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Documentation

Genève | Proposition de motion « Pas de Centre fédéral d’attente et de départ à Genève »

Une proposition de motion demande au Grand Conseil d’inviter le Conseil d’État à renoncer à la construction du Centre fédéral du Grand-Saconnex. Présentée par les député-e-s Delphine Klopfenstein Broggini, Frédérique Perler et Pierre Eckert, cette proposition de motion a été déposée et sera prochainement en ligne. Pour l’heure, elle a déjà été signée par de nombreux socialistes et membres d’Ensemble à gauche.

Proposition de motion
Pas de Centre fédéral d’attente et de départ à Genève !

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève considérant :

  • la volonté de la Confédération et du Conseil d’Etat genevois d’ouvrir le centre fédéral d’attente et de départ (CFA) pour les requérants d’asile de Suisse romande en 2022 au Grand-Saconnex ;
  • que le centre de départ sera entouré d’une clôture, que tout passage sera strictement contrôlé et que les requérant-e-s d’asile seront systématiquement fouillés à chaque entrée ;
  • que les CFA tels qu’envisagés par la Confédération tiendront malheureusement davantage de lieux de semi-détention que de lieux d’accueil;
  • qu’une telle criminalisation des personnes en situation d’exil est inacceptable et que les multiples restrictions prévues enfreignent leurs droits fondamentaux ;
  • que la proximité du CFA avec l’aéroport pose des questions de santé publique, vu la pollution de l’air et sonore extrêmement nocive occasionnée par les avions, sans parler de la stigmatisation qui consiste  à placer des requérant-e-s d’asile sur une parcelle qui n’accueillerait jamais un logement ordinaire pour ces raisons ;
  • qu’outre la proximité de l’aéroport, celle de la police internationale et d’un centre de détention administrative rendront omniprésente la menace du renvoi avec un impact psychologique certain et provoqueront des passages dans la clandestinité ;
  • que dans le centre fédéral en phase test à Zurich, comparable, les disparitions ont explosé ;
  • que la mise en place d’une politique d’asile dissuasive, poussant à l’irrégularisation des bénéficiaires, coûterait 40 millions de CHF au canton de Genève ;
  • que la population genevoise a d’ores et déjà compris les violations en termes de droits humains que comporte ce projet et qu’elle se mobilise pour empêcher sa construction ;
  • l’avis de droit publié par la Commission fédérale contre le racisme, qui dénonce des restrictions illégales à la liberté de mouvement ;
  • le rôle de la Genève internationale dans l’action humanitaire et le respect des droits humains ;

invite le Conseil d’Etat

A renoncer à la construction d’un centre fédéral d’attente et de départ CFA à Genève.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames et
Messieurs les député-e-s,

La Confédération prévoit d’ouvrir en 2022, en bordure du tarmac de Genève Cointrin, un centre fédéral d’attente et de départ (CFA) pour les requérants d’asile.[1] Le lieu devrait enfermer jusqu’à 250 requérant-e-s d’asile arrivés depuis peu en Suisse, pour une durée de 140 jours au maximum.

Le projet architectural dévoilé en début d’année révèle au grand jour la teneur choquante du projet. Le cahier des charges du concours architectural indique que le CFA sera entouré d’une clôture et que  tout passage sera strictement contrôlé. Selon le projet d’ordonnance, les requérant-e-s d’asile ne pourront pas sortir en dehors d’horaires prédéfinis (à priori 9h-17h). Comme le confirme une collaboratrice du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dans la presse, les centres fédéraux ne sont pas ouverts au public, sous prétexte d’assurer « la protection et le respect des requérants d’asile ».[2]  Les contacts avec la société civile seront donc limités, malgré la volonté contraire affichée par les projets d’ordonnance. Le cahier des charges précise par ailleurs que les requérant-e-s d’asile devront déposer papiers d’identité et tous leurs appareils électroniques. Ce régime de semi-détention et son lot de restrictions aux libertés individuelles, imposé à des personnes en procédure d’asile, est disproportionné et inacceptable. De plus, il n’est même pas certain qu’il se limite à 140 jours : il se peut qu’à chaque transfert dans un autre centre fédéral, le compteur reparte à zéro !

