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Notre regard

Portait | De RMNA à meilleur apprenti genevois, le parcours d’Anbesa

Anbesa Gebretsadik a la victoire modeste, mais il est déterminé et enthousiaste. En formation en ferblanterie, il vient de remporter le concours Geneva Skills 2020, qui voit s’affronter les apprentis genevois sur des tâches spécifiques, exigeant savoir-faire et rapidité. Anbesa a eu la chance de rencontrer quelques bonnes personnes au cours de sa vie à Genève qui l’ont aidé à trouver cette place d’apprentissage. Il a aussi sans conteste su saisir les opportunités et les mains tendues lorsqu’elles se présentaient. Notre rencontre avec lui a été l’occasion de parler avant tout de sa victoire, mais aussi de son apprentissage, de ses centres d’intérêt et de son expérience. Il est venu accompagné de Pierre Bach, son tuteur de Reliance depuis novembre 2015. La confiance que l’on perçoit entre eux a donné à l’entretien un ton particulièrement bienveillant. Derrière une certaine réserve et une grande modestie, Anbesa s’est livré avec le sourire, encouragé parfois par son tuteur, dont les souvenirs et ressentis sont venus compléter le récit du jeune apprenti.

Anbesa a 23 ans. Arrivé d’Érythrée en tant que mineur non accompagné il y a 6 ans, il est actuellement dans sa 3e année d’un double apprentissage à plein temps, ferblantier et installateur sanitaire. Suite aux encouragements de son responsable d’atelier, il s’est inscrit au concours Geneva Skills 2020, qui a eu lieu ces 31 janvier et 1er février 2020. L’occasion pour lui de tester ses compétences avant l’examen du CFC de ferblanterie en juin 2020. Déjà champion de cross à Genève, le jeune homme ne semble pas avoir peur de la compétition. Il a envisagé le défi avec confiance, rassuré par ses bonnes notes en apprentissage. Mais le jour du concours, la présence du public et des concurrents fait monter la pression. Il faut réaliser dans le temps imparti deux pièces de ferblanterie, une en cuivre et une en aluminium, sur la base de plans donnés le jour du concours, pièces qui doivent correspondre à celles qu’ont réalisées les professeurs, mais que les participants ne peuvent pas voir avant d’avoir terminé. Très concentré et appliqué, comme en témoignent les photos et vidéos prises lors du concours, Anbesa termine ses œuvres avec une heure d’avance à chaque fois. Et remporte le 1er prix…

Anbesa Gebretsadik lors du concours Geneva Skills 2020 ©GenevaSkills 2020

L’apprentissage en ferblanterie et installateur sanitaire

C’est grâce au soutien de son tuteur et de personnes empathiques qui ont croisé sa route qu’Anbesa a trouvé sa place d’apprentissage. Ayant déjà eu un aperçu de la ferblanterie lors d’une formation générale dans les métiers de la construction dans un camp en Éthiopie, il s’est essayé en Suisse à différents métiers au travers de stages, qui lui ont permis de confirmer son intérêt pour le métier de plombier dans un premier temps. L’intervention de la secrétaire chargée des inscriptions a constitué un moment essentiel dans ce parcours, comme le souligne Pierre. C’est elle qui a encouragé Anbesa à s’écouter réellement et à postuler non pas pour des CFPC[1] ou AFP[2], aux tests d’entrées plus abordables, mais pour l’apprentissage de ferblantier-installateur sanitaire, plus difficile d’accès, mais aussi plus attrayant aux yeux d’Anbesa. Un conseil qui sera déterminant. Mais avant de prendre ses marques, le jeune apprenti a dû s’accrocher: « Au début, c’était difficile à cause de la langue, pour comprendre ce qui m’était demandé. Il me manquait du vocabulaire ». Depuis, il s’est lié d’amitié avec ses collègues, qu’il retrouve parfois hors de la formation. Selon son tuteur, c’est justement le fait d’avoir été immergé dans des contextes francophones qui a permis à Anbesa d’améliorer son français et ses perspectives à Genève, notamment dans sa recherche de logement. Aujourd’hui, il est souvent invité par ses amis et s’exprime même avec quelques pointes d’accent genevois…

Sa relation avec son tuteur et sa vie à Genève

Anbesa Gebretsadik lors du concours Geneva Skills 2020 ©GenevaSkills 2020

Lorsque l’on demande à Anbesa en quoi son tuteur l’a aidé dans ses démarches à Genève, il résume simplement: « Sans lui, il n’y aurait rien». La reconnaissance que témoigne Anbesa envers Pierre et la fierté de celui-ci vis-à-vis du parcours du jeune Érythréen sont éloquentes. En novembre 2015, au lancement du projet de Reliance accompagnant les MNA dans leur orientation sociale et professionnelle, Anbesa était l’un des rares jeunes de son entourage à avoir accepté l’intervention d’un tuteur.Pas évident pour autant,pour un jeune devenu rapidement autonome, de laisser entrer dans son quotidien une personne avec un tel rôle et de lui faire confiance. Peu à peu, tuteur et jeune apprenti ont fait de la place l’un à l’autre dans leur vie respective. Anbesa a rencontré la famille de Pierre à plusieurs reprises, mais le tutoiement n’est arrivé que récemment et l’apprentissage de la culture suisse, voire genevoise, se fait progressivement.

Au gré des rencontres, on sent chez Anbesa une véritable ouverture aux autres, une capacité à se laisser guider et à développer des relations avec cette société à laquelle il cherche aussi à contribuer. Bénévole deux ans de suite au tournoi de tennis en fauteuil roulant Swiss Open, il entend y retourner l’an prochain. S’il vit aujourd’hui en colocation, il voit régulièrement la famille qui lui a sous-loué une chambre de 2016 à 2018. Et il s’investit également auprès des jeunes mineurs non accompagnés, dans le cadre de l’Association de médiatrices interculturelles (AMIC).

Les liens familiaux entre l’Érythrée, Genève, Israël et Hawaï

Une petite réserve se ressent dans les réponses d’Anbesa lorsque l’on évoque sa famille ou ses aspirations futures. Serait-ce le reflet d’une certaine envie de vivre le moment présent, le «ici et maintenant», de profiter un peu de ce qu’il a acquis et construit au cours de sa vie genevoise ? Ou celui de sa modestie, qui l’incite à mettre surtout le travail de son tuteur en lumière ?
Après avoir vécu en Éthiopie dans un camp tenu par le HCR norvégien, la famille d’Anbesa est aujourd’hui totalement dispersée. En Érythrée ne vivent plus que son grand-père et son frère, déjà marié. Son père, lui, est actuellement à Tel-Aviv. Il y a connu 2 ans de rétention. Sa mère, ses frères et sa sœur vivent à Hawaï. Ils y ont entamé des démarches pour réunir la famille. Malgré la distance, Anbesa a pu partager avec eux la bonne nouvelle de sa victoire au concours.

ORPHÉE MOUTHUY

Apprentissage: un cursus chamboulé par le virus

Le confinement a forcé le monde du travail et de la formation à se réinventer, voire à improviser : écoles et lieux d’apprentissages fermés, patrons exigeant parfois la poursuite de l’activité, sans forcément de mesures de protection adéquate, école en ligne à laquelle ni les équipes formatrices, ni les jeunes n’étaient préparés ou équipés. Les apprenti-e-s ont dû s’adapter aux nouvelles façons d’apprendre, exigeant plus d’autonomie. Le rôle cadrant des parents est à cet égard souvent essentiel. Dans ce contexte, les populations défavorisées et/ou migrantes sont pénalisées, par manque de matériel, de ressources, en raison de la langue, etc. Les jeunes en formation issu-e-s de l’asile arrivé-e-s en Suisse sans leurs parents (RMNA) sont ainsi particulièrement à risque, même après leurs 18 ans. Avec un encadrement parfois en baisse, parfois déficient, ils et elles se retrouvent isolé-e-s, sans information, sans cadre. Alors que son portrait (pages 5, 6) était déjà rédigé et bouclé, nous avons recontacté Anbesa Gebretsadik pour savoir comment il vit son confinement depuis mi-mars.

Sans surprise, le rôle de Pierre, le tuteur d’Anbesa, a pris une dimension essentielle. Son assistante sociale l’avait informé être disponible, mais c’est vers Pierre qu’il se tourne en cas de difficulté scolaire, informatique ou pratique. Il l’appelle une à deux fois par jour. S’il devait avoir un doute pour sa santé, c’est aussi à lui qu’il s’adresserait.

Les professeurs ont transmis les devoirs par mail, Google Classroom ou même Whatsapp, et les apprentis peuvent arranger leur temps à leur façon. Un cadre relâché qui peut s’avérer désécurisant selon les personnes. « La concentration à la maison n’est pas la même qu’à l’école», reconnaît Anbesa. Pour garder un rythme et ne pas faire courir de risque à son colocataire, qui fait partie des personnes vulnérables, Anbesa sort le matin tôt puis reste à l’intérieur une fois rentré. Ses journées s’équilibrent ainsi entre les devoirs, le dessin technique en particulier, le sport et les appels téléphoniques avec sa famille et ses amis.

Malgré cette assiduité, Anbesa reste inquiet pour les examens finaux de juin: aucun exercice pratique n’est possible actuellement et certaines méthodes n’ont pas été vues de manière approfondie. Comme tous les apprentis, il attend donc les décisions finales fédérales et cantonales, encore incertaines et disparates au moment de cette publication.

ORPHÉE MOUTHUY

[caption id="attachment_58805" align="alignleft" width="94"] @artkoshm[/caption]
Pour plus d’informations à ce sujet
– SOSF, Marie Saulnier Bloch, Covid-19 et apprenti-e-s titulaires de permis B réfugié, F et N. Protégeons les apprenti-e-s issu-e-s de l’asile, avril 2020
– 24heures, Les apprentis ne devront pas refaire leur année, 20 avril 2020
– Le Temps, Coronavirus : l’inquiétante situation des apprentis, 22 mars 2020

 

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