Aller au contenu
Notre regard

Enquête | Violences au Centre fédéral de Bâle. Quand le système déraille

Des violences physiques et psychologiques graves seraient commises de manière régulière par des employés de Securitas dans le Centre fédéral d’asile (CFA) de Bâle. Un travail d’enquête important réalisé à la mi-mai par des journalistes de la WOZ et de la SRF documente ces faits à partir de témoignages des personnes requérantes d’asile victimes de violences et des rapports des employé-e-s de l’entreprise de sécurité. Le collectif bâlois 3 Rosen gegen Grenzen (3rgg) complète ces allégations dans un rapport détaillé basé sur les témoignages de victimes. Leur analyse démontre que le système même des CFA porte une responsabilité dans ces dérives contraires aux droits humains. Le 25 mai 2020, les juristes progressistes de Bâle ont annoncé avoir porté plainte contre X pour ces actes de violence.

Les journalistes de la WOZ et de SRF ont croisé les sources et dressent un tableau effrayant de ce qui pourrait bien avoir lieu dans d’autres centres d’asile en Suisse. Activant la loi sur la transparence, les journalistes ont accédé à des procès-verbaux confidentiels des agents de sécurité du CFA de Bâle des quatre dernières années. Plusieurs mentionnent des altercations entre des employés de l’entreprise en charge de la sécurité, ici Securitas, et des requérants d’asile logés dans le centre. Les actes des agents de sécurité y sont présentés comme de l’autodéfense légitime face à des personnes menaçantes.

Les témoignages recueillis auprès des habitant-e-s du centre évoquent davantage des abus de pouvoir et des passages à tabac au sein d’une cellule, à l’écart, officiellement présentée comme « salle de réflexion ». En 2018 déjà, la Commission nationale contre la torture (CNPT) avait mis en garde contre l’utilisation d’une telle cellule et recommandait la mise en place de « mesures de surveillance appropriées ». Conseil qui n’a visiblement pas été suivi à en croire les témoignages rapportés dans l’imposant rapport rédigé par le Collectif de militant-e-s bâlois 3rgg qui complète le travail d’enquête des deux médias.15 témoignages font état de l’usage de graves violences psychologiques et physiques répétées de la part d’employés de l’entreprise Securitas envers les personnes requérantes d’asile au sein de ce CFA. Certaines victimes ont fini aux urgences. Les témoins sont tous des hommes seuls, originaires d’Afrique du Nord. Certains sont mineurs.

3rgg.ch – Securitas-Gewalt im Lager Basel

Selon le collectif 3rgg, c’est le système qui engendre les violences. Si les auteurs doivent être condamnés individuellement, l’institution doit aussi répondre de ces actes. Les employé-e-s subissent des conditions de travail précaires, sans réelle formation vis-à- vis des personnes requérantes d’asile souvent fragilisées par un parcours migratoire chaotique. En octobre 2019, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) réclamait « une formation spécifique obligatoire régulière du personnel de sécurité». Et pour limiter les risques d’abus de pouvoir, elle demandait que les mesures disciplinaires soient uniquement décidées par la direction du centre.

Pour le collectif 3rgg, le Secrétariat d’État aux migrations et l’entreprise ORS (en charge de la gestion des centres) doivent être tenus responsables de ces violences, notamment parce qu’elles en ont été informées et n’ont pas agi.Les reportages relatent en particulier les actes d’un employé de Securitas, particulièrement violent, qui aurait été promu au sein de sa hiérarchie après la dénonciation d’un usage disproportionné de la force au sein du CFA. L’affaire avait ainsi été classée, le SEM expliquant qu’il avait présenté ses excuses. Le reportage de SRF rapporte l’indignation de ses collègues, «choqués» d’avoir appris cette promotion.

Suite à ces révélations,les Juristes démocrates de Bâle ont porté plainte contre X: « Nous partons du principe que la violence injustifiée exercée par des employés des services de sécurité à l’encontre de demandeurs d’asile est un cas de lésions corporelles simples qualifiées au sens de l’art. 123 ch. 2 al. 3 du Code pénal suisse. Cette qualification existe si les dommages corporels sont commis à l’encontre d’une personne qui est sous la garde du contrevenant ou dont le contrevenant est responsable.» (trad.Deepl)

Le dépôt de cette plainte a d’abord été rendu possible par le courage des personnes venues témoigner, relayé par le travail d’enquête et de documentation important fourni par le collectif 3rgg,mais également par la ténacité des journalistes des médias WOZ et SRF à obtenir et dévoiler ces informations. Des informations gardées jalousement par les autorités, qui ont la mainmise sur ce qui se déroule derrière les murs des centres fédéraux, conçus pour tenir à distance les personnes exilées de la société civile.Un fonctionnement à huis clos qui favorise l’abus de pouvoir et les violations des droits humains, imputables à l’État même lorsque ces actes sont commis par des tiers[1]. Un contrôle démocratique fort et une plus grande transparence, demandés de longue date, y sont indispensables. Une plainte pénale permettra-t-elle enfin de changer de paradigme ?

GIADA DE COULON
[1] Commission fédérale contre le racisme, Requérants d’asile dans l’espace public, p. 30, et Arrêt du Tribunal administratif fédéral (ATAF 133 | 49 consid. 3.2)

Violences également au Centre fédéral de Giffers / Chevrilles (FR)

Au moment où nous mettions sous presse, des allégations de violences commises par des agents Protectas au centre fédéral de Giffers (Fribourg) étaient dénoncées par Droit de rester Fribourg et Solidarité Tattes. Le journal Le Courrier a publié dans son édition du 18 juin 2020 le témoignage de deux employés de la société de sécurité, mettant en cause l’absence de formation de la part de leur employeur. Protectas est chargé depuis le 1er janvier 2020 de la sécurité interne du centre, mandat qu’elle a remporté face à l’ancien prestataire Securitas pour son «meilleur rapport qualité-prix» selon le SEM.
Informations supplémentaires sur asile.ch.

DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE
• Demokratische Juristinnen und Juristen, «Strafanzeige gegen Unbekannt wegen Gewaltvorfällen im Empfangs- und Verfahrenszentrum Basel», 25 mai 2020
• Die WOZ – Anna Jikhareva et Kaspar Surber, «Tatort Besinnugsraum», 14 mai 2020
• SRF – Fiona Endres, «Prügel Klima in Basler Azylzentrum», 13 mai 2020
• 3 Rosen gegen Grenzen, «Sie finden immer einen Grund, uns zu schlagen.» Securitas-Gewalt im Bundesasyllager, 15 mai 2020
• Commission nationale de prévention de la torture (CNPT), Synthèse du rapport de la Commission nationale de prévention de la torture sur ses visites dans les centres fédéraux pour requérants d’asile en 2017 et 2018, 11 janvier 2019
• Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), «La Confédération attribue des mandats pour les prestations de service de sécurité dans les centres fédéraux pour requérants d’asile», 1 octobre 2019