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Humanrights.ch | L’école ordinaire au centre de l’intégration des enfants étrangers

La scolarisation à part des enfants demandeurs d’asile et des enfants étrangers doit rester une exception qui doit être justifiée et ne peut être appliquée que pendant une période très limitée. Il est vrai que ni le principe d’interdiction de la discrimination ni la Loi sur l’égalité pour les personnes en situation d’handicape n’ont pour but de conduire à l’intégration – trop précoce – des personnes concernées dans des classes ordinaires contre leur bien-être ou leurs intérêts. Toutefois, la fréquentation de l’école régulière doit être préférée à l’école spéciale pour autant qu’elle serve à la fois le bien de l’enfant concerné et préserve le droit de ses camarades à l’enseignement de base. L’exclusion des classes ordinaires avec des enfants du même âges et l’éventail très réduit des matières proposées dans les programmes spécifiques aux enfants migrants les privent la possibilité de combler rapidement leurs lacunes scolaires et de s’intégrer plus facilement dans la société locale. Elle jette en outre les bases de la discrimination et de la peur de l’étranger.

L’article « L’école ordinaire au centre de l’intégration des enfants étrangers » a été publié sur le site Humanrights.ch le 11 novembre 2019

A ce sujet, relisez la prise de position de l’association Droit de rester Neuchâtel « Scolarisation des enfants réfugiés au Centre fédéral de Perreux » publiée le 7 février 2019

Le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que les enfants étrangers qui n’ont pas été scolarisés auparavant et qui ont une mauvaise connaissance d’une langue nationale ne peuvent pas être scolarisés dans des classes séparées ou intégrés uniquement dans des matières déterminées sur une longue durée. Les deux cas ont été renvoyés aux autorités inférieures pour nouvelle décision.

Dans deux arrêts de mai 2019 (2C_892/2018 et 2C_893/2018), les juges de Mon-Repos ont dû juger deux cas presque identiques: les recourants, arrivés en Suisse à l’automne 2016, vivaient comme demandeurs d’asile dans le Canton de Zoug, avaient peu fréquenté l’école et disposaient de faibles connaissances en allemand.

Le 24 novembre 2016, le Département des services sociaux et de l’asile du Canton de Zoug a demandé l’inscription des enfants, alors âgés de près de 15 ans, à l’école secondaire 1, le dernier cycle de l’école obligatoire. Toutefois, en raison des lacunes des enfants, les écoles de la ville ont estimé que l’intégration à l’école ordinaire était exclue à ce stade. Ils ont recommandé de suivre un cours d’allemand avant de chercher une formation adéquate au sein des programmes d’intégration du Canton de Zoug (Integrations-Brücken-Angebot IBA), qui visent à jeter les bases de l’intégration sociale et professionnelle en Suisse.

Le 5 janvier 2017, les plaignants ont finalement été inscrits à un cours nommé «l’intégration des connaissances de base de l’année précédente». Ce cours donnait, d’une part, la possibilité d’acquérir des compétences interdisciplinaires telles que les normes sociales, coutumes locales et autres techniques culturelles pour faire face à la vie, techniques et stratégies d’apprentissage ainsi que des compétences sociales dans un contexte scolaire. D’autre part, sur le plan technique, le cours permettait de bénéficier d’un cours d’allemand visant à atteindre un niveau A2, un enseignement des mathématiques, des contenus d’apprentissage jusqu’à la quatrième classe primaire et d’un apprentissage de la gestion des médias numériques.

La Constitution fédérale garantit un enseignement de base suffisant et l’égalité des chances

Les parents n’étaient pas d’accord avec la décision des écoles de la ville et exigeaient la scolarisation de leurs enfants au sein du premier cycle de l’enseignement secondaire ordinaire, accompagné de mesures éducatives et de soutien spécifiques. Après le rejet de leurs demandes par toutes les autorités cantonales, le 2 octobre 2018, ils ont fait recours auprès du Tribunal fédéral.

Ils invoquent le fait que leur droit constitutionnel à un enseignement de base adéquat, tel que garanti dans l’article 19 de la Constitution fédérale (Cst.), a été violé par l’inscription au cours «intégration des connaissances de base de l’année précédente».

Une scolarisation au sein des programmes d’intégration cantonaux n’offre ni éducation scolaire complète ni égalité des chances. En effet, le cours en question a plutôt été conçu comme une préparation à la formation professionnelle et en tant qu’offre de scolarisation post-obligatoire. Une fréquentation de l’école régulière – au moins dans certaines matières – était en outre tout à fait possible malgré les lacunes scolaires et linguistiques.

