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Secours en mer | L’Italie, Malte et Tripoli ferment leurs ports

Suite à l’annonce du 7 avril 2020 par l’Italie que ses ports ne peuvent plus être considérés comme sûrs, 4 ONG de secours en mer dénoncent cette manœuvre qui, prenant pour prétexte la crise sanitaire, ferme l’ensemble de ses ports à l’accueil de navires de sauvetage avec à bord des personnes en quête de refuge. Le 9 avril Malte a également annoncé la fermeture de ses ports, même si elle accepté de recevoir le soir même un navire avec 61 personnes migrantes rescapées en Méditerranée. Ce même jour, Tripoli a également annoncé que son port était clos en lien avec l’intensification des conflits sur son territoire. Un navire des garde-côtes libyens avec à son bord 280 personnes sauvées en mer se serait vu refuser le débarquement suite à cette décision. Cette semaine environ 500 personnes ont quitté les côtes libyennes pour rejoindre l’Europe. « Dans ces temps difficiles, il serait plus que jamais nécessaire de faire face à nos responsabilités au niveau européen pour pouvoir respecter l’obligation de sauvetage en mer.  » demandent les 4 ONG mobilisées dans leur communiqué.

Articles en lien

07.04.2020 .- L’Italie – par un décret signé par 4 ministres – annonce le 7 avril que l’Italie ne peut plus être considéré un POS (place of safety) pour les migrants interceptés par des bateaux battant pavillon étranger hors des eaux nationales. Lire le décret en italien.

09.04.2020.- Malte annonce le 9 avril la fermeture de ses ports. Lire l’article publié le 9 avril dans le quotidien Times of Malta (en anglais)

09.04.2020.- Tripoli refuse l’accueil d’un navire des gardes côtes libyens avec à son bord 280 personnes réfugiées, dont des femmes et des enfants. Lire l’article publié le 10 avril du médias indépendant basé à Bruxelles EUObserver (en anglais)

09.04.2020 – SOS Méditerranée publie le décryptage « La Méditerranée centrale en temps de pandémie » qui dresse un portrait précis et alarmant de l’impact de ces décisions sur les possibilités de secours en mer.  Ils concluent par ces mots:

Au vu de tous ces éléments de contexte, nos équipes sont particulièrement préoccupées par l’urgence humanitaire qui continue en Méditerranée centrale où la mortalité risque de grimper. Il est évident que la situation d’urgence sanitaire actuelle est extrême et déstabilise gravement les citoyens et les Etats européens. Néanmoins cette crise ne doit pas remettre en cause le droit et les conventions internationales. Des mesures permettant de débarquer rapidement les rescapés secourus dans un port sûr proche tout en garantissant la santé publique doivent être impérativement prises au niveau européen.

Nous reproduisons ci-dessous la prise de position des 4 ONG de secours en mer publiée le 9 avril 2020. Le site de l’ONG allemande Sea Watch la rend disponible également en allemand, anglais et italien.

“Sauver toutes les vies, sur terre comme en mer, est possible et nécessaire”

Il y a deux jours, le 7 avril, les ministères italiens des transports, de la santé, de l’intérieur et des affaires étrangères ont publié un décret urgent¹ affirmant que l’Italie, en raison de la crise actuelle du Covid-19, ne serait pas en mesure de fournir les “ports sûrs” obligatoires en vertu du droit international pour le débarquement des personnes en détresse sauvées en mer. Ceci est une déclaration commune de quatre ONG engagées dans le sauvetage en mer en Méditerranée :

Les ONG Sea-Watch, Médecins Sans Frontières, Open Arms et Mediterranea expriment leur désaccord face à la décision du gouvernement italien d’instrumentaliser l’urgence sanitaire actuelle afin de fermer leurs ports aux personnes secourues en mer par des navires battant pavillon étranger. Cette mesure semble viser, une fois de plus, les navires de recherche et de sauvetage issus de la société civile. En effet, dans le seul but de mettre fin aux activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée, et sans proposer une alternative pour sauver les vies de ceux et celles qui fuient la Libye, l’Italie a privé ses ports de l’appellation “lieu sûr”, qui est attribuée à tous les ports européens. Ce faisant, l’Italie s’assimile à un pays en guerre ou dans lequel les droits humains fondamentaux ne sont pas respectés et, en même temps, elle opère une sélection arbitraire des navires auxquels l’accès est refusé.

