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Notre regard

Intégration | Camarada: un accueil inconditionnel, une formation adaptée aux femmes

Lorsque l’on parle de formation, il est important de souligner la grande variété des publics. Que ce soit en termes de genre, de qualifications, d’âge ou de parcours de vie, nos caractéristiques personnelles ont un impact sur nos apprentissages. Discussion entre Carole Breukel, responsable de formation, et Nadia Metral, responsable des ateliers pratiques au sein de l’équipe de Camarada, centre d’accueil, de formation et d’insertion professionnelle pour femmes migrantes à Genève.

Camarada / Photo: Jean Mohr

CAROLE BREUKEL · À l’heure actuelle, où les lois changent et où il devient de plus en plus nécessaire de valider ses compétences linguistiques pour stabiliser son droit de séjour, l’apprentissage du français prend toujoursplusd’importance.L’approchese doit d’être globale et adaptée au public. À Camarada, la plupart des apprenantes sont peu ou pas scolarisées. Et 80% des personnes analphabètes dans le monde sont des femmes, d’où l’importance d’une approche genrée. La question de l’accès à la formation se pose également ici, à Genève. Il est important de penser l’offre de manière adéquate pour en faciliter l’accès. Notre enseignement du français se base sur une approche phonologique par un code couleurs, et non sur l’alphabet, dont l’apprentissage vient ultérieurement. Cela permet de pas- ser outre les difficultés liées à l’écriture, notamment pour les apprenantes qui n’ont jamais appris à écrire ou celles qui ne connaissent pas l’alphabet latin. Par ailleurs, nombre de participantes à nos cours sont mères, raison pour laquelle nous avons calqué nos horaires sur le calendrier scolaire et avons développé un lieu d’accueil destiné aux tout jeunes enfants pour celles qui n’ont aucun moyen de garde. Les participantes ont accès aux cours et ateliers sur 3 demi-journées par semaine, ce qui laisse le temps de s’immerger dans l’apprentissage, mais sans que cela ne soit trop intensif.

NADIA METRAL · Oui, la question de la temporalité est importante. Il y a un temps d’immersion dans le lieu de formation. Aussi bien sur le long terme qu’au quoti- dien. Cela afin de trouver ses marques et de créer du lien. La dimension relationnelle est très importante pour favoriser l’apprentissage, le temps est nécessaire pour valoriser la personne et ses progrès. Particulièrement pour une partie de notre public qui rencontre des difficultés liées à son parcours migratoire. On se trouve face à des femmes qui doivent affronter la perte de leurs repères, l’éclatement des familles, les angoisses liées au droit de séjour, des difficultés psychiques liées à des états de stress post-traumatique… Dans ces conditions, il est vraiment difficile d’apprendre une langue et de répondre aux exigences d’examen.

RECONNAÎTRE QUE L’ON DOIT APPRENDRE, C’EST S’EXPOSER

CAROLE · Justement, les ateliers pratiques (gym, yoga, couture, cuisine, bijoux) que nous proposons en complément des cours de français permettent d’ancrer les apprentissages cognitifs. On parle de mémoire auditive, visuelle ou kinesthésique, mais j’aimerais souligner aussi la mémoire affective. Les personnes analphabètes ont moins la possibilité d’utiliser un esprit de synthèse ou une capacité d’abstraction. Les ateliers permettent ici de mobiliser leurs ressources et de favoriser l’apprentissage par une autre forme de mémoire. Il est important d’être dans l’action, d’agir et de mettre en lien les apprentissages avec le concret du quotidien. On apprend une recette en la faisant, pas en la lisant. Et je reviens sur ce que tu disais concernant la création du lien. Ici, il s’agit de créer du lien dans un espace rassurant, « sécurisé », où l’on peut rencontrer des personnes vivant des situations similaires. J’aime bien dire que Camarada n’est pas seulement un lieu de formation: notre objectif est de rompre l’isolement afin de renforcer la capacité d’agir des personnes, qu’elles puissent prendre conscience de leurs compétences et (re)construire leur estime d’elles-mêmes. Pour certaines qui ont un plus petit bagage scolaire, le chemin sera plus lent et elles prendront le temps nécessaire pour se former dans notre association. Pour d’autres, ce sera simplement un tremplin et elles viendront pour un ou deux semestres. Je pense qu’en offrant un enseignement adapté aux plus vulnérables, on touche finalement le public le plus large possible, en n’excluant personne.

NADIA · En effet, ne dit-on pas qu’on peut évaluer la qualité d’une société à sa capacité d’intégrer les plus vulnérables? Lorsqu’une femme vient s’inscrire ici, il arrive que cela soit dû à une injonction administrative. Mais c’est surtout une prise de conscience que même en tant qu’adulte, on a encore des choses à apprendre. Reconnaître que l’on doit apprendre, c’est s’exposer. En cela, nos usagères sont remarquables.

CAROLE · Je pense que ce qui est primordial, c’est un accueil et une bienveillance inconditionnels de la personne, dans toute sa richesse et sa complexité. Le processus d’intégration doit être réciproque pour fonctionner.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANOUK PIRAUD