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Notre regard

La HETS analyse les besoins des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s

Quels sont les besoins spécifiques des requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) auxquels l’État de Genève doit répondre dans la mesure où ces jeunes sont sous sa responsabilité? Les résultats des travaux de la Haute école de travail social du canton de Genève (HETS-Genève) ont été rendus publics mercredi 2 octobre 2019 par le Conseil d’État genevois. Intitulé « Vers une prise en compte holistique et dynamique des besoins des enfants et des jeunes migrant·e·s à Genève », le rapport analyse pour la première fois les principaux besoins identifiés par les jeunes eux-mêmes et les croise avec ceux identifiés par les différents acteurs qui les côtoient. Il souligne l’importance de répondre de manière holistique et coordonnée à ces exigences, ceci dans les domaines suivants: la sécurité administrative, le soutien social et éducatif, l’égalité des chances en matière d’éducation, de formation et d’emploi, des logements à taille humaine, la prise en compte individuelle de la santé, une meilleure intégration et un environnement institutionnel cohérent et lisible.

Le rapport avait été mandaté par le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) en guise de réponse à une recommandation de la Cour des comptes genevoise qui s’était penchée sur la prise en charge des RMNA dans un audit publié en février 2018. La HETS a rendu sa copie fin mai 2019 et a publié, en même temps que le Conseil d’État, un communiqué présentant les grandes lignes du rapport (ci-dessous en encadré).

Lors de son point de presse du 2 octobre 2019, le Conseil d’État genevois a présenté un plan d’action décliné en trois volets. Il implique la coordination des trois départements concernés, à savoir le Département de la cohésion sociale (DCS), le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) et le Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES), visant à préparer d’ici fin 2019 un dispositif de prise en charge coordonné des jeunes RMNA de 16 à 25 ans :

  • « Sous l’égide du DCS, revoir le lieu de vie et les modalités d’hébergement des RMNA et ex-RMNA de 16 à 25 ans. Ce mandat est confié à l’Hospice général avec la collaboration des institutions genevoises d’éducation spécialisée pour la prise en charge et la Fondation pour l’animation socioculturelle (FASe) pour le soutien socio-éducatif.
  • Sous la responsabilité du DIP, proposer des mesures pour favoriser la formation et l’insertion professionnelle de ces jeunes.
  • Sous l’égide du DSES, renforcer la coordination entre acteurs impliqués dans la prise en charge des besoins de santé, notamment psychique. »

Un changement de paradigme, enfin?

La publication du rapport et le plan d’action du Conseil d’État étaient très attendus et s’inscrivent dans  un climat politique exigeant un véritable changement de paradigme à Genève dans la prise en charge des enfants et jeunes adultes arrivés en Suisse non accompagnés.

Le Parlement genevois a récemment accepté la motion M2524 qui demande une prise en charge jusqu’à 25 ans des jeunes adultes relevant de l’asile et la motion M2526 qui demande de faciliter l’insertion professionnelle et l’octroi d’un permis de séjour aux personnes déboutées de l’asile dont le renvoi n’est pas réalisable. Il doit se prononcer en octobre sur la motion M2525,  qui appelle à un redimensionnement et une adaptation du centre d’hébergement collectif pour RMNA prévu à Aïre afin qu’il permette une véritable intégration des jeunes.

Les déficiences systémiques en terme de conditions d’hébergement et d’encadrement des requérants d’asile mineurs et jeunes adultes non-accompagnés ont été dénoncées de manière récurrente de la part de plusieurs associations et collectifs ces dernières années. Au niveau institutionnel, plusieurs rapports officiels avaient été produits sur ces questions et étaient restés sans réponse. L’audit de la Cour des comptes, très sévère à l’encontre des institutions en charge de ces jeunes, avait recommandé au DIP de mener une analyse complète des besoins des jeunes. La HETS avait alors été mandatée pour la mener à bien. (-> lien vers l’audit de la Cour des comptes et des rapports de suivi de l’application de ses recommandations  par les autorités genevoises)

En mai, des Assises avaient été organisées, réunissant tous les acteurs agissant auprès des jeunes requérants d’asile ou non pour mettre à plat les différentes problématiques qui les concernent. Les Actes de ces assises ont été publiées récemment. Enfin les jeunes eux-mêmes, ainsi que les collaborateurs du foyer de l’Étoile, où étaient hébergés ces jeunes, ont  pu donner leur point-de-vue sur ces dysfonctionnements institutionnels graves.

