Aller au contenu
Documentation

The Conversation | Contrairement aux idées reçues, l’accueil des réfugiés a suscité un élan citoyen en Europe

Dans cet article, The Conversation, démontre que l’accueil des réfugiés a suscité un élan citoyen en Europe, et ce, contrairement aux idées reçues et que des actions collectives spontanées initiées par des volontaires non-politisés peuvent aboutir à des actions ayant un impact sur les structures politiques et les opinions publiques. Dans son ouvrage à paraitre, The refugee reception crisis in Europe: Polarized opinions and mobilizations, issu d’une recherche collective internationale, The Conversation analyse les attitudes, les représentations, les discours et les pratiques de la population six pays européens (Belgique, Allemagne, Suède, Italie, Grèce et Hongrie) envers les réfugiés entre 2015 et 2019.  Des réactions d’hostilité et des pratiques nouvelles d’hospitalité et de solidarité au sein de la population européenne ont été observées de manière simultanée.

Article publié sur The Conversation le 10 octobre 2019 par Andrea Rea, Professeur de sociologie, Université Libre de Bruxelles et Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Étude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l’IRSS, Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de Liège. Cliquez ici pour y accéder directement.


Contrairement aux idées reçues, l’accueil des réfugiés a suscité un élan citoyen en Europe

Le 1er octobre 2019, le président français, en déplacement à Strasbourg, a appelé les élus de l’Assemblée parlementaire européenne à agir sur la « question migratoire », objet d’un débat en France depuis le 7 octobre. Emmanuel Macron souhaite ainsi lutter contre les « détournements » du droit d’asile, pour selon lui, éviter de faire le jeu des mouvements et régimes autoritaires, plébiscités aujourd’hui.

Ce discours fait écho à l’incapacité de l’Union européenne à proposer une politique d’asile commune et cohérente. Alors que l’Allemagne se montre particulièrement accueillante, la Hongrie décide de construire des murs à sa frontière.

L’année 2015, a marqué un tournant pour les pays de l’Union européenne qui ont accueilli cette année-là 1,4 million demandeurs d’asile.

Comment, depuis cette date, la crise des réfugiés influence-t-elle la politisation de la population européenne ?

Notre ouvrage The refugee reception crisis in Europe: Polarized opinions and mobilizations, en cours de parution, est issu d’une recherche collective internationale. Il analyse précisément les attitudes, les représentations, les discours et les pratiques de la population six pays européens (Belgique, Allemagne, Suède, Italie, Grèce et Hongrie) envers les réfugiés entre 2015 et 2019. Nous avons ainsi observé simultanément des réactions d’hostilité et des pratiques nouvelles d’hospitalité et de solidarité au sein de la population européenne.

Plus particulièrement, nous avons observé que des actions collectives spontanées initiées par des volontaires non-politisés peuvent aboutir à des actions ayant un impact sur les structures politiques et les opinions publiques.

Une polarisation croissante depuis 2015

Depuis 2015, la polarisation des opinions publiques au sujet de l’immigration et de l’asile s’est consolidée, renforçant la dichotomisation des positions : pour ou contre. Les données de l’Eurobaromêtre de 2015 montrent que, pour la première fois, l’immigration est devenue le premier sujet de préoccupation des Européens (58 %). L’analyse sur une longue période laisse toutefois apparaître une relative stabilité des opinions publiques.

Si les facteurs individuels constituent une composante de la constitution des opinions positives ou négatives envers les réfugiés et les migrants, les analyses des opinions publiques suggèrent aussi que les discours portés par les partis politiques, notamment ceux d’extrême-droite là où ils existent, contribuent à forger un cadre de pensée alimentant l’hostilité envers les réfugiés et les migrants.

L’hospitalité et la solidarité mobilisent davantage

On note cependant que les mobilisations collectives d’hostilité ont été peu fréquentes en Europe tandis que celles portées par l’hospitalité et la solidarité ont été plus nombreuses.

Dès l’été 2015, de nombreux citoyens ont utilisé leur voiture personnelle pour convoyer des réfugiés de Hongrie en Allemagne, ont conçu des applications pour smartphones donnant les heures de train, identifiant les hôpitaux les plus proches, etc.

Depuis lors, de nombreux actes de solidarité et d’hospitalité s’exercent quotidiennement : collectes de vêtements, distribution de médicaments, distributions de repas, et surtout hébergement de réfugiés chez des particuliers.

Quels sont les ressorts de cette mobilisation ? Quelles sont les organisations issues de la société civile qui la porte ? Quels liens entretiennent-elles avec les ONGs institués et les autorités politiques ?


Tarjimly est une application gratuite conçue pour aider les processus de traduction entre migrants et citoyens solidaires.

L’empathie, au cœur de l’action

La mobilisation d’un nombre considérable de citoyens ordinaires est neuve au regard des actions collectives menées traditionnellement par des activistes appartenant à des associations, des syndicats ou des partis défendant les droits des migrants.

