Aller au contenu
Notre regard

Témoignage | Quatre anciens mineurs non accompagnés se racontent

Ils s’appellent Tsega, Aya, Olga et Jalil*. Arrivés il y a plus ou moins longtemps à Genève de divers pays, ils ont construit leur route, chacun avec ses particularités et ses similitudes. Quatre enfants, aujourd’hui majeurs, qui ont connu l’exil, la séparation, la solitude et qui ont lutté, appris, surmonté un grand nombre d’obstacles. Leurs récits de vie, qui ont été au cœur de notre travail de recherche témoignent de cette incroyable résistance à l’adversité.

Trouver sa place dans le monde

Tsega* est arrivée d’Érythrée en 1999 à l’âge de 12 ans. «Je ne savais même pas où était la Suisse, je croyais que la terre était plate…». Après un an en foyer, elle est prise en charge par une famille d’accueil. Cette famille deviendra sa « famille de cœur» avec qui elle créera des liens tendres, affectueux, familiaux. Malgré ce soutien, elle n’est qu’à moitié rassurée et sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même : « J’étais pas dans ma famille, je devais être autonome ». Studieuse et appliquée, Tsega devient infirmière, et se naturalise. Aujourd’hui en couple avec un jeune homme qui a eu un parcours très semblable au sien, elle pense au mariage et à fonder une famille. Mais elle est pleine de doutes, et l’absence de sa famille biologique, lui pèse. Elle aurait besoin de leur accord mais n’a jamais réussi à se remettre en contact avec elle : « Dans la culture érythréenne ou éthiopienne on se marie entre nous. Si je devais retrouver mes parents naturels mais que je me suis mariée à un blanc d’ici, ils m’en voudraient à mort. Si je me marie à quelqu’un qui vient de mon pays, il pourrait ne pas leur convenir non plus. Et s’il leur convenait, c’est peut-être à moi qu’il ne conviendrait pas… ».

Aya* arrive d’Afrique centrale en 1996, alors âgée de 6 ans. Elle se souvient peu de cette période. Elle passe une année dans un foyer avant d’être recueillie par un oncle qu’elle ne connaît pas. Bien qu’elle ne manque de rien au niveau matériel, elle se sent peu rassurée dans cette famille qui la menace sans cesse de la renvoyer en Afrique à la moindre faute : « Ils étaient très stricts, très sévères et me rappelaient à chaque fois que je n’étais pas d’ici.» De ce fait, elle bataille constamment pour être bonne élève, disciplinée, par crainte de ne pas voir son permis renouvelé. Elle en vient même à douter de son appartenance à cette famille tant elle se sent mal aimée. A ses 18 ans, elle est mise à la porte, son oncle ne percevant plus d’argent pour s’occuper d’elle. Aya prend donc son autonomie de manière forcée, alors qu’elle n’a pas achevé ses études. Malgré ces difficultés, Aya s’en sort, obtient sa naturalisation et tout juste diplômée, elle finit par trouver un emploi et un peu plus de sérénité.

Originaire de Russie, Olga* est âgée de 14 ans lorsqu’elle débarque en 2010 accompagnée de sa petite sœur. Elles évolueront dans des foyers différents jusqu’à leur majorité. Un peu perdue, Olga se réfugie dans ses rêves, mais la vie au foyer lui impose de créer des liens rapidement avec ses camarades et éducateurs et éducatrices : « C’était vraiment une échappatoire à la solitude de me créer un nouveau monde ». Malgré des résultats scolaires inégaux et un peu de retard, Olga s’accroche et termine sa scolarité brillamment. La vie en foyer lui apprend une certaine autonomie, et les accompagnants la soutiennent dans les différentes épreuves jusqu’à ce qu’elle s’installe dans une résidence pour étudiants. Aujourd’hui à l’Université, et avec depuis peu un permis B, elle s’épanouit dans sa vie de jeune adulte. Elle garde son passé secret, et ne s’attarde pas sur le sujet, comme pour mieux le dépasser : « Je cache cela, je ne sais pas…peut être pour m’accepter d’abord. Peut être que je n’ai pas envie d’assumer ».

Jalil*, jeune afghan de 16 ans, arrive à Genève en 2009. Bien que sa sœur aînée soit installée en Suisse depuis longtemps, il connaîtra le parcours ordinaire d’un RMNA. Installé dans un foyer genevois, parfois mélangé aux adultes, il a terriblement de mal à créer des liens avec ses pairs. Entouré de violence et de solitude, il est incapable de se vouer à ses études : « Chaque personne qui vient ici arrive avec plein de problèmes. Et puis des fois, les problèmes, ils ne nous lâchent pas ». Pour épargner sa sœur gravement malade, Jalil tait sa souffrance et s’enferme petit à petit. A sa majorité, il reçoit un avis d’expulsion. Transféré aux Tattes, sans formation et sans espoir, son état psychique se détériore. Avec l’aide de son médecin, il finit par obtenir un studio. Grâce à son beau-frère, il est employé dans une épicerie. Mais les années d’isolement, de souffrance lui rendent la tâche difficile. Son seul souhait est alors de retrouver ses parents car il n’a plus aucun espoir ici. La routine de son travail et l’accompagnement de son médecin finissent par lui procurer une certaine stabilité. S’ajoute l’obtention de son permis B, après plusieurs refus, qui lui redonne confiance en l’avenir.

Surmonter son passé

Au-delà du fait de leur offrir une tribune, permettre aux mineurs non accompagnés de faire le récit de leur histoire est réellement bénéfique pour leur développement.

Se raconter est une façon de donner un sens à son passé et de se construire une identité acceptable par les autres et par soi-même. Et cette acceptation de soi permet la prise de distance nécessaire à envisager un projet de vie. Elle est la clé de cette fameuse résilience, qui transforme en force les adversités et les traumatismes.

Mais confier son histoire n’est pas dénué d’affect et marque la confiance donnée à l’autre. La prise en charge des mineurs non-accompagnés devrait ainsi passer par ce temps du récit, permettant à celui qui raconte de devenir l’acteur de sa propre vie.

MARIE RIGAL LEBLANC

* Prénoms d’emprunt

Ces quatre portraits sont issus d’un travail de bachelor effectué par Marie Rigal Leblanc et Fanny Jaussi dans le cadre de la Haute école de travail social. Dans leur recherche, les deux travailleuses sociales soulignent l’importance du récit de vie dans la reconstruction de l’identité et de l’avenir. Elles offrent également, à travers le regard de ces jeunes, un point-de-vue intéressant sur les précarités auxquelles ces enfants sont confrontés, ainsi que sur les loyautés qui se jouent dans leurs relations. Enfin, elles permettent de mettre en lumière le rôle et la responsabilité des travailleurs sociaux et de la société dans la prise en charge des jeunes personnes isolées.

Marie Rigal Leblanc, Fanny Jaussi, Mineurs non accompagnés : des projets pour quel avenir ? Histoires de vie de quatre anciens MNA. Mise en lumière des freins et moteurs dans 
la construction d’un projet de vie, Genève, Haute école de travail social, 2017, à retrouver sur asile.ch et sur explore.rero.ch