A voir si ce énième rapport parviendra à faire enfin bouger les lignes.

Daniela Camelo / Sophie Malka
(Vivre Ensemble | asile.ch)

Ci-dessous, le communiqué de la HETS, ainsi qu’une liste de documentation référençant les différents rapports, interpellations et articles publiés sur le sujet.

Vers une prise en compte holistique et dynamique des besoins des enfants et des jeunes migrant·e·s à Genève
 – Analyse des besoins des requérant·e·s d’asile mineur·e·s non accompagné·e·s (RMNA)

Auteur·e·s : Sylvia Garcia Delahaye, Jérôme Mabillard, Nicole Peccoud, Luca Decroux et Valérie Frossard

La Haute école de travail social de Genève, l’une des six écoles de la HES-SO Genève, publie ce jour les résultats d’une recherche réalisée sur mandat du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP). Ce mandat répond à une recommandation formulée par la Cour des comptes dans son audit de 2018, qui demandait la réalisation d’une analyse des besoins spécifiques des jeunes requérant·e·s mineur·e·s non accompagné·e·s (RMNA).

Les résultats de la recherche mettent en évidence la nécessité de répondre de manière holistique et coordonnée à toutes les dimensions identifiées, que cela concerne les besoins physiologiques de base, la santé physique et mentale, le sentiment d’appartenance, les besoins d’amour et d’affection, la possibilité d’apprendre et le sentiment d’être utile et de pouvoir contribuer à la société.

Réalisée entre janvier et mai 2019, cette recherche a permis de recueillir et croiser les points de vue des jeunes, des différent·e·s professionnel·le·s impliqué·e·s dans la prise en charge des RMNA ainsi que des membres de la société civile. Plus d’une centaine de personnes ont été rencontrées, dont environ 40 jeunes et enfants âgés de 12 à 20 ans.

Cette étude s’inscrit dans un contexte particulièrement sensible qui fait émerger différentes problématiques systémiques. L’équipe de recherche a essayé de donner une juste place aux points de vue déjà exprimés précédemment par de multiples professionnel·le·s, membres de la société civile mais aussi par les jeunes eux-mêmes, en les contextualisant par rapport aux configurations institutionnelles et aux enjeux théoriques.

Pour les jeunes, un moyen d’expression adapté a été mis en place, à travers un atelier photographique participatif. Il s’agit d’une démarche inédite qui permet de prendre en compte la parole des jeunes dans la définition des dispositifs qui les concernent, en accord avec l’article 12 de la Convention des Droits de l’Enfant (CDE), qui établit le droit de s’exprimer et d’être entendu dans toute procédure le concernant.

Les principaux besoins identifiés par les jeunes et partagés par les différents acteurs interrogés dans le cadre de cette enquête se déploient dans les domaines suivants :

  1. La sécurité administrative
    La sécurité administrative constitue le sujet le plus fréquemment mis en lien avec les besoins des jeunes. Le « permis », c’est-à-dire les conditions de séjour selon les dispositions fédérales, détermine effectivement l’ensemble des possibles à Genève et en Suisse. Dans cette incertitude sur leur situation administrative, leurs capacités sont entravées. L’accès au travail rémunéré, le droit à certains logements, ou encore le bénéfice de certaines formations, ouvertes à d’autres jeunes, leur sont fortement restreints.
  2. Un soutien social et éducatif et des liens affectifs indépendamment de l’âge du jeune (jusqu’à 25 ans, conformément aux politiques de la jeunesse en Suisse)
    Les RMNA doivent être considéré·e·s avant tout comme des enfants et des jeunes avec des besoins spécifiques et non comme des migrant·e·s. En raison de l’absence de leurs parents, une figure parentale de substitution permettrait notamment de les accompagner et de les sécuriser.
  3. L’égalité des chances en matière d’éducation, de formation et d’emploi

