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Notre regard

Hébergement | Société civile dans les centres fédéraux: une lutte contre l’isolement des requérant-e-s d’asile

Depuis l’entrée en vigueur de la restructuration de l’asile en mars 2019, instituant des procédures d’asile accélérées dans de grands centres fédéraux, créer et maintenir du lien avec les personnes en procédure d’asile relève d’une course d’obstacle pour la société civile. Et ce, malgré un mandat clair du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Selon l’article 7 de l’ordonnance du DFJP relative à l’exploitation des centres de la Confédération, « le SEM prend des mesures organisationnelles pour encourager les échanges entre les requérants d’asile et les personnes à protéger, d’une part, et les acteurs de la société civile, d’autre part.» La pandémie n’a pas arrangé les choses.

©Esther Narbaud pour ARAVOH

Les conditions-cadres pour les activités de la société civile dans les centres fédéraux d’asile sont mauvaises. Les horaires de sortie pour les résident-e-s sont limités, les centres sont parfois très isolés et ne sont généralement pas accessibles au public. Les bénévoles ne peuvent y entrer que dans le cadre de projets approuvés par le SEM et les critères à remplir varient d’un endroit à l’autre. Les bénévoles des différents centres décrivent la collaboration avec les responsables des centres comme bonne à difficile, voire extrêmement compliquée. Certain-e-s responsables soutiennent autant que possible l’échange entre les personnes en procédure et la population locale. Mais beaucoup préfèrent isoler les requérant- e-s du « monde extérieur » et rendent le travail bénévole plus difficile, voire le sabotent. Dans certains contrats, le SEM est appelé « mandant » et les bénévoles «mandataires»: exemple anecdotique, mais éloquent, du manque de compréhension de ce que signifie réellement l’engagement de la société civile, par essence indépendant.

On observe donc deux problèmes fondamentaux. D’une part,la réglementation tend à contrôler et compliquer l’engagement de la société civile dans les centres fédéraux. D’autre part, il manque des normes standard contraignantes au niveau fédéral. Cela conduit à des inégalités de traitement – inacceptables – entre les centres, dont pâtissent bénévoles et personnes en procédure d’asile.

Le coronavirus, une opportunité de changement ?
Le coronavirus a contraint la plupart des bénévoles à cesser leurs activités, laissant les habitant-e-s des centres confrontés à un fort isolement. Très vite, de sévères manquements ont été rendus publics1 : espaces exigus, isolement insuffisant des personnes testées positives au virus, intimidations envers le personnel d’encadrement, manque de savon et de désinfectant – pour n’en citer que quelques-uns. Contestant ces rapports, les autorités fédérales et cantonales ont assuré avoir pris des mesures pour garantir le respect des règles de distances et d’hygiène.

Les bénévoles et les ONG ont fait part de leur grande indignation devant le manque de protection sanitaire des personnes hébergées dans ces centres. Au niveau national, une pression politique et médiatique a été mise en place – malheureusement avec peu d’effet. Au niveau local, les bénévoles ont tenté de soutenir les habitant-e-s des foyers en confectionnant des masques, en distribuant du savon et du désinfectant, mais aussi par des petits cadeaux comme des paniers de Pâques. Mais même ces actions n’ont pas été les bien- venues partout. Le 1er avril, ORS Service AG a diffusé un communiqué de presse intitulé « L’encadrement dans les centres d’asile est entravé par les actions des organisations bénévoles » [2]. L’ORS y accuse les acteurs et actrices de la société civile zurichois d’avoir provoqué des troubles et entravé le travail déjà difficile du personnel d’encadrement en distribuant du désinfectant et du savon. Le communiqué de presse omet de signaler que les requérant-e-s,de même que les employés d’ORS, se sont tournés vers les organisations bénévoles pour requérir de l’aide. L’ORS a rejeté publiquement et de manière injustifiée sur les bénévoles la responsabilité de ses propres manquements – un scandale.

©Esther Narbaud pour ARAVOH

L’après-coronavirus : business as usual ?

Lorsque le nombre de cas testés positifs au coronavirus a chuté et que la société est revenue à une certaine normalité, les bénévoles ont cherché à reprendre leurs activités au sein des différents centres fédéraux d’asile. Leurs retours montrent que la crise sanitaire n’a rien changé aux inégalités de traitement. Certains groupes ont pu redémarrer leur action dès le mois de mai, en accord avec le SEM et les organismes en charge de
l’exploitation du centre, à la satisfaction de toutes les parties prenantes. Si dans certains cas, ils ont continué à pouvoir compter sur le soutien des responsables des centres, sur d’autres sites en revanche, les conditions se sont détériorées. Alors que le danger était presque écarté d’un point de vue épidémiologique, le coronavirus a été utilisé comme excuse par les dirigeant-e-s pour maintenir la société civile loin des centres et de leurs habitant-e-s, laissant traîner les demandes d’autorisation de reprise d’activité. Une attitude absolument inacceptable:
Premièrement, la présence de la société civile joue un rôle extrêmement important dans ces grands bâtiments collectifs impersonnels. Loin d’être une « menace », les bénévoles apportent une contribution importante à la santé des réfugié-e-s, à la prévention des violences, à l’intégration et au respect de l’État de droit dans les procédures d’asile, entre autres.
Deuxièmement, un mandat officiel a été établi. Ce mandat doit être rempli dans tous les centres fédéraux – avant, pendant et après les périodes de crise.

LAURA TOMMILA, DIRECTRICE ZIAB / SCCFA
Traduit de l’allemand par Orphée Mouthuy

Depuis 2015, la SCCFA « Société civile dans les centres fédéraux d’asile » soutient l’engagement de la société civile dans et autour des centres fédéraux d’asile, et s’engage pour un hébergement conforme aux droits fondamentaux et aux droits humains.
> plattform-ziab.ch

[1] SRF, Coronavirus : Exit-Strategie, Asylwesen, Spargelernte, 01 avril 2020
[2] ORS, Betreuungsarbeit in Asylunterkünften wird durch Aktionen von Freiwilligenorganisationen erschwert, 01 avril 2020 (en allemand)

[caption id="attachment_59521" align="alignright" width="153"] Illustration: Ambroise Héritier / Vivre Ensemble n°178 | juin-juillet 2020[/caption]

Également dans ce numéro, sur le sujet de l’hébergement – bilan post Covid-19:

  • Témoignage : « l’épidémie aurait été plus facile à gérer si les personnes migrantes avaient été logées en appartement… »
  • Gestion de la pandémie dans les centres collectifs : mission impossible?!