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Fact-checking | Accélération des procédures, protection juridique. La communication au pouvoir

La restructuration de l’asile est entrée en vigueur le 1er mars dernier. Les médias ont couvert cette actualité de manière variable, mais se sont souvent contentés de reprendre la communication des autorités, annonçant une «accélération des procédures d’asile dans toute la Suisse». Nous décryptons ici quelques fausses idées au sujet de la nouvelle procédure d’asile que ce traitement médiatique sommaire n’a pas remis en question.

Schéma réalisé par l’EPER à retrouver dans les dépliants « Comprendre l’asile: La restructuration de l’asile en 2019 ».

 

ACCÉLÉRATION DES PROCÉDURES OU ACCÉLÉRATION DES RENVOIS ?

« LES PROCÉDURES SERONT DÉSORMAIS PLUS RAPIDES DANS TOUTES LA SUISSE »

Dépêche ATS reprise notamment par le site rts.ch/info. Le 28.02.2019 Le Journal horaire.

« Les procédures d’asile seront plus rapides dans toute la Suisse. »

 

« LES RÉPONSES APRÈS 140 JOURS, C’EST POSITIF »

Citation d’un responsable de Caritas-Suisse mise en exergue par Le Courrier. 01.03.2019

 « Nous ne créons pas de motifs d’asile » Sandrine Hochstrasser.

Toutes les procédures d’asile ne seront pas accélérées. Selon les projections du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), l’accélération concerne deux tiers des demandeurs d’asile dont le cas est jugé « clair » et ne nécessite pas de mesures d’instruction approfondies. Ils feront ainsi l’objet d’une procédure dite accélérée et ne seront plus attribués à un canton.

Conformément à l’article 37b de la Loi sur l’asile, le SEM définit ses propres priorités dans le traitement des demandes. Une stratégie qu’il définit comme suit sur son site internet : « [Les demandes] dont la motivation est vraisemblablement faible sont prioritaires et, donc, traitées le plus rapidement possible. Viennent ensuite celles émanant de personnes qui seront probablement appelées à rester en Suisse (…) »[1]. Le SEM n’a ainsi jamais caché mettre en attente l’examen des demandes de protection de ressortissants syriens, afghans ou érythréens, par exemple.

Cette stratégie est appliquée à la lettre. Du reste, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a déclaré que dans la procédure accélérée au Centre fédéral d’asile de Boudry, « 10% des requérants ont reçu une réponse positive »[2]. Si l’on compare ce taux de 10% avec le taux général de protection des procédures d’asile qui s’élève actuelle- ment à 60,8% de réponses positives (selon les statistiques 2018 du SEM), on constate que les décisions de renvoi sont très large- ment surreprésentées dans les procédures accélérées à Boudry.

Les procédures étendues, qui souvent aboutiront à l’octroi d’une protection, doivent selon la loi faire l’objet d’une décision dans les deux mois qui suivent la fin de la phase préparatoire (art. 37 al. 4 LAsi). Toutefois, ces délais d’ordre, qui existaient déjà dans l’ordre légal précédent, ne sont pas contraignants et l’expérience montre qu’ils ne sont respectés ni par le TAF ni par le SEM.

Force est donc de constater que la restructuration de l’asile vise à l’accélération des procédures de renvoi, et non des procédures d’asile, comme cela est régulièrement rapporté. Simonetta Sommaruga argumentait ainsi pour faire passer « sa » réforme : « Avec la nouvelle législation, les demandeurs d’asile pourront savoir plus vite s’ils peuvent rester en Suisse et commencer avec le processus d’intégration ou s’ils doivent quitter la Suisse. » À ce stade aucun signe ne permet de penser que le processus d’intégration commencera plus rapidement pour les demandeurs d’asile qui obtiendront un statut en Suisse.

L’accélération de l’octroi de statuts de protection est une revendication importante des milieux de défense du droit d’asile, mais elle n’est pour l’heure ni entendue ni mise en œuvre.

UNE PROTECTION JURIDIQUE INCOMPLÈTE ET COMPOSITE

« LES REQUÉRANTS D’ASILE ONT D’EMBLÉE DROIT A DES CONSEILS ET A UNE REPRÉSENTATION JURIDIQUE »

> Communiqué du SEM, 28.02.2019. « Nouvelles procédures accélérées à partir du 1er mars »

D’emblée, oui, mais pas pour toujours et uniquement dans un cadre bien précis. En procédure accélérée, les mandataires d’office peuvent refuser de faire recours s’ils estiment que les chances de succès sont nulles. Les requérants d’asile se retrouvent alors obligés de se tourner vers des acteurs externes pour se faire aider. Quant à la procédure étendue, la représentation juridique y est limitée à la procédure de première instance. Les recours ne sont pas couverts de façon systématique, alors même que les cas sont jugés plus complexes.

Ajoutons à ces limitations que l’activité d’une permanence juridique, au sens actuel du terme, ne se limite jamais à la procédure d’asile proprement dite. Les personnes en demande d’asile ont de nombreux problèmes juridiques ou sociaux qui nécessitent un conseil : inclusion d’un conjoint dans un statut, regroupement familial, réexamen suite à la survenue d’un fait nouveau, transformation de permis, changement de canton, demandes de visas humanitaires, problème d’hébergement ou d’assistance, etc. Aucune de ces démarches n’est couverte par la protection juridique subventionnée.

DES « AVOCATS GRATUITS » ?

« Des avocats gratuits œuvrent déjà à Boudry. »

> Communiqué du SEM, 28.02.2019. Le Courrier. 01.03.2019, Sandrine Hochstrasser.

L’expression est issue de la campagne de l’UDC, qui en 2016 avait combattu la réforme par référendum. En filigrane, la critique d’une « industrie de l’asile » coûteuse pour le contribuable dans laquelle les requérants d’asile seraient privilégiés en ayant droit à des « avocats gratuits ». De fait, la représentation juridique gratuite a été introduite pour compenser des durcissements de la loi, en particulier une réduction des délais de recours: sans cette aide juridique, on ne peut parler d’une procédure d’asile dite «équitable». Reste ensuite à discuter de la qualité de l’aide juridique financée par les forfaits fédéraux. Selon un document publié par les Syndicats des services publics, Solidarités sans frontières et les Juristes Démocrates de Suisse, les montants alloués sont largement insuffisants à accomplir les tâches prévues, ce qui « revient à remettre en cause une représentation juridique effective»[3]. Last but not least, dans leur grande majorité les représentants juridiques ne seront pas titulaires du brevet d’avocat. La qualification requise est un master en droit.

ALDO BRINA

Chargé d’information et de projets Secteur réfugiés du CSP Genève

[1] Site du SEM, consulté le 28 février 2019.
[2] https://www.rts.ch/info/regions/neuchatel/9813912-le-centre-d-accueil-des-requerants-de- boudry-ne-se-presente-au-public.html
[3] SSP, SOSF, JDS, « Le SEM pratique activement le dumping salarial ! », communiqué, 19 mars 2019.