    Les différents acteurs plaident pour intégrer au maximum les RMNA au sein des structures scolaires ordinaires avec des dispositifs de soutien adaptés (école inclusive) au lieu du recours à des dispositifs spécifiques (ACCES II). En l’état, la situation est marquée par une absence de réelles opportunités de formation certifiante et d’insertion socioprofessionnelle pour ces jeunes, tendant à faire de l’école une « salle d’attente ». Les efforts entrepris demeurent insuffisants pour garantir une totale égalité des chances.
  4. Un logement comme lieu de vie
    Diverses solutions d’hébergement permettant un développement harmonieux doivent être proposées, telles que des lieux de vie collectifs à taille humaine, des familles d’accueil ou des logements individuels de transition. Si les jeunes partagent les constats globalement négatifs sur les conditions d’hébergement actuelles, ils ne veulent pas être réduits à un besoin matériel, et demandent des lieux de vie dignes, garants d’une sécurité également psychologique.
  5. Une prise en compte personnalisée et plurielle de la santé y compris pour les situations les plus vulnérables

    Celle-ci devrait respecter le parcours et la temporalité du jeune en s’appuyant sur les regards et l’expertise des différent·e·s professionnel·le·s impliqué·e·s. Elle devrait également prendre en compte les paramètres spécifiques aux RMNA – l’absence de figure parentale, le parcours migratoire difficile voire traumatisant, l’insécurité face à l’avenir, tout en favorisant la libre adhésion des jeunes aux soins et mesures de prévention qui leur sont proposées.
  6. Une intégration avec la population

    Afin de permettre la construction d’une identité positive et apaisée, il faudrait privilégier la construction d’un tissu de relations le plus inclusif possible leur permettant de sortir des espaces et lieux ne réunissant que d’autres RMNA ou d’autres personnes migrantes. Les possibilités de liens, à travers les projets associatifs, dans les quartiers et de collectifs doivent être renforcées et soutenues, notamment le dispositif des familles relais, qui offre un parrainage bénévole de jeunes mineur·e·s non accompagné·e·s.
  7. Un environnement institutionnel cohérent et lisible
    La création d’espaces d’information et de coordination intégrant également la société civile et les jeunes permettrait de pouvoir répondre au mieux aux besoins des jeunes et des enfants.

Cette analyse débouche sur les perspectives suivantes :

– Il est indispensable de mettre en place des espaces de participation pour les jeunes au sein de la société qui puissent prendre en compte les spécificités de ces jeunes. Les RMNA expriment fortement le besoin d’être vu·e·s et entendu·e·s, afin d’être pris·e·s en considération en tant qu’acteur, actrice et citoyen·ne.

– Le champ de tension actuel entre droit d’asile et droits de l’enfant peut être atténué par le développement d’un cadre légal et réglementaire traduisant et respectant les principes énoncés par la Convention relative aux droits de l’enfant, notamment en matière de non-discrimination, d’intégration et de participation. Les travaux actuels sur la politique de l’enfance et de la jeunesse du canton de Genève constituent une piste intéressante pour un tel développement.

– Les jeunes doivent donc être associé·e·s aux mécanismes de coordination et de veille réunissant l’ensemble des acteurs et institutions contribuant à leur prise en compte, y compris la société civile.

Une partie des résultats du processus participatif mené avec les jeunes sera présentée dans le cadre de l’exposition « Enfants Reporters », organisée par l’Association 30 Ans de Droits de l’Enfant au quai Wilson, du 1er au 31 octobre.

Le rapport complet est disponible en ligne sur le site de l’État de Genève et sur celui de la HETS.


Rapports et documents publiés sur le sujet 

Articles publiés dans le cadre de la revue Vivre Ensemble ou sur le site asile.ch

L’édition de décembre (VE 160). Dessin Ambroise Héritier

Deux éditions de la revue Vivre Ensemble avec un dossier thématique sur la question des enfants et mineurs dans l’asile:

Quelques images de l’exposition Enfants reporters