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Notre regard

Procédures accélérées et accès aux soins. L’équation impossible? | Soins dans la nouvelle procédure d’asile: un système au rabais !

Au royaume de l’asile, c’est le parcours du combattant pour un traitement médical, la quête du Graal pour un rendez-vous avec un médecin. Malgré les nombreux arrêts du Tribunal administratif fédéral (TAF) (p. 4) et un sujet de la RTS (19 h 30, le 9.12.2018) dans lequel le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a promis des améliorations, la situation est toujours extrêmement préoccupante. Le SEM se révèle bien meilleur pour prononcer des décisions négatives rapides que pour assurer l’accès aux soins. Sur le papier, le concept sanitaire mis en place par le SEM a l’air très structuré. Sur le terrain, les problèmes se multiplient à toutes les étapes de la procédure et ceci au détriment des requérant.e.s d’asile qui en subissent les conséquences.

Lire en complément de cet article: Prise en considération de l’état de santé: des procédures bâclées?

Honoré Daumier, Robert Macaire, médecin, Caricaturana, 1838

Au CFA de Perreux comme à Chevrilles, c’est l’entreprise ORS qui est mandatée pour assurer l’accès aux soins. Elle dispose d’une équipe infirmière qui offre une permanence médicale au sein du centre. L’équipe a pour mission de filtrer les personnes (« triage » ou « filtrage » selon le SEM) en décidant qui ira consulter un médecin ou qui se contentera de cachets. Dans les faits, tout est dans l’interprétation de la notion d’urgence par les infirmier. ère.s. Il faut également que les patient.e.s se fassent comprendre: en l’absence d’interprète la plupart du temps, c’est l’approximatif Google Traduction qui joue ce rôle. Autant dire que les malentendus sont fréquents et leurs conséquences potentielles dramatiques.

Pour ce qui est de l’accès aux médecins, à Perreux, une convention a été signée entre le SEM et le Centre Médical de la Côte à Corcelles qui dispose de plusieurs médecins formés dans différentes disciplines.À Chevrilles par contre, aucune convention n’a été signée, la région de la Singine faisant face à une pénurie de médecins.C’est donc le bricolage qui prévaut.

Une communication qui dysfonctionne

En ce qui concerne la communication entre les acteurs de la procédure, toutes les informations médicales doivent transiter par l’équipe infirmière de l’ORS. La représentation juridique n’est pas autorisée à contacter directement les médecins et doit passer par l’infirmerie. Pas de téléphones, mais des mails standardisés qui doivent être traités par le personnel soignant dans les 48 h. Une aberration lorsque l’on sait que les questions médicales sont parfois déterminantes dans le type de procédure d’asile – accélérée ou étendue – voire dans l’issue de la demande de protection.

Ces lourdeurs administratives ralentissent l’établissement de l’état de santé et empêchent un accès adéquat aux soins. Un climat de confiance avec l’équipe infirmière est ainsi difficile à établir tant pour les requérant.e.s que pour la représentation juridique. Leur ambiance de travail est très tendue, en témoigne le turnover important qu’il y a depuis avril 2018, date de la mise en place de la nouvelle procédure en phase pilote à Perreux et Chevrilles.

Le SEM conclut son concept ainsi : «Il s’agit ainsi d’un concept à caractère évolutif, dans une dynamique d’optimisation constante, où quelques variables sont encore à définir.» Aux dernières nouvelles, la seule amélioration vient du fait que désormais, des médecins passent de temps en temps directement au centre ce qui facilite les consultations. Mais on est loin d’une équipe médicale adéquate, formée aux problématiques de santé spécifiques à la population migrante et offrant un soutien psychologique généreux.

Déontologie en question

Un tel système de soins au rabais pour des personnes qui ont survécu à des violences terribles dans leurs pays de départ ou lors de leur voyage est particulièrement choquant. On ne peut s’empêcher de penser que le problème vient en partie du fait que c’est à l’ORS – aux ordres du SEM – qu’incombe l’accès aux soins. La santé ne devrait en effet pas se trouver en mains privées tournées vers le profit et peu attentives aux intérêts des patient.e.s. Également en question, le rôle des médecins du centre médical : ils sont sous contrat avec le SEM, mais sont-ils avant tout au service de leurs patients, comme le prévoit la déontologie ? À noter que les prestations d’encadrement ont été récemment remises au concours par le SEM pour des mandats dès le 1er janvier 2020. A priori, l’ORS a de bonnes chances de l’emporter…

Il y a donc urgence ! Du côté de Droit de Rester Neuchâtel, des contacts ont été pris avec Médecins du Monde et nous prévoyons une rencontre avec le médecin cantonal. Mais c’est également un changement de paradigme au niveau national qui est nécessaire.

LOUISE WEHRLI

Droit de Rester Neuchâtel