Il semble que tout est mis en œuvre pour user physiquement et psychiquement les personnes venues chercher refuge en Suisse. Le mot d’ordre semble être la dissuasion. Dissuader à demander l’asile en Suisse, alors que notre pays accueille peu de personnes en situation d’exil, en comparaison avec d’autres pays européens, à commencer par l’Italie et la Grèce. Et cette politique dissuasive portera très certainement ses fruits au CFA de Genève. Lors de la phase test au centre fédéral de Zurich, les disparitions ont explosé, passant de 9,9% en procédure standard à 32,4% en phase test. Il semble que la disparition, le passage à la clandestinité, « l’irrégularisation » d’une partie des personnes en situation d’exil soient inhérents aux nouveaux CFA.

En plus d’être inique, ce projet est onéreux. L’enveloppe budgétaire prévue pour le CFA est de 63 millions de CHF, dont 40 millions seront pris en charge par le canton et 23 millions assumés par la Confédération. Cet argent sera mieux investi dans l’amélioration de la prise en charge des requérant-e-s d’asile, plutôt que dans un projet favorisant la disparition des bénéficiaires.

La population a d’ores et déjà compris les violations en termes de droits humains que comporte ce projet et elle se mobilise. Des dizaines de personnes se sont réunies pour s’opposer à l’implantation du CFA le 23 mai dernier.[3] Nous sommes loin de réponse formulée par le Conseil d’Etat en juin 2014 à la QUE 219, notamment quand le Conseil d’Etat répond « les centres seront des lieux ouverts en terme de liberté de circulation » à la question «  Qu’est-ce qu’un « centre de départ » ? Quelles seront les conséquences pour les personnes qui y seront placées en termes de liberté de circuler et de scolarisation de leurs enfants ? ».

Ainsi, derrière l’accélération des procédures de la nouvelle politique d’asile suisse censée être mise en œuvre dès le 1er janvier 2019, se cache en réalité la volonté de contrôler, de mener les procédures à huis-clos, pour finalement renvoyer des personnes dont le seul délit est d’avoir fui les guerres ou la pauvreté. Le CFA est le symbole même d’une politique de non-hospitalité, symbole de l’injustice et de la violence du système d’asile suisse. Si l’on ne s’oppose pas aujourd’hui à ce projet, Genève deviendra la plaque tournante des expulsions en Suisse romande.

Confrontée à de multiples limitations à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile, la Commission fédérale contre le racisme (CFR), présidée par Martine Brunschwig Graf, a publié en février 2017 un avis de droit interrogeant la légalité de ces limitations. L’avis de droit constate que les couvre-feux imposés dans les centres de la Confédération, tel que celui prévu dans le CFA du Grand-Saconnex, violent de façon illégitime la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile car ils sont disproportionnés. Les experts en concluent qu’« au bout du compte, les règles adoptées dans [l’ordonnance fédérale] vont au-delà de ce qui est nécessaire au niveau personnel et temporel pour le bon fonctionnement de l’établissement et l’application de procédures d’asile effectives. Elles ne semblent donc ni nécessaires, ni acceptables.»[4]

Si Genève veut honorer sa tradition humanitaire et les organisations internationales qu’elle héberge, impliquées dans la défense des personnes vulnérables (UNHCR, UNICEF, etc.), elle doit barrer la route au CFA. Nous vous invitons donc, Mesdames et Messieurs les député-e-s, à soutenir le présent projet de motion.

[1] https://lecourrier.ch/2018/02/15/police-et-migrants-voisins-laeroport/

[2] https://lecourrier.ch/2018/02/15/police-et-migrants-voisins-laeroport/

[3] https://lecourrier.ch/2018/05/24/pas-de-prison-pour-migrants/

[4] https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-suisse/interieure/asile/divers/liberte-mouvement-requerants-asile