Oui à l’enseignement spécial – mais seulement temporairement

Dans les deux arrêts, le Tribunal fédéral déclare qu’un enseignement de base suffisant doit être approprié et adapté pour préparer de manière adéquate les élèves à une vie autonome et responsable. En revanche, si des contenus considérés comme indispensables dans la culture locale ne sont pas transmis, l’égalité des chances n’est pas garantie et l’article 19 de la Constitution fédérale est violé.

La Constitution garantit un enseignement de base suffisant pour tous les enfants. Le fait de refuser aux enfants étrangers ou réfugiés l’accès à une éducation à part entière ou à l’école régulière sur la seule base de leur statut d’étranger viole non seulement l’article 19 de la Constitution, mais aussi l’interdiction de la discrimination conformément à l’article 8, alinéa 2, de la Constitution.

En outre, le Tribunal fédéral confirme que l’intégration via l’enseignement ordinaire des enfants qui n’ont pas bénéficié d’un enseignement préalable en Suisse ou ont été scolarisés tard est essentielle, au même titre que celle des enfants en situation de handicap. Il ne s’agit pas seulement de garantir l’égalité de traitement au sein de l’école, mais aussi de promouvoir l’intégration dans la société locale et de prévenir la discrimination.

Enseignement partiel dans l’école ordinaire possible

D’après les considérations du Tribunal fédéral, l’inscription au cours «Intégration des connaissances de base de l’année précédente» ne contredit pas en principe le droit à l’enseignement de base. Selon l’évaluation des juges, les deux élèves n’auraient pas été en mesure de maîtriser les matières du secondaire I sans une connaissance significative de la langue nationale. En outre, il était juste d’utiliser leurs années scolaires restantes pour les préparer à la transition vers la vie active au lieu de rattraper l’ensemble du programme antérieur.

Toutefois, cela ne justifiait pas le fait d’offrir aux enfants un enseignement uniquement dans deux matières sur une plus longue période, même si le niveau scolaire ne correspondait pas encore au niveau habituel des pairs du même âge. Selon la Haute Cour, il aurait été tout à fait possible en octobre 2017 de former partiellement les enfants dans l’école ordinaire. C’était particulièrement réalisable du fait que différents niveaux scolaires sont disponibles dans le secondaire I. Dans le cadre de l’école ordinaire, l’acquisition des connaissances requises en allemand aurait également pu se faire plus rapidement que dans un enseignement séparé. L’insertion des enfants dans les programmes d’intégration du Canton était inadmissible dans sa durée et dans sa forme.

Le Tribunal fédéral a ainsi admis les recours et annulé les arrêts du Tribunal cantonal du 28 août 2018. En raison de l’âge plus avancé des plaignants et du manque de connaissance de leur situation scolaire ou professionnelle actuelle, le Tribunal fédéral a décidé de ne pas rendre obligatoire le placement dans une classe donnée et de renvoyer l’affaire devant le Conseil municipal de Zoug pour réévaluation.

L’enseignement spécial en tant que mesure spéciale temporaire

Outre l’article 19 de la Constitution fédérale, la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (CDE) institue le droit à l’éducation pour chaque enfant (art. 28 CDE) qui vise à préparer tous les élèves à une vie responsable (art. 29 CDE).

A l’instar de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (art. 24 CDH), les enfants étrangers et les enfants demandeurs d’asile qui ne sont pas suffisamment scolarisés et qui entrent tardivement dans le système scolaire suisse ont également droit à une insertion scolaire exempte de discrimination et fondée sur l’égalité des chances.
La Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes en situation de handicap précise à l’article 20 alinéa 2, que les cantons «encouragent l’intégration des enfants et adolescents en situation de handicap dans l’école régulière par des formes de scolarisation adéquates». Par analogie, une scolarisation de qualité inférieure ou ségréguée pour les enfants étrangers viole le droit international, les lois nationales et l’interdiction de la discrimination prévue dans la Constitution suisse (art. 8 Cst.).

La scolarisation à part des enfants demandeurs d’asile et des enfants étrangers doit rester une exception qui doit être justifiée et ne peut être appliquée que pendant une période très limitée. Il est vrai que ni le principe d’interdiction de la discrimination ni la Loi sur l’égalité pour les personnes en situation d’handicape n’ont pour but de conduire à l’intégration – trop précoce – des personnes concernées dans des classes ordinaires contre leur bien-être ou leurs intérêts. Toutefois, la fréquentation de l’école régulière doit être préférée à l’école spéciale pour autant qu’elle serve à la fois le bien de l’enfant concerné et préserve le droit de ses camarades à l’enseignement de base. L’exclusion des classes ordinaires avec des enfants du même âges et l’éventail très réduit des matières proposées dans les programmes spécifiques aux enfants migrants les privent la possibilité de combler rapidement leurs lacunes scolaires et de s’intégrer plus facilement dans la société locale. Elle jette en outre les bases de la discrimination et de la peur de l’étranger.