Les ressorts moraux et émotionnels expliquent cette mobilisation citoyenne, sans opposer schématiquement d’une part, la dépolitisation de l’action humanitaire et d’autre part, la politisation des organisations défendant les droits de migrants..

La notion d’hospitalité est au cœur de l’action des acteurs non institués de la société civile. Le terme d’hospitalité s’est d’abord imposé parce les activités auxquelles il fait référence concernent les besoins immédiats des demandeurs d’asile et parce que l’un des ressorts de l’action est l’empathie.


Des habitants de Sarcelle lancent un défi via Facebook pour aider les migrants (2016).

Humanitarisme subversif

Les citoyens ordinaires ne se mobilisent pas au départ pour défendre des revendications politiques d’octroi de droits aux migrants. Toutefois, la rencontre avec les demandeurs d’asile, l’organisation du mouvement et la réaction négative des gouvernements contribuent aussi à la politisation de citoyens investis dans les activités d’hospitalité.

Leurs actions relèvent ainsi d’un humanitarisme subversif en ce qu’il s’oppose à l’inaction organisée des autorités politiques.

La crise de l’accueil de 2015 a conduit à l’émergence de nouvelles organisations de la société civile.

Welcome Refugees est une organisation transnationale qui a vu le jour dans de nombreux pays européens ayant pour but premier le soutien humanitaire. Toutefois, les mobilisations se sont constituées aussi au départ d’organisations existantes.

En Allemagne, le soutien aux demandeurs d’asile provient aussi d’organisations qui n’étaient pas précédemment engagées dans le domaine de l’immigration comme l’ONG Medibüros qui offrent des services médicaux gratuits.


L’association Medibüros en Allemagne offre des soins gratuits.

En Italie et en Suède, les organisations religieuses et leurs réseaux de volontaires se sont immédiatement activés, comme Caritas et l’Église de Suède.

Ils diffusent de l’information et mènent campagnes de sensibilisation. Ils deviennent même les acteurs principaux de l’accueil des demandeurs d’asile.

En raison de l’absence d’organisations préexistantes à la crise en Grèce et en Hongrie, les organisations de soutien aux demandeurs d’asile naissent durant l’été 2015, comme Migration Aid en Hongrie et The City Plaza Refugee Accommodation Centre en Grèce.

Migreurop | City Plaza Hôtel: un exemple emblématique de la solidarité à Athènes. Carte et texte de Sarah Bachellerie et Sophie Clair publiés dans l’Atlas des migrants en Europe (2017).

Des pratiques de coopération horizontale

Des pratiques de coopération horizontale entre les organisations préexistantes et celles qui naissent à l’occasion de la crise sont observées dans plusieurs pays.

En Grèce, des groupes de la société civile pro-migrants ont été coordonnés par le biais d’une assemblée ouverte volontaire, comme l’ONG Lesvos Solidarity.

En Suède, les organisations établies et les nouvelles ont non seulement coopéré mais elles se sont aussi coordonnée au sein du Swedish Network of Asylum and Refugee Support Groups favorisant le succès des activités de soutien.

Des motivations et des mobilisations qui convergent

Les motivations de la mobilisation, soit très politiques, soit très humanitaires, peuvent aussi converger. Si de nombreux bénévoles des nouvelles organisations se mobilisent pour des raisons prioritairement humanitaires (fournir un logement, distribuer de la nourriture, offrir des vêtements, etc.), l’absence de réaction ordonnée et efficace de la part des institutions européennes et des États membres les conduit à une politisation de leur action.

En Belgique, les engagements spontanés du début ont pris une tournure plus politique, celle d’une « solidarité politique », notamment lors des manifestations publiques contre le gouvernement au sujet de la loi dite « des visites domiciliaires » autorisant la police à entrer chez les citoyens sans mandat de perquisition. Cette loi non votée aurait conduit à la criminalisation de l’aide aux migrants irréguliers.

Face à la politisation des organisations de la société civile hongroise contre l’action du gouvernement, ce dernier a créé une taxe spécifiquement défavorable à leurs activités.

En Allemagne, la diminution des mobilisations citoyennes s’accompagne d’une professionnalisation des actions. En Italie, les actions citoyennes ont été intégrées dans les actions initiées par les institutions publiques au nom de la coopération.

Ces pratiques citoyennes montrent un profond changement et une prise de conscience politique mais celle-ci ne se traduit pas par une modification des politiques d’accueil des différents pays concernés. Et pour cause, les oppositions aux réfugiés et aux migrants se manifestent moins dans l’espace public et collectivement, que dans les sondages d’opinion ou dans l’isoloir lors des élections, dont les résultats peuvent créer une pression plus forte sur les gouvernements.The Conversation

Andrea Rea, Professeur de sociologie, Université Libre de Bruxelles et Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Étude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l’IRSS,Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de Liège