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Documentation

Calais Migrant Solidarity | Victimes de la frontière

Le collectif militant Calais Migrant Solidarity œuvre depuis juin 2009 à Calais afin de défendre les droits des personnes migrantes. Ce mouvement de résistance s’oppose activement aux violences policières envers les personnes migrantes en impliquant ces dernières dans sa lutte, ainsi que la société civile calaisienne. Il organise des manifestations et actions, agit comme relais d’informations et assure un support émotionnel et matériel dans les différents squats, entre autres initiatives. Le 18 mai, le collectif a publié sur son blog un texte engagé, déplorant le manque de reconnaissance des vies des personnes migrantes et de prise en considération des décès sur les routes migratoires.

Nous reproduisons ci-dessous le texte publié par Calais Migrant Solidarity le 18 mai 2020. Vous le retrouverez également en anglais sur le site du collectif.

VICTIMES DE LA FRONTIÈRE

18 mai 2020

[caption id="attachment_59344" align="alignright" width="254"] Calais Migrant Solidarity[/caption]

Hier, c’était le 17 mai. Hier, c’était le deuxième anniversaire de mort de la petite Mawda qui a été tuée par la balle d’un policier belge pendant une poursuite policière en Belgique, la nuit du 17 au 18 mai 2018.
Suite à la condamnation pour “homicide involontaire” du policier qui a tiré le coup de feu qui a tué Mawda, en janvier de cette année, le Comité Mawda Justice-Vérité a lancé une procédure judiciaire contre le procureur de Mons, en Belgique.
Pour honorer Mawda et sa famille encore en deuil, nous n’oublierons jamais.

Jeudi 18 Juin 2020. Dans environ un mois, ce sera le 20e anniversaire des 58 jeunes Chinois retrouvés morts dans le port de Douvres, à l’arrière d’un camion.
Depuis, la frontière continue de tuer, à Calais comme ailleurs.

Il n’y a pas de décompte précis du nombre de migrant-e-s mort-e-s à Calais. Leur mort est ignorée, les faits sont dissimulés ou tout simplement non rapportés.
Cette chronologie, cette carte et cette liste tentent de rendre un peu de justice à celleux qui ont péri, en nous rappelant leur existence. Une plaque commémorative aux victimes de la frontière (photo ci-dessus) a également été récemment inaugurée à Calais, le tout par des associations, après des années de demandes aux pouvoirs publics. À plusieurs reprises, nous avons vu des marches ou des manifestations pour dénoncer et se souvenir de ces pertes. Dans ce contexte, la solidarité signifie tout.
Nous sommes presque à la moitié de l’année 2020, et la frontière à Calais a déjà prouvé qu’elle n’était pas une exception à la “règle” : elle tue.
Et elle tue de bien des façons, comme en témoignent les personnes que nous avons connues et qui ont perdu la tête, sont tombées malades, ont perdu l’espoir ou ont disparu physiquement.

2020

M. est une personne originaire du Soudan. Après avoir vu ses demandes de protection rejetées ailleurs, elle a été gravement blessée lors d’une tentative de passage au Royaume-Uni. Plus de dix ans plus tard, le corps de cette personne est retrouvé flottant dans l’eau. Entre temps, la vie, mais surtout des documents de protection précaires délivrés par la France pour se renouveler chaque année, un traitement à vie suite à l’accident, pas d’emploi, et des options limitées quant à l’avenir et à la construction d’une vie (comment, quand on n’a aucune certitude au-delà de cette année-là ?). Le lieu où le corps a été retrouvé, le matin du 9 janvier 2020, est celui d’un des lacs recréés sur le terrain que l’on appelait “jungle” en 2015-2016, après avoir démoli les habitations des personnes qui y habitaient autrefois. On ne sait pas s’il s’est suicidé ou s’il a voulu donner une dernière chance de tenter de trouver une vie meilleure au Royaume-Uni, mais ce qui semble sûr, c’est qu’avec plus de 20 ans d’exil de la patrie, la politique frontalière a tué un homme.

Baquer, âme jeune et souriante, est mort dans des circonstances peu claires dans ce qui a été dit être une collision avec un train près de Metz, début mars 2020. Lui, ainsi que d’autres membres de sa famille élargie, avaient quitté l’Irak pour chercher protection au Royaume-Uni. Après des années passées dans les camps de Dunkerque comme mineur isolé, exposé à l’inefficacité de l’État pour le protéger et à toute la violence et l’exploitation auxquelles un jeune homme est exposé. Sa famille proche et lointaine, ses amis et les associations qui le connaissaient et l’avaient aidé, ont réalisé des vidéo en sa mémoire.

Le covid-19 a clairement créé plus de pertes et de difficultés liées au deuil que la plupart des gens n’en ont jamais connu, avec l’isolement frappant fort et l’impossibilité de se rassembler, nous ne pouvons nous empêcher de penser à celleux dont la vie a toujours été considérée comme moins valable, vivant-e-s ou mort-e-s. Les difficultés rencontrées lorsque votre famille est éloignée, qu’elle n’a pas les moyens de payer les funérailles, la barrière de la langue, etc.
Ces personnes qui ne peuvent pas comprendre comment leur adorable, brillant-e, jeune fils, fille, frère, mari, sœur, ami-e pourrait mourir, ou alors être tué-e par les politiques gouvernementales en Europe, où elles sont censées trouver la sécurité.

Le même gouvernement qui, même dans la mort, a montré peu de compassion ou de remords pour celleux qui sont mort-e-s en essayant de traverser, les criminalisant tou-te-s alors qu’illes étaient encore en vie. Préférant voir celleux qui sont mort-e-s en cherchant la sécurité comme rien de plus qu’un désagrément et une perturbation de l’ordre normal du tourisme motivé par le profit et obsédé par sa réputation.

Les morts de Calais ne sont que quelques-unes des nombreuses vies perdues aux frontières de l’Europe.
À Calais comme en Méditerranée, ou comme au cimetière de la vallée de l’Evros à la frontière gréco-turque, les vies des migrant-e-s d’Afrique et d’Asie ne méritent pas d’être sauvées, leurs morts ne méritent pas d’être enregistrées ou de faire l’objet d’une enquête. La police et les autres autorités de l’État sont souvent activement impliquées dans ces décès. D’autres fois, ils sont simplement complices. La police et d’autres fonctionnaires couvrent les meurtres de réfugié-e-s et refusent d’enquêter sur les morts suspectes. La mort d’un-e migrant-e n’a pas la même signification que celle d’un-e citoyen-ne. Car la vie d’un-e migrant-e ne vaut pas la même chose que celle d’un-e citoyen-ne.

Il n’y a pas que les autorités de l’État qui sont complices de ces meurtres à la frontière. Il faut noter, entre autre, le rôle des médias. Pas tous les décès à Calais ne sont même à peine signalés. Et quand ils le sont, ils se retrouvent dans la catégorie des faits divers.

La valeur accordée à la vie d’une personne sans papiers à Calais est alarmante et l’internement, les poursuites et la répression systémique de celleux qui tentent d’utiliser le tunnel / le ferry / les eaux de la Manche pour accéder à la Grande-Bretagne est dégoûtant.

Justice pour toutes nos sœurs et tous nos frères aux frontières.

Ces frontières tuent.