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Documentation

Sauvetage en mer | Un navire citoyen et résistant en Méditerranée

Mare Ionio veut protéger le droit à la vie bafoué par les Etats européens

Vivre Ensemble – Le 4 octobre 2018, le Mare Ionio, un nouveau bateau de sauvetage en mer Méditerranée a quitté son port en Sicile en direction des eaux internationales au large de la Libye. Cette embarcation humanitaire est le résultat d’un projet d’activistes de la gauche italienne qui ont organisé cette contre-attaque face à la politique anti-accueil de Salvini et à l’inaction des Etats européens au regard des drames qui se jouent en mer. Le but de cette nouvelle action : sauver des vies et témoigner de la situation en mer Méditerranée, où toujours plus de gens meurent, comme l’a montré Libération dans un article datant du 1er octobre 2018.

L’affirmation du droit d’un ensemble de sujets non étatiques à intervenir politiquement dans une zone où les «autorités compétentes» violent de manière flagrante le devoir de préserver la vie des gens en transit.

L’originalité du projet repose dans sa structure et son mode d’action. Ce n’est pas une nouvelle ONG qui se crée ici, mais une plateforme sociale nommée Operazione Mediterranea, et un réseau qui ne passe plus par les gouvernements, mais directement par les citoyens et les villes de Palerme, Bologne, Berlin et Amsterdam, qui ont accepté de soutenir cette action. Ainsi, l’initiative se veut ouvertement politique. Dans une lettre ouverte en soutien au Mare Ionio, intitulée « Nous avons un navire », le philosophe et activiste italien Sandro Mezzadra écrit à ce propos « Le défi ne peut être que radicalement politique. Il s’agit d’investir en particulier cela : l’affirmation pratique du droit d’un ensemble de sujets non étatiques à intervenir politiquement dans une zone où les «autorités compétentes» violent de manière flagrante le devoir de préserver la vie des gens en transit. »

La création de ce projet s’est faite durant l’été, suite à plusieurs épisodes où l’Italie a fermé ses ports à d’autres navires humanitaires, notamment l’Aquarius et le Diciotti. L’équipe qui soutient le projet est par ailleurs hétéroclite ; elle se compose de militants anarchistes, de politiques de gauche, mais également des membres de milieux catholiques.

Le bateau arbore le pavillon italien, qui a certes été compliqué à obtenir mais qui sera également difficile à retirer, le propriétaire et l’équipage étant de nationalité italienne. Le financement des opérations provient d’un prêt de la Banca Etica, un institut spécialisé dans les financements éthiques, de donations, et d’une campagne de financement participatif actuellement en ligne. D’un point de vue opérationnel, l’initiative est soutenue par deux ONG : Sea Watch et Open Arms.

Plus petit que l’Aquarius, le Mare Ionio peut accueillir 130 personnes à son bord. Son rôle sera avant tout d’assurer une présence en Méditerranée, et de témoigner de ce qui s’y passe. Dans sa lettre, Sandro Mezzadra écrit à ce sujet: « La criminalisation des opérations «humanitaires» a vidé la Méditerranée des présences gênantes, a repoussé les témoins et a réaffirmé l’anonymat de femmes et d’hommes en transit : à l’abri des regards indiscrets, la Garde côtière libyenne a pu renvoyer aux centres de détention, c’est-à-dire à la torture, à la violence et à l’esclavage, des centaines de personnes, tandis que d’autres ont fait naufrage. »

Rappelons que l’Aquarius a suspendu ses activités et ne peut quant à lui plus quitter le port de Marseille jusqu’à nouvel ordre, après que le Panama lui a retiré son pavillon. Une pétition destinée aux Etats européens a été lancée par SOS Méditerranée et MSF. Elle demande à ce que l’obligation de sauvetage en mer soit respectée, que l’Aquarius puisse repartir pour ces opérations de sauvetage, et que les Etats assument leurs responsabilités étatiques et créent un véritable modèle de sauvetage en Méditerranée. La pétition peut être signée en ligne ici.

Maëva Villard (Vivre Ensemble)

Extrait du texte « Nous avons un navire » de Sandro Mezzadra en soutien à Operazione Mediterranea, à consulter dans son intégralité en français sur le site de Mediapart.fr ici.

« Nous voudrions que notre navire fende la mer, comme la terre des mobilisations qui, sur la question migratoire, se sont déployées ces derniers mois, de Vintimille aux Pouilles, de Catane à Milan ; nous voudrions que le Mare-Ionio devienne une sorte de forum, que des milliers de femmes et d’hommes se l’approprient, qu’il soit présent sur les places et dans les rues, que de lui se propagent des récits d’une migration radicalement différente de celle incarnée par les menaces et les décrets de Salvini : nous voudrions que le navire soit un instrument pour proposer une Italie et une Europe autres.

Nous ne sous-évaluons pas la difficulté de cette période. Nous savons que nous agissons en tant que minorité, que nous devons affronter une hégémonie qui nous est hostile concernant la migration ; nous savons que ces derniers mois l’équation entre le migrant et l’ennemi (à laquelle même des forces politiques qui ne se définissent pas de droite ont donné une contribution essentielle) a été exacerbée, autorisant et promouvant la diffusion en Italie d’un racisme de plus en plus agressif. Mais nous savons aussi que cette hégémonie peut et doit être renversée, en assumant les risques et le hasard qui sont inévitables. L’opération qui a commencé ce 3 octobre, date chargée d’une valeur symbolique, est une contribution qui va dans ce sens. »

Pour de plus amples informations à ce sujet, voir notamment: