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Documentation

Délit de solidarité | Solidarité sans frontières et Amnesty fustigent la pratique suisse

Dans un communiqué du 04 mars 2020, Solidarité sans frontières (SOSF) dénonce le rejet par le Conseil national de l’initiative parlementaire « En finir avec le délit de solidarité » de Lisa Mazzone. L’association rappelle la marge de manœuvre qu’ont les juges qui peuvent décider d’abandonner les charges ou d’acquitter les peines. Selon un récent rapport d’Amnesty international observant les pratiques européennes en la matière, la législation suisse de pénalisation de la solidarité est spécialement rigide car elle ne distingue pas clairement les actes de solidarité des activités criminelles.

Pour rappel, le 28 septembre 2018 Lisa Mazzone a déposé une initiative parlementaire 18.461 «En finir avec le délit de solidarité»  qui avait pour but de  modifier l’article 116 de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) de sorte que celle ou celui qui prête assistance ne soit pas punissable si ses mobiles sont honorables. En soutien à cette initiative, le 4 décembre 2019, les associations de défense des droits humains Solidarité sans frontières et Amnesty International Suisse ont remis aux services du parlement la pétition «La solidarité n’est pas un crime», signée par 29’281 personnes, et la «Déclaration des avocat-e-s de Suisse sur le délit de solidarité» signée par plus de 200 avocat-e-s. Or,  cette initiative a été rejetée par le Conseil national ce mardi 4 mars 2020. Solidarité sans frontières (SOSF) a pris position sur ce rejet:

« En rejetant l’initiative « En finir avec le délit de solidarité », le Conseil national a raté l’opportunité de faire honneur à la tradition humanitaire de la Suisse. Mais la lutte ne s’arrêtera pas là ! Solidarité sans frontières continuera de soutenir les personnes condamnées dans les cas de recours, de faire connaître leurs histoires et de s’engager pour faire changer cette loi qui est non seulement inhumaine, mais est aussi une aberration juridique. Solidarité sans frontières tient aussi à rappeler que les juges ont une grande marge de manœuvre et peuvent décider d’abandonner les charges ou d’acquitter les peines. Plusieurs jugements étant actuellement en cours (Anni Lanz, Lisa Bosia und Norbert Valley notamment), nous encourageons les juges à abandonner les charges contre ces personnes qui ont agi de manière désintéressée. »
Solidarité sans frontières, La lutte pour l’abolition du « délit de solidarité » continue, communiqué du 04 mars 2020

Une pratique législative suisse jugée spécialement rigide

Le 3 mars 2020, Amnesty a publié un rapport « Criminalisation de la solidarité en Europe et en Suisse », qui analyse l’ensemble des pratiques dans le paysage européen et Suisse : « Dans toute l’Europe, des personnes sont poursuivies en justice et harcelées pour des actes de solidarité envers des réfugiés et des migrants. Dans un nouveau rapport, Amnesty International exhorte les États européens, notamment la Suisse, à modifier les lois régissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers de sorte que les personnes qui agissent par solidarité et compassion ne soient plus sanctionnées. » Amnesty dénonce la rigidité de la législation suisse, qui ne distingue pas clairement les actes de solidarité des activités criminelles de passeurs recherchant le profit : « en criminalisant les actes de solidarité, la Suisse ne respecte pas l’esprit du droit international. »

Dans le paysage européen, la Suisse semble donc spécialement rigide dans son application de sanctions envers une aide désintéressée aux personnes réfugiées. En France, le 27 février 2020, la cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, affirme dans sa décision que:  « L’aide au migrants, individuelle ou «militante» et organisée, ne doit pas être poursuivie.  » Elle précise ainsi « le périmètre de l’immunité assurée par le principe de fraternité dans la loi française. » L’arrêt n°33 du 26 février 2020 (19-81.561) – Cour de cassation – Chambre criminelle peut être consulté sur le site de la Cour de Cassation

Les publications d’Amnesty:
– Amnesty, communiqué du rapport – Criminalisation de la solidarité en Europe et en Suisse, 03 mars 2020
– Amnesty, résumé du rapport – Compassion sanctionnée: la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe, 03 mars 2020
– Amnesty, enquête – En Europe, la solidarité au banc des accusés, 03 mars 2020

Retrouvez aussi les articles de Vivre Ensemble sur le délit de solidarité:
asile.ch, « SOSF | La solidarité n’est pas un crime: près de 30’000 signatures déposées« , 05 décembre 2019
asile.ch, « Solidarité sans frontières | 116 avocat-e-s contre le délit de solidarité« , 20 juin 2019
Vivre Ensemble, « Délit de solidarité | Calculs d’apothicaires », 15 avril 2019

Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de presse d’Amnesty en lien avec le rapport « Compassion sanctionnée: la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe » :

Criminalisation de la solidarité en Europe et en Suisse

Communiqué de presse publié le 3 mars 2020, Londres/Berne.

Dans toute l’Europe, des personnes sont poursuivies en justice et harcelées pour des actes de solidarité envers des réfugiés et des migrants. Dans un nouveau rapport, Amnesty International exhorte les États européens, notamment la Suisse, à modifier les lois régissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers de sorte que les personnes qui agissent par solidarité et compassion ne soient plus sanctionnées.

Dans le rapport intitulé Compassion sanctionnée: la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe, l’organisation montre comment la police et les magistrats s’en prennent à des défenseurs des droits humains qui aident les réfugiés, demandeurs d’asile et migrants, en utilisant des lois sur les étrangers, contre les passeurs ou des mesures antiterroristes. Le rapport étudie des cas de défenseurs des droits humains poursuivis pour des motifs fallacieux entre 2017 et 2019 en Croatie, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, à Malte, au Royaume-Uni et en Suisse.

«Les autorités cherchent à limiter et à dissuader les arrivées en Europe, et considèrent comme une menace le simple fait d’aider les réfugiés et les migrants à se sentir accueillis ou plus en sécurité. En sanctionnant les gens qui redoublent d’efforts pour combler les lacunes des pouvoirs publics, les gouvernements européens exposent les personnes fuyant leur pays à un danger encore plus grand», a déclaré Manon Schick, directrice d’Amnesty Suisse lors de la conférence de presse.

Poursuivis en justice pour avoir offert un abri et des vêtements chauds

Dans beaucoup des exemples cités dans le rapport, l’«aide à l’entrée irrégulière» sur le territoire est le chef d’inculpation qui a été utilisé contre les personnes et les ONG poursuivies pour diverses actions humanitaires et de solidarité tel que le sauvetage en mer ou le don d’un hébergement et/ou de nourriture. Par exemple, le Français Pierre Mumber, guide de haute montagne, a été jugé pour «aide à l’entrée irrégulière» d’étrangers en France, pour avoir offert du thé et des vêtements chauds à quatre personnes demandeuses d’asile originaires d’Afrique de l’Ouest. Il a finalement été acquitté en appel.

«Les États européens, notamment la Suisse, doivent modifier les lois relatives à l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers en intégrant dans la définition de ces infractions la condition d’un profit matériel injuste. Cela empêcherait que ces lois ne soient utilisées pour sanctionner des actes de solidarité et d’humanité», a observé Rym Khadhraoui, chercheuse à Amnesty International et l’une des autrices du rapport.

La Suisse particulièrement restrictive

En 2018, 972 personnes ont été condamnées en Suisse pour violation de l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). Pourtant, seuls 32 cas concernaient réellement des passeurs ou des personnes tirant profit de cette activité. Hormis 58 jugements liés à des activité rémunérées illégales, les 900 autres condamnations ont été prononcées à l’encontre de personnes agissant par solidarité, compassion, devoir familial ou dans le cadre d’un mariage.

L’article 116 de la LEI portant sur «l’incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux», ne prévoit pas d’exemption de peine – même si l’aide se fait pour des motifs honorables. Certaines personnes condamnées, dont un pasteur, ont été sanctionnées pour avoir simplement hébergé des étrangers ou les avoir aidés à demander une protection. Pire, même des cas de simple assistance familiale ou amicale ont été condamnés.

Avec sa législation rigide qui ne prévoit pas d’exception pour les personnes qui agissent par solidarité, la Suisse est de plus en plus un cas particulier. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède, le Portugal, la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, Malte et Chypre prévoient une exemption de peine en cas de motif humanitaire en ce qui concerne l’aide au séjour illégal. Une peine est prononcée seulement dans les cas où «l’aide» est orientée vers le profit.

Vers une modification législative en Suisse

Un débat parlementaire susceptible d’entraîner une modification de la législation relative à l’aide à l’entrée irrégulière va se tenir dans les prochains jours au Conseil national, qui traitera de l’initiative déposée en ce sens par Lisa Mazzone. «Nous exhortons le Parlement à changer la législation pour que seules les personnes qui tirent un profit matériel injuste de l’aide aux personnes sans statut légal soient condamnées. À minima, la législation devrait prévoir une clause humanitaire qui permettrait de ne pas condamner les personnes ayant agi par solidarité. La solidarité n’est pas un crime et la Suisse doit montrer l’exemple», a conclu Reto Rufer, expert sur les questions de l’asile à Amnesty International Suisse.

Le droit international requiert de protéger la solidarité

Le droit international et les directives européennes font une distinction très nette entre acte de solidarité et la traite d’êtres humains. La lutte de l’ONU contre la criminalité des passeurs vise uniquement les faits où des avantages financiers ou matériels sont en jeu. Par ailleurs, dans sa déclaration sur la protection des défenseurs des droits humains, l’ONU appelle tous les États à protéger ces personnes et à ne pas les poursuivre pour leurs activités. En criminalisant les actes de solidarité, la Suisse ne respecte pas l’esprit du droit international.