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Notre regard

Procédure | Un visa, une (autre) vie

D’une détention sans fin en Thaïlande à l’asile en Suisse

Alors que Shehan* perd espoir de sortir un jour du centre de détention dans lequel il croupit, à Bangkok, en attendant une hypothétique réinstallation vers un pays sûr, une visiteuse de prison tente une ultime démarche auprès du secteur réfugié du Centre social protestant Genève. Celui-ci obtiendra pour le jeune homme un visa humanitaire, puis le statut de réfugié, en février 2018. Laurence Brune raconte, dans le reportage « Sous la plage les barreaux » ce parcours kafkaïen.

Shehan, 27 ans, est Sri-Lankais. Son histoire est écrite dans les lettres qu’il a échangées avec une volontaire qui lui a rendu visite chaque semaine pendant les deux ans qu’il passa au centre de détention à Suan Phlu.

Il y a dix ans, lors de la guerre civile au Sri Lanka, une bombe a explosé sur sa maison, tuant ses parents, ses sœurs, ses frères et ses petits neveux de moins d’un an. Seule sa grand-mère, morte aujourd’hui, a survécu. Il porte toujours sur lui une photo de toute la famille. Alors âgé de 16 ans, il est enrôlé de force dans l’armée rebelle indépendantiste des Tigres de l’Eelam Tamoul (LTTE). Il s’échappe, est torturé. La guerre se termine, mais sa vie est menacée. Il fuit en Thaïlande.

Shehan est un jeune homme engageant, sociable et qui parle bien anglais. Il avait commencé au Sri Lanka des études d’aide-soignant ; d’ailleurs, il s’occupe des 150 détenus de sa cellule. Beaucoup de volontaires le connaissent et se sont penchés sur son cas. Par deux fois, ses demandes de relocalisation en Suisse ont été rejetées. Mais un beau jour, il reçoit une lettre de l’ambassade des États-Unis, puis des visites de représentants de l’UNHCR. Son dossier a été accepté. Tout semble devoir aboutir très vite, Shehan est prêt à partir.

Mais quand le 20 janvier 2017 Donald Trump devient le 45e président des États-Unis, terroristes, criminels et réfugiés sont amalgamés. Tous les dossiers sont bloqués. Shehan a été enrôlé de force par les Tigres tamouls et malgré des balafres sur le torse qui témoignent de tortures subies, il est considéré par certains pays comme un terroriste potentiel, et ce malgré son statut de réfugié octroyé par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) après une enquête minutieuse.

Une volontaire suisse, qui souhaite rester anonyme, propose alors de lancer un ultime appel aux autorités de son pays. Les conditions de détention en Thaïlande sont reconnues comme particulièrement difficiles par les Nations Unies. Shehan est éduqué, il a un métier, et surtout est en train de sombrer inéluctablement dans la dépression, les insomnies. Il a perdu espoir.

La volontaire contacte une avocate à Genève qui travaille pour le Centre social protestant. Elle va s’occuper du cas de Shehan, faire appel pour l’obtention d’un visa humanitaire, pourtant impossible ou presque à obtenir. Des mois passent sans nouvelle. Le 16 août 2017 arrive enfin un email : l’avocate a gagné l’appel, Shehan a un visa humanitaire pour la Suisse.

La nouvelle semble à peine croyable. Mais le passeport de Shehan a été perdu par le Bureau de l’Immigration et l’ambassade de Suisse à Bangkok doit délivrer un laissez-passer. Des semaines passent. Une collecte de fonds pour financer son voyage Bangkok-Genève est lancée sur les réseaux sociaux. La date de départ est enfin fixée pour le 16 octobre, avant Diwali, la fête des lumières pour les hindous, qui célèbre la nouvelle année. Shehan, toujours incrédule, y voit cependant un signe de bon augure. Les volontaires lui préparent une valise avec des vêtements et des chaussures d’hiver. La famille de la volontaire suisse le réceptionnera avant qu’il soit envoyé dans un centre pour réfugiés.

Le jour « J » arrive. Il n’a pas vu la couleur du ciel depuis deux ans. Un petit groupe de volontaires l’attend à l’aéroport avec la valise, prêt à faire des photos. Le policier qui l’accompagne le presse. On l’habille sur place – pull, blouson – et il se présente au guichet. Mais il n’embarquera pas. En situation illégale sur le territoire thaïlandais, il a besoin d’une autorisation spéciale. La volontaire qui a pris le billet confirme au personnel de Swiss qu’elle a appelé la compagnie à maintes reprises, la veille encore, pour lui parler de ce cas particulier et que le feu vert lui a été donné. Rien à faire. Shehan, en état de choc, est reconduit au centre de détention en attendant d’obtenir le laissez-passer exigé par la compagnie.

Le vrai départ est finalement fixé au 20 octobre 2017. Shehan est enfin libre. Quelques jours après son arrivée en Suisse, il sera placé dans un centre d’enregistrement pour quelques semaines avant d’obtenir des papiers lui permettant de séjourner en Suisse le temps de sa procédure d’asile. Il voit la neige pour la première fois, la peur de l’inconnu se mêle à l’espoir d’une vie nouvelle.

En février 2018, Shehan obtient le statut de réfugié politique.

L’histoire de Shehan est l’histoire des réfugiés et dépasse les frontières de la Thaïlande où des centaines de milliers de personnes sont en situation illégale, sans passeport ou sans visa en règle. Parmi elles, des enfants et des adolescents mineurs livrés à eux-mêmes.

Image: Laurence Brune

Sur la gauche, à l’intérieur du centre de détention de l’Immigration à Suan Phlu, se trouve une charmante petite école peinte en bleu ; c’est le IDC Daycare Centre où se rendent tous les jours de la semaine les enfants incarcérés. Cette école, où l’apprentissage se fait en anglais, est soutenue par le gouvernement thaïlandais, mais aussi par l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), les États-Unis et la Suisse. (Voir la suite du reportage dans notre chronique Thaïlande)

Laurence Brune

*Prénom d’emprunt