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Heidi News | Comment le coronavirus frappe de plein fouet migrants et demandeurs d’asile en Italie

Depuis que la plus grande et la plus meurtrière des épidémies de coronavirus en Europe a poussé le pays à prendre des mesures de confinement strictes, l’avenir de dizaines de milliers de migrants et de demandeurs d’asile en Italie – tout comme celui de millions d’Italiens – est devenu plus incertain. Cet article est issu d’un partenariat du média genevois Heidi News avec The New Humanitarian. Lire la version originale en anglais ici

L’article « Comment le coronavirus frappe de plein fouet migrants et demandeurs d’asile en Italie » a été publié le 25 mars 2020 sur Heidi News. Il constitue une traduction (réalisée par Emmanuelle Hazan) d’un article rédigé par Stefania D’Ignoti pour The New Humanitarian, service d’information à but non lucratif qui couvre les crises humanitaires: « How Coronavirus hits migrants and asylum seekers in Italy » (16.03.2020) Nous remercions ces deux médias de nous autoriser à reproduire son contenu sur notre page.

Comment le coronavirus frappe de plein fouet migrants et demandeurs d’asile en Italie

par Stefania D’Ignoti (The New Humanitarian), Catane

Traduit en français par Emmanuelle Hazan pour Heidi News

Depuis que la plus grande et la plus meurtrière des épidémies de coronavirus en Europe a poussé le pays à prendre des mesures de confinement strictes, l’avenir de dizaines de milliers de migrants et de demandeurs d’asile en Italie – tout comme celui de millions d’Italiens – est devenu plus incertain. Cet article est issu d’un partenariat avec The New Humanitarian. Lire la version originale en anglais ici

Depuis le 21 février dernier, date où les premiers cas ont été reconnus officiellement, près de 69’927 personnes en Italie ont été testées positives au COVID-19 (en date du 24 mars) et plus de 6’000 décès ont été enregistrés. Tout le pays vit sous une stricte quarantaine. Des mesures qui limitent notamment les opérations d’aide aux migrants et aux demandeurs d’asile, eux-mêmes menacés par le virus.

Par exemple, tous ceux qui se trouvaient à bord de deux navires de sauvetage ayant recueillis des centaines de migrants en Méditerranée ont été soumis à une quarantaine obligatoire de deux semaines, après avoir accosté dans les ports italiens. Et dans toute l’Italie, les services d’intégration des migrants et des demandeurs d’asile ont également été temporairement suspendus ou fortement réduits.

Les positions politiques sur la migration se sont également durcies.

En Sicile, où la majorité des migrants arrivent, le président de la région, Nello Musumeci, a critiqué la décision du gouvernement central de maintenir les ports ouverts aux navires de migrants fin février, la décrivant comme « une mesure sévère qui ne tient pas compte de la dignité des migrants ni des inquiétudes des Siciliens lors d’une telle urgence sanitaire ».

Mais d’autres, comme Sergio Pintaudi, ancien chef du service de réanimation de l’hôpital Garibaldi Centro dans la ville portuaire de Catane, sont plus soucieux d’aider les migrants et les demandeurs d’asile.

Des migrants qui attendent d’être secourus par l’Ocean Viking, opéré par SOS Méditerrannée et MSF, en septembre 2019 (AP Photo/Renata Brito)

Selon M. Pintaudi, qui a été médecin spécialiste dans ces « hot spots » d’arrivée des migrants en Sicile pendant une décennie, les migrants qui parviennent à traverser la Méditerranée sont généralement en meilleure santé. Il avertit toutefois que chez certains, la détention en Libye pouvait avoir endommagé leur système respiratoire, les rendant plus vulnérables aux effets du coronavirus.

« La maladie la plus courante que j’ai guérie dans les centres d’accueil est la tuberculose, a déclaré M. Pintaudi. Aujourd’hui, le principal problème pour les migrants potentiellement malades sera de trouver des lits dans des hôpitaux actuellement au point de rupture. L’épidémie va toucher surtout les catégories vulnérables et marginalisées, qu’il s’agisse des Italiens ou des migrants ».

Les migrants ignorent souvent qu’ils disposent des mêmes droits en matière de soins de santé que les citoyens italiens, et certains ont peur de se manifester, craignant que leurs papiers ne soient vérifiés.

« L’épidémie va toucher surtout les catégories vulnérables et marginalisées, qu’il s’agisse des Italiens ou des migrants ».

Le premier cas d’un migrant en Italie ayant contracté COVID-19 a été signalé le 16 mars dans un centre d’accueil à Milan. L’homme, qui ne présentait que des symptômes légers, a été placé en quarantaine et la moitié des 160 migrants du centre auraient été déplacés dans un autre bâtiment de la ville.