De nombreuses solutions auraient pu être trouvées, en conciliant le devoir d’assurer la santé de tous et toutes sur terre avec celui de sauver des vies en mer, un devoir qui ne permet pas de mettre les navires de sauvetage au même niveau que les navires de croisière.²

À l’heure où l’Italie demande et obtient la solidarité de la part de ses partenaires internationaux et des ONG elles-mêmes pour faire face à l’urgence de Covid-19, le gouvernement devrait faire preuve de la même solidarité envers les personnes vulnérables qui risquent leur vie en mer parce qu’elles n’ont pas d’autre alternative.

Aucune des organisations signataires de ce communiqué n’est actuellement en mer avec leurs navires. Afin de respecter les mesures sanitaires de prévention et de lutte face au Covid-19, elles réorganisent leurs actifs et leurs opérations.

Nous sommes profondément conscient.e.s de la situation d’urgence que nous sommes en train de vivre. Comme vous le savez, nous avons tou.te.s mis nos ressources et notre personnel à la disposition du système de santé italien engagé contre le Covid-19, que nous proposons de soutenir dans cette tragique situation d’urgence.

Nous ne sommes pas en mer, mais l’un des navires humanitaires battant pavillon étranger- dont l’activité est visée par le décret – navigue actuellement avec 150 survivant.e.s d’un naufrage, dont une femme enceinte. L’urgence sanitaire n’affecte pas la nécessité de trouver au plus vite une solution digne pour le Alan Kurdi.

Le décret instrumentalise en effet l’urgence sanitaire, en reprenant la procédure déjà utilisée dans un passé récent, pour entraver les activités de sauvetage en mer. En revanche, dans ces temps difficiles, il serait plus que jamais nécessaire de faire face à nos responsabilités au niveau européen pour pouvoir respecter l’obligation de sauvetage en mer.

Tout comme le décret Sicurezza Bis, ce décret définit la présence de navires étrangers secourant des naufragé.e.s en mer Méditerranée comme une menace, faisant de nouveau implicitement appel à la responsabilité de la Libye ou à débarquer les gens dans des pays lointains, ce qui représente une violation des lois internationales.

Aujourd’hui l’empathie et la solidarité envers les autres, en particulier ceux et celles qui se battent pour continuer à vivre et ceux et celles qui ont perdu des proches, nous ont permis à tous et toutes de rester fort. C’est précisément dans ces moments-là que la souffrance des citoyen.ne.s touché.e.s par une urgence sanitaire ne peut devenir une raison de refuser l’aide – obligation légale par ailleurs – à ceux et celles qui luttent pour une bouffée d’oxygène, non pas dans un lit de soins intensifs, mais pour ne pas se noyer.

Toute vie doit être sauvée, toute personne vulnérable doit être protégée, sur terre comme en mer. L’action est possible et nécessaire.

***
¹ Note du ministère italien des transports :
http://www.mit.gov.it/index.php/comunicazione/news/migranti-porti/alan-kurdi-porti-italiani-privi-dei-requisiti-di-sicurezza

² Dans le cadre de la réglementation d’urgence Covid-19, le ministère italien des infrastructures et des transports avait publié le 20 mars dernier un décret fixant des lignes directrices et interdisant l’entrée dans les ports des navires de croisière battant pavillon étranger (http://www.mit.gov.it/sites/default/files/media/notizia/2020-03/decreto%20125%2019mar20.pdf). Cependant, la comparaison entre le tourisme et le sauvetage maritime et leurs nécessités respectives pour entrer dans les ports italiens est évidemment inappropriée.