, le SEM lève la suspension du renvoi de la famille. Une nouvelle demande de reconsidération est déposée en juillet 2017 afin d’éviter l’expulsion de cette jeune mère et son fils qui se sont intégrés socialement en Suisse après y avoir séjourné six ans. L’intérêt supérieur de l’enfant (art.3 CDE– Convention relative aux droits de l’enfant) est invoqué par le mandataire étant donné le parcours difficile de « Sebhat » et le déracinement que pourrait représenter pour lui un départ de Suisse. Cependant, cette procédure se solde par des refus, respectivement du SEM et du TAF. Celui-ci, statuant à juge unique, va jusqu’à qualifier le dernier recours d’« abusif », nonobstant l’intérêt supérieur de l’enfant.

En parallèle, « Feven » et « Sebhat » reçoivent le soutien public d’une association du Jura. Cette organisation lance une pétition qui recueille plus de 5000 signatures et qui demande aux autorités jurassiennes de renoncer au renvoi de cette famille vers un avenir incertain en Italie. Finalement, « Feven » et « Sebhat » se voient délivrer, en décembre 2017, une autorisation de séjour leur permettant enfin d’envisager l’avenir plus sereinement en bénéficiant de conditions de vie en accord avec la protection prévue par leur statut de réfugiés.

ODAE Romand

Questions soulevées

Si cette situation a connu, après une forte mobilisation populaire, un dénouement positif, il soulève de vraies questions quant à l’application de la Loi sur l’asile par la Suisse.

  • Plusieurs organisations ont observé des conditions d’accueil contraires à la dignité humaine en Italie (voir notamment le rapport de l’OSAR). « Feven » en a fait l’expérience à trois reprises, se retrouvant contrainte de dormir dans la rue avec son bébé. Que faudrait-il de plus pour qu’un renvoi vers cette même situation soit considérée comme contraires aux engagements internationaux ( 3 CEDH)?
  • Depuis sa naissance, « Sebhat » a été transféré d’un pays à l’autre, alternant les séjours dans la rue et l’incertitude des renvois vers un pays qui ne lui permet pas de vivre dans des conditions dignes en matière de sécurité, de minimum vital et de scolarité, indispensables au développement de l’enfant. Alors que « Sebhat » a été scolarisé en Suisse et qu’un renvoi constituerait un réel déracinement, l’intérêt supérieur de l’enfant (3 CDE) ne devrait-il pas primer sur le besoin d’appliquer un règlement strict ?

Nouveau site web de l’ODAE romand

L’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE Romand) a un nouveau site web. L’objectif de l’ODAE romand étant de montrer, à travers des cas concret, l’application de la loi sur l’asile et sur les étrangers, cette nouvelle interface renforce l’accès aux différents cas concrets publiés depuis 1997, à travers son moteur de recherche.

www.odae-romand.ch