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Domaine public | Droits de l’enfant bafoués en Suisse

Dans le média Domaine Public,  Sophie Nedjar publie un texte sur cet «accueil» en Suisse qui illustre la politique que le pays réserve aux jeunes migrants requérant l’asile. L’histoire d’Hussain parle de  la politique du Secrétariat d’État aux migrations qui déclare adultes des enfants migrants, permettant ainsi leur renvoi au lieu de la prise en charge qui leur est due.

L’article « Droit de l’enfant bafoués en Suisse » a été rédigé par Sophie Nedjar pour Domaine Public. Il a été publié en ligne le 9 juillet 2020.

Droits de l’enfant bafoués en Suisse

L’histoire d’Hussain illustre la politique du Secrétariat d’État aux migrations qui déclare adultes des enfants migrants, permettant ainsi leur renvoi au lieu de la prise en charge qui leur est due

Enfant, migrant non accompagné, Hussain* a quitté l’Afghanistan tout seul. En août 2018, il est arrivé en Suisse où il a déposé une demande d’asile et donné sa date de naissance selon le calendrier persan qui correspond au 9 février 2003. Il a donc quinze ans.

À la suite d’un premier et unique entretien au Secrétariat d’État aux migrations (SEM), Hussain est déclaré majeur, né le «1er janvier 2000». Deux ans plus tard, soit il y a quelques jours, le même SEM a reconnu Hussain né le «9 février 2003», après recours au Tribunal administratif fédéral.

Durant ces deux années, l’adolescent a été logé, entre autres, dans des centres d’hébergement pour adultes. Il n’a pas été accompagné par un avocat pour être entendu par le SEM comme la loi le prévoit pour les mineurs. Il n’a pas été normalement scolarisé. Ses droits d’enfant ont été niés.

Retour sur cet «accueil» en Suisse qui illustre la politique que le pays réserve aux jeunes migrants requérant l’asile.

Histoire d’Hussain

En fin d’été 2018, Hussain est placé dans un centre pour adultes du canton de Bâle, proche de la frontière allemande. Il y attrape la gale, il a peur des bagarres fréquentes auxquelles il assiste. Il manifeste une vive inquiétude liée également à son parcours migratoire et, notamment, au mois d’emprisonnement qu’il a subi en Grèce.

Après les nombreuses démarches menées par les membres de l’association ExilAktion qui l’ont rencontré, au mois de novembre, Hussain peut enfin voir un pédopsychiatre. Ce dernier l’a reçu bénévolement – ses honoraires de spécialiste ne sont pas pris en charge puisque Hussain est considéré comme majeur. Une semaine plus tard, l’enfant est transféré dans le canton d’Argovie.

Il s’y rend seul, se perd avant d’arriver. Le lendemain, alors qu’entretemps l’association ExilAktion avait prévenu le responsable de ce nouveau centre de sa grande fragilité, le jeune garçon a ingurgité l’intégralité des somnifères et des antidépresseurs qu’il avait reçus d’un médecin généraliste pour adultes.

Hospitalisé en raison de cet appel au secours durant plusieurs semaines, Hussain est ensuite accueilli par une famille entre Noël et janvier. Il se raconte un peu. Il explique qu’il éprouve des craintes face aux hommes avec lesquels il vit, qu’il ne sait pas se préparer à manger, qu’il veut aller à l’école et qu’il aimerait tant habiter dans une atmosphère familiale comme durant ce séjour.

Dès la rentrée d’hiver 2019, avec le soutien d’une autre association pour mineurs, Hussain a intégré des cours de mise à niveau scolaire. Plusieurs fois transféré, il lui est arrivé d’exécuter ses devoirs à même le sol de sa chambre, car pas à son aise dans les espaces collectifs. Malgré tout, son allemand progresse très rapidement.

Dernier déplacement. Hussain est soutenu par un enseignant pour recourir contre la décision du SEM auprès du Département de justice et police. Recours rejeté à l’été 2019. Sans tarder, le Tribunal administratif fédéral (TAF) est saisi, la décision tombe le 20 novembre suivant: le SEM n’a pu fournir aucune preuve de la majorité d’Hussain (arrêt BVGer, texte de recherche: D-4443/2019).

Plus sept mois de trop

Le cas a donc été renvoyé au SEM pour réexamen. L’avocat a maintes fois souligné l’urgence de cette affaire; il a demandé de lui donner la priorité, aussi en raison de la santé d’Hussain. Cependant, sept mois d’angoisse supplémentaires lui ont été infligés.

Ce n’est que ce 29 juin 2020 que le SEM a contacté l’avocat afin de présenter ses excuses au jeune garçon et l’a reconnu né le 9 février 2003. Ainsi, Hussain a rajeuni administrativement de trois ans, mais il a perdu deux années de sa vie.

Il souhaitait devenir médecin et se forme actuellement afin de pouvoir commencer un apprentissage d’aide-soignant. Dans cette perspective, il effectue un stage au sein d’un établissement pour personnes âgées. Pour cause de pandémie Covid-19, Hussain est limité dans ses déplacements et ses rencontres, il est hébergé sur son lieu de travail.

Récemment, il a développé des symptômes de stress avec des tremblements de la nuque et de la tête dont il a honte. Un médecin généraliste lui a prescrit, encore une fois, des calmants.

Malgré la reconnaissance de son âge, Hussain est terrorisé, il ne parvient pas à se réjouir. Et, en effet, la procédure d’asile n’est pas terminée.

Politique inique

Cette histoire n’est pas une exception. Le SEM triche avec les âges, car un majeur cause moins de frais, demande moins de soins et peut être renvoyé dans son pays.

Par ailleurs, pour les mineurs, l’application des accords de Dublin n’est pas possible. Pour rappel, ces derniers prévoient que les personnes migrantes adultes enregistrées une première fois dans un des pays signataires – membres de l’Union européenne, Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse – ne peuvent requérir l’asile qu’auprès de cet État.

Comme le relevait en octobre 2018, déjà, un article du Blick intitulé «Grave suspicion contre les autorités: Pourquoi tant de réfugiés ont-ils 18 ans?», cette pratique de vieillissement des enfants est nettement visible dans les statistiques du SEM.

ExilAktion, la petite association composée uniquement de bénévoles qui a soutenu Hussain, a été fondée dans le but d’aider ces jeunes à obtenir le respect de leurs droits. Que ce soit devant le Comité des Droits de l’enfant de l’ONU, le Tribunal administratif fédéral ou le Tribunal civil cantonal, elle tente tout ce qui est possible pour faire reconnaître la minorité de quelques enfants et les droits qui lui sont liés.

Elle a persévéré face aux avis négatifs reçus de la part d’autres organisations qui, plus d’une fois, ont affirmé qu’il n’y avait aucune chance. Elle réunit des fonds permettant de payer les avocats et avocates, ainsi que les pédopsychiatres pour des soins et expertises.

Grâce à son engagement et à toutes les preuves que cette association conserve, DP a pu accéder à l’ensemble des documents de la procédure d’Hussain. Sans la mobilisation de cette micro association bâloise qui travaille d’arrache-pied avec, notamment, un avocat de la place, plusieurs enfants logés dans le canton ou déplacés dans d’autres auraient vu et verraient leurs droits pareillement bafoués.

Nul doute que d’autres adolescents décrétés majeurs se retrouvent sur l’ensemble du territoire. Et seule une mobilisation acharnée a permis de dénoncer cette politique qui viole aussi bien le droit international que les conventions signées par la Suisse et la Constitution fédérale.

*Prénom d’emprunt