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Notre regard

Portrait | Georges Kurdy, médecin syrien retraité et bénévole

Georges Kurdy arrive à Genève en décembre 2014. D’origine syrienne, ce médecin, alors âgé de 64 ans décide avec son épouse de fuir son pays suite à l’explosion de deux bombes posées devant la porte de sa maison. À cette période, la vie est de plus en plus difficile à Damas non seulement en raison de la guerre et des dangers qui y sont liés, mais aussi des tensions entre les différentes communautés religieuses et du manque de travail qui se fait ressentir. Lorsque sa femme et lui décident de laisser cette vie-là derrière eux, ils hésitent encore entre la France, la Suisse et la Belgique du fait que leurs enfants y résident. Médecin généraliste de référence pour la communauté francophone de Damas, Georges Kurdy entretient des échanges avec un médecin genevois qui envisage de l’engager à son arrivée en Suisse. Le couple décide donc de se rendre à Genève et c’est avec un visa touristique qu’il entre sur le territoire. Mais les chose ne se passent pas comme prévu..

La promesse d’engagement sur laquelle Georges Curdy comptait se heurte au refus d’autorisation du médecin cantonal, probablement en raison de son âge. À l’expiration de leur visa, Georges et sa femme décident de déposer une demande d’admission provisoire au canton.
Par ailleurs, l’inactivité pèse sur le moral de Georges, habitué à s’occuper des autres, à une vie indépendante. En plein hiver, après une courte période de « déprime », il décide de prendre les choses en main: « Je me suis dit que je ne pouvais pas rester comme ça».

Il pousse alors la porte du bénévolat : une amie lui parle de Caritas. Il y suit une formation pour l’accompagnement des personnes âgées. Les choses s’accélèrent lorsqu’il se rend au Centre social protestant pour un rendez-vous avec l’une des juristes du secteur réfugié. Dans la salle d’attente, une réceptionniste peine à se faire comprendre d’un homme, Syrien lui aussi et lui demande de l’aide. C’est ainsi que Georges Kurdy débute sa carrière d’interprète informel et bénévole. Depuis, Georges a retrouvé un rythme qui lui convient.

« Ma vie est meublée d’activités bénévoles (…). Je suis actif, je me sens utile et ça correspond à mes convictions humaines et religieuses (…) Je sais que par rapport à d’autres, je suis très chanceux: je n’ai pas risqué ma vie en venant en Suisse, par exemple. Donner de mon temps me permet de rendre quelque chose à cette vie qui m’a tant donné ».

Georges se crée alors tout un réseau. Il s’intègre rapidement grâce à son engagement, sa parfaite maîtrise du français et sans doute aussi à son caractère ouvert et curieux. Il constate parallèlement com- bien les seniors sont les grands oubliés des offres d’activités et mesures d’insertion ou d’intégration de l’Hospice général à Genève. C’est ainsi qu’en 2018, soit trois ans et demi après son arrivée à Genève, il s’inspire de l’initiative de son épouse, qui a créé un cercle de rencontre de femmes, et met en place un groupe pour les hommes de plus de 50 ans (cf p. 4). Il convainc quelques retraités suisses de le rejoindre, le but étant d’aider les seniors arabophones à s’intégrer à Genève par ces moments d’échange.

Le groupe se réunit deux fois par mois à la Maison de la Paroisse. Lors de ces rencontres, Georges enfile son habit d’interprète. Une grande variété de thèmes sont abordés : l’Histoire, la citoyenneté, l’accès à la santé, etc. Les discussions se construisent de fil en aiguille selon les interrogations de ses contemporains.

Et beaucoup de ces questions tournent autour de l’intégration. Pour Georges, il est certain que la langue est l’obstacle prépondérant dans ce processus. Mais c’est surtout « qu’il y a beaucoup de choses derrière la langue ». Il nous explique que la plupart de ces hommes n’étaient jamais sortis de leur pays auparavant. Certains « avaient des idées préconçues par rapport à la Suisse », s’attendaient à rapidement pouvoir travailler, apprendre le français. Et qu’ils sont tombés de haut. Il observe ainsi que ses pairs ont le sentiment d’être marginalisés, qu’ils sont frustrés par les obstacles administratifs, souvent liés aux permis, qu’ils doivent affronter. Ces rencontres sont alors un moyen de recréer du lien, d’appréhender les codes de la société d’accueil, de retrouver leur identité et leur dignité, mises de côté depuis leur arrivée en Suisse.

De par son grand engagement bénévole, mais aussi de par le rôle qu’il endosse au sein de ce groupe, Georges est un exemple. Il démontre que les seniors ont un bagage à apporter à la société, si on leur en laisse la possibilité.

DANIELA CAMELO