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Notre regard

Ailleurs, par Alan Tito Mabiala

Ailleurs, Alan Tito Mabiala, 5 Sens Éditions, 2019

Loin, très loin de chez soi, sous d’autres cieux qui ne sont pas les nôtres

«Ailleurs» est un livre qui arpente les rues, les métros, les ascenseurs, les trains suisses. Alain Tito Mabiala arrive admirablement à nous faire revivre ces interactions qui font l’espace public au quotidien. Cette panne de métro où l’angoisse claustrophobe envahit subrepticement l’espace. Ou encore ces regards à peine échangés lorsqu’un homme vêtu misérablement hausse le ton dans un soliloque individuel. Mais toute l’originalité d’«Ailleurs» repose sur la perspective donnée. Le protagoniste est un homme migrant en quête de protection qui, « au pays des droits de l’homme», échoue au régime de l’aide d’urgence durant des années. Car sans le dire vraiment c’est de son vécu en Suisse dont traite Alain Tito Mabiala, le journaliste qui a dû fuir son Congo natal.

La lecture dévoile le regard acerbe, mais non sans humour, de l’auteur. Il décrit le fossé qu’il voit se creuser entre lui, l’immigré, et les autres. Au fil d’une quinzaine de nouvelles, le recueil fait résonner les voix des professionnels qui s’adressent au protagoniste en le tutoyant, pose un regard intrigué sur les autres personnes qui, comme lui, détonnent au quotidien, comme ce maître de yoga qui se fait lécher par des chats sur un parking en bitume ardent. Mais suit aussi le regard du protagoniste qui se perd au fond de ce tunnel sans lumière, «dans mon palace de Préverenges sous la terre humide».

Cet article a été publié dans un cahier spécial de la revue Vivre Ensemble, qui propose une sélection de livres et BD sur la thématique de l’exil. À télécharger ici ou en cliquant sur l’image ci-dessus.

Dans l’espace public, l’homme croise, effleure, dialogue avec des femmes qui régulièrement réveillent ses pulsions sexuelles. Cet aspect de l’écriture dérange car celles-ci sont alors réduites à une enveloppe charnelle excitante. Est-ce l’expression du fait que le sentiment d’exclusion est si dévastateur qu’il l’excluerait de sa propre condition humaine ? Ressentir ces désirs intenses comme une forme d’affirmation de l’être? Similairement, sa découverte de la consommation de Marijuana est poétiquement décrite comme un moment de liberté face à ce qui, petit, lui avait été défendu et qui aujourd’hui lui permet de s’échapper… ailleurs, loin de son amère réalité.

«Ailleurs» donne donc à voir, à sentir, à entendre et à ressentir des sentiments très intimes sans pudeur ou censure d’un homme exilé qui se voit dépérir devant nos yeux aveugles par manque de considération, de respect et de reconnaissance.

GIADA DE COULON