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Notre regard

Covid-19 dans les hotspots : l’abandon européen

Lesbos est une zone européenne de non-droit, où les principes au fondement même de l’Union sont bafoués. Et la situation se détériore continuellement : en réaction à l’ouverture de la frontière turque, le gouvernement grec a décidé de suspendre dès le 1er mars l’enregistrement de nouvelles demandes d’asile, piétinant ainsi un droit humain élémentaire. Selon Human Rights Watch, plus de 600 personnes, arrivées après cette date, sont actuellement détenues dans des conditions délétères, sans accès à une défense juridique et sans pouvoir déposer une demande d’asile, dans l’attente d’être renvoyées directement vers leurs pays d’origine ou un pays de transit « sûr » tel que la Turquie [1].

Elisa Turtschi

La pandémie actuelle ajoute une dimension dramatique supplémentaire à la situation. Les camps des hotspots ne sont absolument pas en mesure de faire face à une propagation du Covid-19. Rappelons-le: à Moria, 20’000 personnes vivent dans un espace prévu pour 3’000. Des familles dorment entassées dans des petites tentes de camping, il est donc impossible de garder une distance de sécurité. La nourriture et les médicaments manquent ; il y a un robinet d’eau pour 1’300 personnes, et généralement pas de savon. Le camp est le lieu idéal pour entraîner une contamination rapide d’une population déjà vulnérable. À cela s’ajoute le fait que les réquérant-e-s d’asile sont privé-e-s, depuis juillet 2019, d’accès à la sécurité sociale grecque. Or, sans assurance maladie, il ne leur est guère possible d’effectuer des tests de dépistage pourtant nécessaires.

Si certains États européens s’étaient dit prêts à accueillir des mineur-e-s non-accompagné-es, cet engagement est longtemps resté lettre morte, en raison des nouvelles restrictions d’entrée édictées pour lutter contre la pandémie. En Suisse, l’octroi de visas d’entrée sur le territoire, y compris pour permettre le regroupement familial, est suspendu jusqu’au 15 juin. Les conséquences en sont dramatiques : selon les derniers chiffres du Centre National pour la Solidarité Sociale, il y a actuellement 5’379 enfants seuls en Grèce, dont 479 ont moins de 14 ans. 1105 d’entre eux vivent dans des conditions insécures, dormant à la rue, dans des squats, ou dans des appartements en compagnie d’autres personnes [2].

Les mesures sanitaires ne doivent pas justifier la suspension du droit d’asile. D’autant que des solutions peuvent être trouvées, comme le rappelle Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations-Unies : « Si des risques pour la santé sont identifiés, des dispositifs de dépistage peuvent être mis en place, ainsi que des tests, une quarantaine et d’autres mesures. (…) Ces mesures permettront aux autorités de gérer l’arrivée des demandeurs d’asile et des réfugiés de manière sûre, tout en respectant les normes internationales de protection des réfugiés destinées à sauver des vies » [3] .

C’est toujours en temps de crise qu’il faut le plus défendre les droits et les acquis sociaux. La pandémie actuelle, aussi grave soit-elle, ne doit pas nous permettre d’oublier les personnes bloquées dans les hotspots. Aussi, si l’on veut, comme le prétend Karin Keller-Sutter, défendre un état de droit crédible, il faut intervenir au plus vite pour transférer les personnes des îles sur le continent, leur offrir un hébergement qui réponde aux normes de sécurité sanitaire et procéder, sans plus attendre, aux regroupements familiaux, en priorité pour les mineur-e-s. Comme le revendique la société civile, avec son mot d’ordre #LeaveNoOneBehind, la crise actuelle doit se combattre sans ne laisser personne derrière.

Elisa Turtschi

[1] Human Rights Watch, “Greece: Grant Asylum Access to New Arrivals ; Authorities Prevent Access to Services, Plan Transfers to Mainland Detention”, 20 mars 2020. Consulté le 23 mars 2020.
[2] National Center for Social Solidarity, « Situation Update: Unaccompanied Children (UAC) in Greece”, chiffres du  29 février 2020.
[3] Filippo Grandi, UN High Commissioner for Refugees, on the COVID-19 crisis, 19 March 2020

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