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Notre regard

Éditorial | L’après-coronavirus?

À l’heure d’écrire cet éditorial, nous vivons encore sous le régime du semi-confinement. Très vite est apparue l’importance pour notre petite équipe de s’unir à d’autres associations de terrain qui se sont retrouvées elles aussi isolées, avec des informations parcellaires mais souvent très préoccupantes sur la gestion de la pandémie par les autorités d’asile.

Nous nous sommes alors attachées à questionner cette politique et à faire circuler ces informations (4e de couverture). Pour garder une trace du refus total du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) et de sa ministre de tutelle Karin Keller-Sutter de soumettre la politique migratoire aux impératifs de santé publique et pour ne pas oublier les innombrables appels aux autorités fédérales de suspendre les procédures d’asile en raison des risques qu’elles font courir à l’ensemble de la population alors qu’elles ne relèvent d’aucune urgence.

De fait, les « mesures » communiquées par Berne n’ont été que des opérations politiques qui ont malheureusement réussi à duper la plupart des médias et à faire taire certaines œuvres d’entraide sans doute trop dépendantes des mandats fédéraux. Le SEM annonce la réouverture « d’ici quelques semaines » d’un centre fédéral pour protéger les requérant-e-s ? Rappelons que les mesures de distanciation sociale et d’hygiène dans les lieux collectifs sont une obligation pour les autorités, sous peine de mise en danger de la vie d’autrui. C’est le SEM qui contraint les demandeurs d’asile à loger dans ces grands centres isolés, avec des horaires d’entrée et de sortie. Leurs habitant-e-s n’ont pas la même liberté que nous de se protéger, ni les moyens d’acheter des masques, des gants, d’avoir accès à une pharmacie, à un médecin. La responsabilité du SEM et des autorités cantonales d’asile de les protéger d’une contamination est donc totale.

En réalité la poursuite des procédures exigée par Karin Keller-Sutter et le SEM contredit l’injonction sanitaire de «restez à la maison, sauvez des vies». Celles-ci imposent des déplacements en transports publics dans toute la Suisse, la multiplication des rencontres entre acteurs de l’asile et la sollicitation d’un corps médical déjà surchargé. Alors que les frontières ont été fermées, que la majorité des pays européens avoisinants ont suspendu les procédures d’asile, à quoi rime la notification d’un renvoi Dublin à une personne vulnérable et angoissée?(p.2)

Cyniquement, la Conseillère fédérale a affirmé défendre l’État de droit. Or, l’ordonnance Covid 19 asile valide notamment le fait que des décisions puissent être prises malgré l’absence d’une défense juridique lors de l’audition. Imaginez cela dans le système judiciaire ordinaire: l’autorité s’arroge le droit de vous juger, y compris en l’absence de votre avocat, pour cause d’état d’urgence…

Du haut de leur tour d’ivoire, les autorités d’asile sont restées dans leur logique gestionnaire et sécuritaire de la migration. La pandémie peut être l’occasion de ramener le débat sur le terrain des valeurs. Après avoir subi le confinement ou l’impossibilité de sortir de nos frontières, la population pourrait être plus à même de comprendre l’inanité des restrictions de mouvement et interdictions de voyages imposées aux personnes réfugiées. La Suisse manque de personnel médical, d’ouvriers agricoles? L’Allemagne a facilité l’engagement de médecins réfugiés, le Portugal et l’Italie ont régularisé temporairement ses sans papiers pour leur assurer un accès à la santé. L’extraordinaire solidarité qui s’exprime depuis mars pour lutter contre une maladie qui ne connait ni frontière ni statut peut être un moteur pour un monde un peu plus juste.

GIADA DE COULON ET SOPHIE MALKA

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