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Notre regard

Livre | Chroniques de l’asile, Aldo Brina

Dans ses Chroniques de l’asile, parues en mars 2020, Aldo Brina raconte son quotidien au sein d’un petit groupe de combattants qui se démène pour faire face aux injustices du droit d’asile en Suisse : le Secteur réfugiés du Centre social protestant, à Genève, dont il est chargé d’information et de projets. Une équipe dont Vivre Ensemble est très proche (notre bureau jouxte ceux des quatre juristes, de l’assistante sociale et de l’auteur de l’ouvrage) et avec laquelle nous partageons, outre les savoirs et compétences sur l’asile, nos repas et beaucoup de moments de convivialité.

« L’APPLICATION DU DROIT D’ASILE NOUS MET À L’ÉPREUVE, PROFITONS-EN POUR DEVENIR PLUS HUMAINS »

Tout au long de l’ouvrage, Aldo Brina questionne – les lois, le système, les autorités – et se questionne. Comment faire face à la tristesse, l’impuissance et la frustration de se retrouver jour après jour confronté à tant d’histoires sombres, à tant d’injustices ? Comment persévérer face à des politiques d’asile de plus en plus restrictives ?

Les Chroniques sont livrées sans filtres: on s’immerge complètement dans le quotidien d’Aldo Brina et de ses collègues. Le livre terminé, on a l’impression d’avoir passé quelques jours avec eux. On partage espoirs et désespoirs, moments de poésie et réunions interminables accompagnées de friandises. Lorsque le droit ne suffit pas, on apprend à être ingénieux et créatifs pour faire en sorte que le besoin de protection des mandataires soit reconnu. On s’étonne et on est presque dérangés quand une collègue conseille au jeune Aldo de refuser d’aider une personne, car son recours n’a pas de chances d’aboutir. Des paragraphes un brin trop honnêtes, que l’on aimerait ne pas avoir lus. Trop tard: on ne peut plus faire comme si de rien n’était.

C’est justement cette authenticité d’émotions, de ressentis qui va permettre de dépasser le cadre du travail bien fait, juste, propre en ordre et conforme à la loi pour laisser de la place à l’autre et tenter de comprendre qui il est. De la colère à la révolte, de l’épuisement à la résignation, malgré les doutes, l’empathie tient bon. Il n’est jamais question d’indifférence.

L’auteur ne nous laisse pas seuls face à ces découvertes: il nous prend par la main et nous accompagne dans ce voyage. Au fil du livre, il nous montre que c’est OK d’être dérangé, choqué, révolté. Ce n’est qu’en se battant avec le cœur ouvert, en reconnaissant notre vulnérabilité qu’il est possible de mener ce combat: « La base de l’engagement, c’est s’ouvrir à une situation d’injustice, la vivre dans sa chair ou, en version moins poétique, se faire rouler dessus par elle. C’est qu’il y a d’abord une sensibilité ouverte qui permet le contact avec l’autre, l’empathie, la bienveillance. Cet état nourrit en profondeur, constitue l’expérience la plus fondamentale d’être humain.» (p. 71)

Chroniques de l’asile,
Aldo Brina, éditions Labor & Fides, mars 2020

L’ouverture à l’autre ne peut être dissociée du travail en équipe. Les discussions avec les collègues, les échanges parfois animés lors des réunions, les déceptions partagées sont abondamment évoqués. Ces moments sur le vif sont nécessaires. Suivront la prise de distance et les réflexions qui permettront de garder le cap et de persévérer.

Car en fin de compte, « la seule certitude de l’asile, c’est cette main qui se tend, ce geste qui revient jour après jour, situation après situation, qui provient d’une solidarité primaire, pragmatique, profondément humaine, en amont de toute considération idéologique, et de toute réflexion tout court peut-être. Puissions-nous nous y adonner encore et encore, le pratiquer sans nous épuiser, le perpétuer sans trop le rigidifier dans des concepts.» (p. 131)

Tenir sur la durée représente déjà une belle victoire. Une victoire qui se célèbre chaque fois que la dignité se dévoile comme expérience de vie partagée. « On pourrait penser que la dignité en jeu dans l’asile n’est que celle des personnes en demande de protection… mais la dignité de la société d’accueil est aussi en question. Notre dignité. » (p. 131)

Une lecture inspirante, invitant à prendre exemple sur ces héros méconnus auquel le livre rend hommage: réfugiés, migrants, juristes, militants, citoyens engagés… et plus que toute autre chose, des êtres humains motivés par la rencontre avec l’autre.

NORA BERNARDI ET NICOLE ANDREETTA

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