L’Italie ne dispose que de 4 000 lits de soins intensifs – dont environ 350 en Sicile – et les médecins vont bientôt être confrontés au dilemme de devoir donner la priorité à ceux qui ont le plus de chances de survivre. Des centaines de tentes de triage ont été placées à l’extérieur des hôpitaux dans tout le pays afin de présélectionner ceux qui ont les meilleures chances de survie.

Les navires de migrants mis en quarantaine

Au moment même où les premiers grands foyers de cas de COVID-19 commençaient à apparaître dans le nord de l’Italie, deux navires de sauvetage de migrants – l’Ocean Viking et le Sea Watch-3 – ont accosté dans des ports de l’est de la Sicile, les 23 et 27 février.

A leur bord, plus de 450 migrants secourus ont été immédiatement mis en quarantaine dans des centres d’accueil à terre, conformément aux derniers protocoles gouvernementaux sur le coronavirus. Quant aux membres d’équipage, ils ont été mis en quarantaine séparément, à bord de leurs navires.

Gennaro Giudetti, médiateur culturel à bord du navire de sauvetage Sea Watch-3, qui a accosté dans le port de Messine, dans l’est de la Sicile, a déclaré au New Humanitarian que les nouveaux arrivants se faisaient une fausse idée de cette mesure.

« Quand nous avons dit aux personnes que nous avions sauvées qu’elles seraient mises en quarantaine à terre, elles ont pensé que c’était une mesure pour les protéger du virus en Italie. Nous pensons plutôt que c’était parce qu’ils craignaient que les migrants n’amènent avec eux plus de cas contagieux en Italie ».

Les personnes à bord de ces deux navires de sauvetage ont été les premières à être mises en quarantaine sur le sol italien – avant le verrouillage du pays. Selon M. Giudetti, aucun cas de COVID-19 n’a été enregistré à bord, et l’état de santé de chacun a été constamment surveillé.

« Il est peu probable que les migrants secourus sur des canots pneumatiques en provenance de Libye… contractent le virus là-bas », a-t-il déclaré.

L’absence de logique apparente derrière cette mise en quarantaine précoce a conduit les membres de l’équipage à considérer cette mesure comme discriminatoire et politique.

Dans un tweet, SOS Méditerranée – l’ONG qui gère l’Ocean Viking avec Médecins Sans Frontières – a dit espérer que l’épidémie de coronavirus n’augmentera pas la peur des Italiens face aux migrants et ne verra pas les politiciens s’en saisir comme prétexte pour empêcher les sauvetages.

Le Sea Watch-3 et l’Ocean Viking, dont les opérations sont suspendues en raison des difficultés logistiques causées par le chaos du coronavirus, étaient les deux derniers navires de sauvetage des ONG en opération en Méditerranée centrale – la route la plus fréquentée de la Libye à l’Italie, où au moins 10 000 migrants se sont noyés depuis 2015.

Sans aucune mission de sauvetage humanitaire depuis le 27 février en Méditerranée centrale, le risque de perdre d’autres vies en mer augmente.

On craint également que davantage de navires de migrants soient repoussés vers la Libye à cause du coronavirus; l’agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, a expressément mis en garde contre cette éventualité en raison des dangers auxquels les ressortissants de pays tiers seraient confrontés dans ce pays. Pourtant, le 28 février, un canot pneumatique avec 44 personnes à bord a lancé une demande de sauvetage. Après être resté 24 heures sans réponse, le bateau a été ramené en Libye par les garde-côtes libyens.

Les demandes d’asile ont ralenti

En raison des difficultés opérationnelles et logistiques causées par la pandémie, un certain nombre de services juridiques gérés par le Ministère italien de l’intérieur sont désormais limités.

Le personnel de police habituellement employé aux bureaux de l’immigration à des fins bureaucratiques a été réaffecté à des tâches d’urgence liées au coronavirus. Et les demandes et renouvellements de permis de séjour pour les étrangers ont été suspendus pendant 30 jours, à partir du 2 mars.

Les tribunaux seront également fermés jusqu’au 3 avril au moins: tous les entretiens pour déterminer le statut de réfugié ainsi que les audiences en appel pour un refus de demande d’asile ont été suspendus par le gouvernement. Ces suspensions ont débuté le 12 mars et se poursuivront au moins jusqu’au 25 mars, avec la possibilité de nouvelles prolongations.

Carlotta Sami, porte-parole du HCR pour l’Italie, a déclaré que les mêmes mesures qui s’appliquent aux citoyens italiens s’appliquent également aux demandeurs d’asile ou aux réfugiés, en termes de contrôles sanitaires et de mise en quarantaine si des symptômes COVID-19 sont détectés.

