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Notre regard

Regards | Accompagner vers l’autonomie, un rôle à dimensions multiples

Au quotidien, les travailleurs sociaux guident les mineurs non accompagnés vers plus d’autonomie, aspirent à leur offrir un climat sécurisant et bienveillant leur permettant de se (re)construire. Comment approcher ces jeunes arrivés en Suisse sans leur famille? Quelle distance instaurer, que donner de soi ? Quatre travailleurs sociaux impliqués dans cet accompagnement partagent leurs expériences. Ils nous donnent l’opportunité de mieux saisir la nature des liens qui se créent avec ces adultes en devenir et les stratégies employées pour les accompagner au mieux dans leur quotidien à Genève.

Plus qu’une bonne distance, il s’agit, pour les éducateurs.trices ou animateurs.trices socioculturel.es que j’ai pu rencontrer, de trouver une juste proximité avec ces adolescentes et adolescents venus des quatre coins du monde. Créer du lien et les guider dans cette ville et société d’accueil que sont Genève et la Suisse est ce à quoi aspire chacun d’entre eux.

« Son meilleur outil de travail, c’est soi »

Photo: Andreas Praefcke

Pour accompagner et nouer ces liens de confiance avec ces jeunes, il faut avant tout se sentir libre d’être soi-même. S’adapter à leurs besoins représente un défi permanent, qui exige de la souplesse, de l’imagination et de l’innovation, notamment dans les outils pédagogiques utilisés. « J’ai plusieurs cordes à mon arc, que je mets à contribution », explique l’un de mes interlocuteurs. S’autorisant à être créatifs, ils explorent des pistes qui parfois fonctionnent, parfois échouent. Il s’agit aussi d’être capable de sentir, d’observer, de se remettre en question et de prendre de la hauteur. Si certaines situations rendent adéquat le recours à l’humour « lorsque, derrière une question anodine, on perçoit l’angoisse ou la peur de faire faux », d’autres demandent davantage de retenue ou de pudeur.

Ces accompagnants sociaux insistent sur la nécessité d’adopter une attitude bienveillante à l’égard d’adolescents en quête de nouveaux repères. Une bienveillance facilitant la parole qui se libère souvent dans des moments informels. « Il est essentiel de leur laisser suffisamment de temps pour leur permettre de se sentir en sécurité et de se dévoiler peu à peu», souligne une intervenante. Un rythme propre à chacun qu’il s’agit de ne pas brusquer.

Ils évoquent également cette recherche perpétuelle du bon équilibre, notamment dans la considération de la part d’enfance chez ces jeunes hommes et jeunes femmes en devenir : « La majorité souhaitant être rapidement autonome, le véritable challenge est d’assurer un cadre sécurisant sans pour autant les infantiliser ». Un des intervenants sociaux cite l’exemple d’un adolescent qui, « derrière son allure de ‘dur à cuire’, ses bras tatoués, se dégage une douceur et un grand besoin de reconnaissance d’une maman et d’un papa qui lui disent ‘Bravo, c’est bien !’ ». Pour les accompagner, il importe de considérer les jeunes dans leur entièreté, avec leurs forces et leurs fragilités. Dès lors, devenir à leurs yeux une personne-ressource à qui l’on peut se confier sans crainte est un cadeau qui n’a pas de prix. Toutefois, il arrive que la magie du lien n’opère pas et d’autres chemins doivent être entrepris.

Le rôle du collectif

Le travail en équipe et en réseau prend alors toute son importance. Il présente l’avantage d’ouvrir la relation à des personnes tierces et de passer le relais lorsque cela est jugé bénéfique. Accompagner à plusieurs permet à chacun d’incarner un rôle spécifique en accord avec sa propre identité. Ces rôles peuvent s’apparenter à ceux que l’on retrouverait dans une famille avec des membres de générations, de genres et de personnalités différentes. En effet, certains de mes interlocuteurs se sentent parfois identifiés comme une grand-mère, un frère ou une tante de substitution. Ces rôles peuvent néanmoins évoluer. De plus, la force de l’équipe et l’entente en son sein rendent supportables le sentiment d’impuissance que peuvent éprouver les accompagnants face à des réalités humaines difficiles, qu’il s’agisse de l’impossibilité pour tous les adolescents non accompagnés d’obtenir un titre de séjour en Suisse, de la précarité matérielle et sociale qui en découle, des carences
affectives et des traumatismes
présents chez la plupart de ces
jeunes. Communiquer, évacuer et se soutenir dans cette
expérience humaine intense
apparaît comme une nécessité.

Un bouleversement

« C’est un bouleversement de soi. Nous nous confrontons à nos propres préjugés. Ces jeunes venus d’ailleurs nous obligent à nous remettre en question », me rapporte une travailleuse sociale. Mes interlocuteurs qualifient leur travail d’enrichissant et de vivant. Une des motivations réside dans la magie des rencontres, la découverte de l’autre et de ce qui le caractérise. Être un témoin privilégié de l’envie d’apprendre de ces adolescents, de leurs progrès et de leurs réussites représente une de ces satisfactions qui donnent l’envie de poursuivre cette mission d’accompagnement. Certains insistent sur la période de l’adolescence qu’ils aiment particulièrement, d’autres sur leur contribution en tant que travailleur social à l’intégration de ces personnes. Toutes et tous manifestent leur désir de permettre aux adolescents de renouer avec des considérations de leur âge. Les faire rire. Les faire sourire. Les inviter à retrouver un peu de cette insouciance perdue dans l’exil et la séparation de ses proches et à reprendre goût à la vie : « Lorsqu’on est adolescent, il y a cette part d’enfant en nous qui ressort, si chouette à voir, d’autant plus que ce sont souvent des personnes qui ont dû mettre leur enfance de côté ».

JOYCE BITZBERGER