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Comptoir

L’utilisation du terme « illégal » dans le domaine migratoire reste problématique

Photo: Pascal Maramis

Ce mardi 19 février 2019, nombreux sont les journaux romands à avoir repris une dépêche de l’Agence télégraphique suisse (ATS), elle-même issue d’un communiqué de presse conjoint entre l’Agence fédérale des douanes (AFD) et la Police aux frontières italienne. Le contenu de cette dépêche traite de la collaboration entre les deux pays pour assurer une présence à leur frontière commune. Les articles reproduisent systématiquement la formule consacrée par l’AFD qui parle de «l’immigration illégale ». A travers un décryptage, le Comptoir des médias invite les médias à interroger le bien-fondé de l’utilisation du terme “illégal”, employé de façon mécanique à partir des communiqués des autorités, et à le remplacer de manière systématique par celui d’irrégulier.

Vous pouvez télécharger ici en PDF le  décryptage  complet « Pertinence de l’utilisation du terme « illégal » dans le domaine migratoire » (juillet 2016)

En collaboration avec l’ATS, le Comptoir des médias avait rédigé en septembre 2016 un texte explicatif sur l’utilisation de différentes terminologies « Frontières, migrants et réfugiés: Du bon usage des termes et des chiffres ».  Nous en reproduisons ci-dessous un extrait qui problématise de manière spécifique l’utilisation du terme « illégal ».

En ligne depuis 16 septembre 2016

Entrées/séjours illégaux, irréguliers ou légitimes

Au niveau des normes juridiques internationales

L’adjectif “illégal” (ou de l’adjectif substantivé “les illégaux”), largement employé par la presse, a une existence légale, dans la Loi sur les étrangers (art. 115 LEtr). Par le passé, il était également utilisé par les organisations internationales, qui maintenant le proscrivent et appellent à l’utilisation du terme “irrégulier”.

Le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) rappelle qu’ “il n’y a rien d’illégal à demander l’asile” (http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/3/56f29941c/refugies-migrants-questions-frequentes.html). En effet, les personnes persécutées dans leur pays ont le droit de déposer une demande d’asile dans un pays partie à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Le terme illégal, employé dans les lois suisses, est incorrect vis-à-vis du droit international quand il s’agit de personnes qui entrent en Suisse sans documents en vue du dépôt d’une demande d’asile. En effet, la Convention sur les réfugiés dit que “Les Etats Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation” (art. 31 Convention sur les réfugiés).

Pour en savoir plus, veuillez consulter le document de travail rédigé par Guy S. GOODWIN-GILL et publié par le HCR sur la question de l’”entrée irrégulière”.

Au niveau des normes juridiques suisses

En vertu de la Loi sur les étrangers (LEtr), les personnes provenant d’Etats non européens ont, pour la plupart, besoin d’un visa pour entrer en Suisse (art.5 LEtr). Une entrée sans visa constitue un délit pénal (art.115, alinéa 1, lettre a LEtr).

Toute personne qui apporte son aide à une telle entrée irrégulière contrevient aux dispositions de l’art. 116 LEtr. Un délit aggravé si “l’auteur agit dans le cadre d’un groupe ou d’une association de personnes, formé dans le but de commettre de tels actes de manière suivie” (art. 116, alinéa 2 LEtr).

Pourtant, la Loi sur l’asile (LAsi) dit qu’il est possible de déposer une demande d’asile à la frontière ou auprès d’un CEP (art. 18 et 19 LAsi). Les gardes-frontière ou les autorités cantonales saisies doivent alors identifier les personnes, les informer de leurs droits puis les diriger vers un CEP avec un laissez-passer (art.21 LAsi et 8 OA1).

Il existe donc ici une zone grise. Il suffit que les gardes-frontière n’entendent ni ne comprennent que leur interlocuteur demande l’asile en Suisse pour les renvoyer sans formalité. De plus, de nombreuses personnes sont sanctionnées pénalement sur la base des articles de la LEtr pour avoir franchi sans visa la frontière quand bien même l’asile leur est accordé par la suite.

Au niveau linguistique

Au niveau linguistique, le mot illégal renvoie à une action qui serait contraire à la loi. Or si traverser la frontière pour demander l’asile est un droit, cette action ne peut en même temps être qualifiée d’illégale. L’utilisation de cette terminologie peut induire les lecteurs à croire qu’il s’agit de personnes “malhonnêtes, indignes et criminelles et qu’ils seraient une menace pour l’ordre public” (http://picum.org/picum.org/uploads/file_/Leaflet_FR_1.pdf).

Vivre Ensemble invite les médias à interroger le bien-fondé de l’utilisation du terme “illégal”, employé de façon mécanique à partir des communiqués des autorités, et à le remplacer de manière systématique par celui d’irrégulier.

Plus d’explications ici: https://asile.ch/2016/07/26/decryptage-pertinence-de-lutilisation-terme-illegal-domaine-migratoire/

Cristina Del Biaggio, en collaboration avec l’ats