« Jusqu’à présent, le principal défi a été le manque d’informations dans des langues autres que l’italien, a-t-elle indiqué à TNH. Mais récemment, nous avons travaillé à la diffusion des directives du gouvernement dans les langues les plus courantes parmi les demandeurs d’asile, afin de leur permettre de comprendre et de suivre les bonnes mesures de précaution ».

Assistance réduite

Les services destinés aux demandeurs d’asile sont également touchés: les opérations d’aide à l’emploi et d’assistance juridique – gérées par l’État italien et par les ONG – ont été fortement réduites, tandis que les cours de langue italienne, très populaires et essentiels pour ceux qui tentent de s’intégrer, ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre.

Simone Alterisio, coordinateur des services de migration pour la Diaconie vaudoise d’Italie a expliqué comment les services d’emploi et autres services gérés par son ONG confessionnelle dans les centres communautaires de toute l’Italie ont été réduits en raison de l’obligation de se conformer aux nouvelles directives gouvernementales sur les coronavirus.

« Nous ne laissons désormais entrer dans nos bureaux qu’un seul [migrant ou demandeur d’asile] à la fois, ce qui réduit constamment le nombre de personnes que nous pouvons aider par jour, a-t-elle déclaré. Lorsque c’est possible, nous préférons faire notre travail par téléphone ».

Entre-temps, la plupart des vols en provenance et à destination de l’Italie ayant été suspendus, Mauro Palma, médiateur national pour les droits des personnes détenues, a exprimé sa crainte que les sept centres de rapatriement des migrants du pays ne deviennent des lieux à risque pour la santé.

Palma a déclaré que les 425 migrants en attente de rapatriement – dont la vie a été suspendue pendant des semaines – sont confinés dans une zone où les directives sanitaires sur le COVID-19, y compris les mesures de « distanciation sociale », ne peuvent être garanties, ce qui fait craindre une propagation du virus. La même préoccupation existe au sujet des ghettos dans les champs agricoles du sud de l’Italie, où les travailleurs migrants vulnérables et exploités vivent souvent dans des conditions sordides et avec peu de protection sanitaire.

L’épidémie de coronavirus a également été récupérée à des fins politiques par le parti italien d’extrême droite de La Ligue, dirigé par Matteo Salvini.

Alors qu’il était ministre de l’intérieur, de juin 2018 à septembre 2019, M. Salvini a pris des mesures répressives contre la migration, introduisant de nouvelles lois plus strictes et cherchant à mettre en accusation MSF et SOS Méditerranée pour avoir secouru des migrants en mer.

Le 21 février dernier, M. Salvini a suggéré de fermer les frontières aux migrants pour protéger les Italiens. Quelques jours plus tard, alors qu’aucun des cas de COVID-19 en Italie n’était lié à l’Afrique et que le continent ne comptait qu’un seul cas (en Égypte), il déclarait lors d’une conférence de presse à Gênes :

« Le gouvernement a sous-estimé le coronavirus. Permettre aux migrants de débarquer d’Afrique, où la présence du virus a été confirmée, est irresponsable ».

Dans un entretien téléphonique avec The New Humanitarian la semaine dernière, Antonio Mazzeo, ancien candidat de la Ligue au Parlement européen, a suggéré que les résidents locaux doivent avoir la priorité et que « les politiques de migration doivent passer au second plan ».

« Ce n’est pas une question de racisme, mais de bon sens, a déclaré M. Mazzeo. Cette situation pourrait conduire à un effondrement du système de santé national, en particulier dans le sud, qui dispose d’infrastructures plus faibles et où la plupart des migrants arrivent en premier ».

Le 5 mars, le conseil de la Ligue dans la région nord de la Lombardie – l’épicentre de l’épidémie de coronavirus en Italie – a toutefois demandé aux ONG humanitaires de mettre leur personnel médical à disposition pour affronter la crise. « Dans l’urgence, nous devrions tous mettre de côté nos différences idéologiques et aider de toutes les manières possibles », a déclaré M. Mazzeo.

Malgré l’urgence et la politisation accrue autour des questions de migration, les médias locaux ont également fait état au sein de la population d’une empathie croissante pour les migrants cherchant refuge en Europe. Une vidéo d’Italiens se précipitant dans les gares juste avant que les mesures de confinement obligatoire n’entrent en vigueur montre certains d’entre eux en train de dire: « Nous nous sentons comme des réfugiés ; nous aussi, nous courons ».

Traduction: Emmanuelle Hazan

Cet article a été publié à l’origine en anglais dans The New Humanitarian, un service d’information à but non luratif qui couvre les crises humanitaires . Vous pouvez lire l’original ici. The New Humanitarian n’est pas responsable de la traduction.

 

The New Humanitarian (anciennement IRIN News) est un service d’information à but non lucratif qui effectue des reportages au coeur des conflits et désastres pour informer sur la prévention des crises et leurs réponses. https://www.thenewhumanitarian.org/