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Notre regard

Chronique Monde | Mauritanie. Un partenariat européen au goût amer

La Mauritanie fait figure d’exception au Sahel pour sa relative stabilité. Contrairement à d’autres États de la région, ce pays grand comme presque deux fois la France, à cheval entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, n’a pas connu d’attentat terroriste depuis 2011. Dans ce contexte, Nouakchott est devenu un partenaire de choix dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme et l’immigration irrégulière. Face à de tels impératifs, le respect des droits humains sur place passe largement au second plan.

Source: ALEXIS THIRY | MENA Rights Group

Tour d’horizon des droits humains

Depuis le 1er août 2019, la Mauritanie est dirigée par Mohamed Ould El-Ghazaouani. Même si son élection au premier tour est contestée par l’opposition, elle marque la première transition présidentielle pacifique de l’histoire politique mauritanienne. Lors de son investiture, Amnesty International a qualifié de « déplorable » le bilan en matière de droits humains laissé par son prédécesseur, Mohamed Ould Abdel Aziz, citant notamment l’esclavage, les discriminations raciales ainsi que les atteintes à la liberté d’expression, d’association et de réunion.

Même si l’esclavage a été officiellement aboli en 1981, criminalisé en 2007 et élevé au rang de crime contre l’humanité en 2012, sa pratique touchait environ 43000 personnes en 2016. Dans le même temps, Haratines et Afro- Mauritanien-ne-s restent largement exclu·e·s des postes de responsabilité et donc moins susceptibles de faire valoir leurs droits économiques et sociaux. Depuis l’indépendance, la quasi-totalité des pouvoirs politiques, militaires et économiques est détenue par les Beydanes, une communauté elle-même extrêmement hiérarchisée.

Celles et ceux qui s’attaquent à ces questions sensibles s’exposent aux représailles de la part de l’État. L’exemple le plus parlant est celui du blogueur Mohamed Ould Mkhaïtir, condamné à mort en 2014 pour « apostasie » après avoir dénoncé l’usage de la religion pour légitimer les pratiques discriminatoires dont est victime la communauté dite des forgerons. Sa peine a depuis été réduite à deux années de prison et il vit actuellement en exil après avoir été libéré en juillet 2019.

Une tradition d’hospitalité remise en cause

La Mauritanie est à la fois un pays de transit pour les réfugié-e-s et les migrant-e-s qui se rendent en Afrique du Nord et en Europe et un pays de destination pour celles et ceux à la recherche d’emplois saisonniers dans les secteurs de la pêche et de l’industrie minière ou d’une protection internationale. Signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, la Mauritanie a ouvert ses portes en 2012 à plus de 55000 réfugié-e-s malien-ne-s installé-e-s dans le camp de Mbera situé non loin de la frontière malienne.

Cette politique d’accueil doit néanmoins être nuancée à la lumière de l’externalisation des frontières européennes. L’Union européenne (UE) a fait pression sur la Mauritanie pour qu’elle signe en 2003 un accord de réadmission avec l’Espagne qui l’oblige à reprendre sur son territoire non seulement ses nationaux, mais également les ressortissant-e-s de pays tiers dont il est « vérifié » ou « présumé » qu’ils ou elles auraient transité par le territoire mauritanien. Un centre de rétention avait été mis sur pied à Nouadhibou avec l’aide de l’Espagne. Il est aujourd’hui fermé (voir VE 135 / décembre 2011).

Parallèlement, la Mauritanie a reçu entre 2007 et 2013 huit millions d’euros dans le cadre du Fonds européen de développement afin d’«appuyer et de renforcer les capacités de gestion, de suivi et de planification des flux migratoires» à travers notamment la révision du dispositif pénal relatif aux migrations.

Résultat: la politique migratoire s’est durcie durant la présidence Aziz. Les autorités ont multiplié les contrôles aux frontières, placé en détention et renvoyé de force des milliers de personnes et soumis certaines d’entre elles à des tortures et mauvais traitements.

L’ensemble de ces mesures a contribué à déplacer les routes migratoires vers le désert du Sahara et la Méditerranée centrale. Le nombre d’arrivées dans l’archipel espagnol des Canaries en provenance des côtes mauritaniennes a chuté de 30 000 à moins d’un millier entre 2006 et 2015.

Cette dynamique est néanmoins en train de s’inverser à mesure que la Libye apparaît comme une zone de plus en plus inhospitalière. Cette reconfiguration préfigure une recrudescence des naufrages dans l’Atlantique faute de voies migratoires sûres. Le 4 décembre 2019, une embarcation de fortune partie de Gambie a sombré au large de Nouadhibou provoquant la mort d’une soixantaine de personnes.

Texte et photo : ALEXIS THIRY
MENA Rights Group

[caption id="attachment_58486" align="alignleft" width="278"] Source: ALEXIS THIRY | MENA Rights Group[/caption]

 

Capitale : Nouakchott
Régime politique : République islamique
Président : Mohamed Ould El-Ghazaouani
Indépendance : 1960 (de la France)
Langues: arabe littéral (langue officielle) ; arabe-hassanya, peul, soninké, wolof (langues nationales)
Population : 4 millions de personnes dont 45 % de Maures noir·e·s ou Haratines, 30% de Maures blanc·he·s ou Beydanes, et 25% d’Afro-Mauritanien·ne·s (Département d’État des États-Unis)
Données migratoires : 140 000 migrant·e·s et réfugié·e·s (Département des affaires économiques et sociales de l’ONU) dont 57 000 sont originaires du Mali (UNCHR)

– Amnesty International, Une épée au-dessus de nos têtes, 2018.
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de la Mauritanie valant huitième à quatorzième rapports périodiques, 30.05.2018.
– La Cimade, Rapport d’observation à la frontière Sénégal – Mauritanie, 18.09.2017
– Pierre Daum, Mauritanie, une société obsédée par la couleur de peau, Le Monde diplomatique, août 2019.
– UNHCR, Chemins croisés, juillet 2019.