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Notre regard

Éditorial | Pour une société plus juste et solidaire

« Sans stabilité, on ne peut pas se développer et s’intégrer ». L’homme a environ 55 ans. Père de deux enfants de 8 et 11 ans, il a quitté la Syrie en guerre et trouvé refuge en Suisse. Il a dû abandonner sa maison, sa situation professionnelle et sociale, son environnement familier. Il devait bien s’imaginer que ce ne serait pas facile de retrouver une place dans ce pays inconnu. Mais sans doute pas de se retrouver dépossédé de sa stature de « chef de famille » parce qu’il peine à s’exprimer en français, qu’il n’a pu encore trouver de travail, que son statut d’« admis provisoire », le permis F, le limite dans les décisions qu’il peut prendre.

Illustration : Hani Abbas

Comme tant d’autres, il est prêt à remonter ses manches, à apprendre la langue, à apporter son expérience et ses connaissances. La Suisse est le seul pays dans lequel il peut vivre en sécurité avec sa famille. Or, comme tant d’autres, il se heurte à un plafond de verre, celui de l’âge. Le fréquent refus observé à Genève d’octroyer des cours de français aux personnes de plus de 50 ans (p. 4) est l’une des surprises que nous avons eues en nous plongeant dans ce dossier.

Comme si ces hommes et femmes n’avaient plus rien à projeter, à construire, à donner. Le plus grave, c’est qu’en leur refusant l’accès à la langue, on leur ferme la porte d’une stabilisation de leur séjour à long terme au vu des critères retenus par l’administration, leur offrant comme seule perspective la précarité et la dépendance. L’analyse de la pratique vaudoise montre que ce sont avant tout les personnes jeunes et valides qui ont une chance de voir leur statut stabilisé (p. 8).

Cette vision de l’intégration étriquée et utilitariste est révélatrice de la façon dont notre société traite ses « seniors ». Une mise à l’écart que subissent de plein fouet celles et ceux qui se retrouvent soudain sans emploi à plus de cinquante ans. Ce sentiment d’être mis hors-jeu alors qu’on a tant de choses à donner, à construire, qu’on se sait encore en pleine possession de ses moyens, est une souffrance qui peut toucher tout un chacun, quel que soit son statut ou origine.

Dans la course aux élections fédérales de novembre, c’est leur expérience de vieux sages qu’ont défendue certains candidats sortants face aux jeunes générations, relevant qu’eux aussi étaient représentatifs d’une partie de la société. L’exemple de cet ancien médecin syrien réfugié en Suisse, qui s’engage aujourd’hui pour « rendre quelque chose à cette vie qui [lui] a tant donné » montre combien l’âge importe peu et combien les expériences passées peuvent contribuer à un meilleur vivre ensemble (p. 2).

Si, aujourd’hui, on veut lutter contre les montées du populisme en Europe et dans le monde, il est essentiel de ne laisser personne à la traîne ou dans la crainte d’être relégué hors de la marche du monde. Car c’est l’insécurité sociale, la perte de liens et de valeurs qui fait le lit du rejet et de la xénophobie.

On nous taxera d’idéalistes. Mais nous assumons le fait que prôner une coexistence des générations, des sexes, des origines, valoriser la diversité des compétences et des ressources est la seule voie possible pour une société plus juste et solidaire.

SOPHIE MALKA