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Notre regard

Reportage | Café-croissant avec des seniors

«NOUS VOULONS NOUS INTÉGRER! MAIS COMMENT FAIRE SANS APPRENDRE LE FRANÇAIS ?»

Une dizaine d’hommes se saluent, en ce matin d’automne ensoleillé, devant la Maison de la Paroisse située au cœur de la Cité de Calvin. Distingués, élégants, cheveux blancs ou grisonnants, ils sont là autour de Georges Kurdy, médecin retraité ayant dû fuir Damas en 2014. L’homme a constitué il y a un an cette sorte d’amicale de seniors, réunissant des réfugiés comme lui et d’autres retraités désireux d’apporter leur aide ou de partager des moments conviviaux autour d’un café et de croissants, une à deux fois par mois. Parfois ils invitent un spécialiste, pour mieux comprendre les rouages helvétiques et genevois. Leur point commun : avoir plus de 55 ans et une affinité avec la culture orientale. Se mélangent un expatrié, un conseiller paroissial, un Irakien, un Palestinien, des Syriens. Parmi les exilés, certains sont arrivés grâce à leur travail, ont déjà un passeport suisse, tandis que d’autres cherchent à améliorer la précarité imposée par leur statut d’« admis provisoire », ce permis F délivré par la Suisse aux réfugiés de la guerre. Reportage. 

Nous sommes les deux seules femmes de cette rencontre, en ce mardi du 14 octobre 2019, organisée dans une salle paroissiale à deux pas du Bourg-de-Four. Nous souhaitons appréhender les difficultés auxquelles sont confrontés les seniors relevant du domaine de l’asile, et Georges Kurdy nous y a conviées.

Les hommes présents sont souriants et attentionnés. Ils sont tous sur leur trente-et-un. L’un d’eux propose des cafés à la ronde. Comme la plupart sont arabophones et ne parlent pas ou peu le français, Georges endosse le rôle d’interprète. Alors que nous sommes là pour les écouter et nous imprégner de la dynamique de ce groupe, nous pas- sons la première heure à répondre aux interrogations de ces hommes, curieux de comprendre ce qu’est une association sans but lucratif, quel est notre lien avec l’État, comment nous allons pouvoir changer les choses, etc. «En Syrie, les médias ne sont pas indépendants, ils portent la voix du pouvoir », rappelle Georges Kurdy, lorsque nous évoquons notre action auprès des médias romands.

La langue, vecteur d’intégration

Ce n’est qu’une fois ce cadre posé que nous pouvons les questionner, un à un, sur leur vision de l’intégration et les obstacles qu’ils rencontrent. Au cours de la discussion, plusieurs points ressortent, mais la langue semble être un enjeu central. La plupart peinent à apprendre le français, et peu de mesures leur sont accordées en ce sens. « On leur refuse des cours de français parce qu’ils sont trop âgés », traduit Georges. Un refus auquel ils se sont tous heurtés, qui les conforte dans l’impression d’être mis de côté des mesures d’insertion. Or, comment s’intégrer lorsque l’on ne parle pas la langue ?

Le travail est un élément important de l’intégration, ajoutent-ils. L’activité professionnelle permet non seulement de se créer un réseau, mais aussi et surtout de se sentir utile, de retrouver une certaine dignité et de ne plus dépendre financièrement de l’aide sociale. Or, trouver ne serait-ce qu’un petit job sans parler le français est une vraie gageure. Il va sans dire qu’à cette difficulté s’ajoutent l’âge, la reconnaissance des diplômes, l’absence de propositions de formation et mesures d’insertion – l’âge étant à nouveau un facteur d’exclusion – ou encore le permis F, qui a un effet dissuasif sur les employeurs qui le perçoivent comme instable.

Pour les hommes qui sont en face de nous, l’intégration passe également par la participation à la vie sociale, par le fait de pouvoir venir en aide aux gens autour d’eux et être ouvert aux autres, par le vivre ensemble. Mais de nouveau, comment faire tout cela lorsque l’on ne maîtrise pas le français ?
L’aspect provisoire du permis F et le sentiment d’instabilité qui en découle sont d’ailleurs souvent évoqués. « Tout développement nécessite un sentiment de stabilité. Sans stabilité, on ne peut pas se développer et s’intégrer », commente un des participants. Et les droits restreints liés à ce statut – par exemple l’interdiction de voyage hors de Suisse – sont perçus comme particulièrement difficiles. C’est ce qui ressort aussi d’un questionnaire que chacun des participants a rempli, visant à identifier les obstacles qu’ils rencontrent dans leur parcours d’intégration.

L’accès à un statut de séjour plus stable ne pourra se réaliser sans changement dans la politique d’accueil et d’intégration à l’égard des plus âgés, qui souffrent doublement de la marginalisation que réserve notre société aux «vieux». L’exigence d’être indépendant financièrement,d’avoir un travail stable, de maîtriser une langue nationale pour l’obtention d’un permis B leur est de facto rendue impossible à atteindre actuellement. Et cela, ils en sont parfaitement conscients . L’ appréciation des critères d’intégration par les autorités cantonales revêt alors toute son importance.

DANIELA CAMELO ET SOPHIE MALKA