Aller au contenu
Notre regard

Hébergement | Témoignage: « l’épidémie aurait été plus facile à gérer si les personnes migrantes avaient été logées en appartement… »

Comment le confinement a-t-il été vécu dans les foyers collectifs, où sont hébergées la plupart des personnes en procédure d’asile, voire ayant déjà obtenu un statut, comme c’est le cas dans les cantons de Vaud et de Genève ? Qu’est-ce que cette situation, extraordinaire, a révélé de la prise en charge des personnes relevant de l’asile et quelles leçons tirer de cette situation pour améliorer leurs conditions de vie et leur intégration? Alors que la vie reprend son cours, nous avons pu recueillir les impressions d’un assistant social de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), où sont hébergées les personnes issues de l’asile dans le canton de Vaud[1]. Il tient à rester anonyme. (réd.)

Dans l’ensemble, je dois dire que la prise en charge sanitaire dans les lieux collectifs a été correcte. Il n’y a pas eu de réelle explosion de cas. Celles et ceux qui en avaient besoin ont été soignés. Mais les mesures sans doute nécessaires pour lut- ter contre le virus ont eu des conséquences néfastes pour la vie déjà difficile dans les foyers. Promiscuité, manque d’intimité, contrôle social exercé par le personnel de l’EVAM, notamment par les agents de sécurité: le confinement a amplifié les problèmes préexistants.

L’adaptation de l’organisation des sanitaires communs a favorisé des conflits entre les résident-e-s par exemple. En temps normal, l’hébergement d’une mère et de son enfant de quatre ans dans une chambre de 12 m2 est problématique. Imaginez avec le confinement! L’enfant ne peut se dépenser suffisamment en journée, il pleure toute la nuit, la mère est épuisée.

J’ai également eu l’impression que les résident-e-s des foyers ont été déresponsabilisés et privés de leur autonomie pour faire face à la pandémie. Ainsi, des surveillants rationnaient le gel hydroalcoolique ou les produits de nettoyage.

Pour nous, qui accompagnons les résidents, nous avons fait comme tout le monde: on a bricolé avec plus ou moins de succès. Je suis cependant gêné, aujourd’hui, par l’absence de réflexion de fond sur le concept même de foyer pour migrants-e-s. La crise devrait à mon sens servir de révélateur de l’absurdité de ce type d’hébergement et favoriser l’accès à un logement individuel des personnes issues de l’asile.

Je m’explique: en Suisse, les hébergements collectifs sont généralement prévus pour répondre aux besoins spécifiques d’une population: EMS pour les personnes âgées ou structures pour personnes souffrant de graves troubles psychiques, foyers pour mineur-e-s en danger. Les seules exceptions sont la prison – pour des raisons pénales – et les centres d’accueil pour migrants.

Préjugés institutionnels
Pour ces derniers, les objectifs dépendent des statuts des personnes concernées. Mais sont-ils justes ? Et quels sont leurs impacts réels ?

Dans le canton de Vaud, le cadre légal prévoit un hébergement collectif à bas seuil pour les personnes à l’ «aide d’urgence». La visée est alors purement répressive. En fermant aux personnes déboutées de l’asile l’accès aux logements individuels (appartements), les autorités souhaitent les dissuader de s’installer en Suisse.

Pour celles et ceux qui sont au bénéfice d’un permis N (demande d’asile en cours) ou F (admission provisoire), le guide d’assistance de l’EVAM prévoit entre autres pour l’obtention d’un logement individuel des critères tels que « l’existence d’un revenu stable », le « comportement, collaboration et intégration» et «l’aptitude à vivre en logement individuel». Le préjugé sous-entendu est flagrant. Certains requérants d’asile sont perçus comme intrinsèquement ou culturellement inaptes à la vie normale dans notre société.

L’intégration en question
La réalité démontre l’absurdité de cette position: les personnes qui obtiennent le statut de réfugié (permis B) ne sont pas prises en charge par l’EVAM, mais par le Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR) qui ne dispose d’aucun logement collectif. Sauf exception liée à leur état de santé, elles sont donc toutes logées en appartement indépendamment de la perception qu’ont les autorités de leur «intégration» ou de leur « comportement » ou de la durée de leur séjour en Suisse. Leur donner accès à un appartement a pour but d’accélérer leur inclusion dans la société. Sachant qu’une majorité des personnes issues de l’asile recevront au final une protection, l’accès à un logement individuel devrait à mon sens être préconisé.

Or, pendant ce temps, l’EVAM continue de résilier des baux d’appartements. L’épidémie aurait pourtant été plus facile à gérer pour tout le monde si toutes les personnes migrantes étaient logés en hébergement individuel…

[1] Sur la base de ce témoignage, Droit de rester Lausanne a publié un article sur son blog.

[caption id="attachment_59521" align="alignright" width="153"] Illustration: Ambroise Héritier / Vivre Ensemble n°178 | juin-juillet 2020[/caption]

Également dans ce numéro, sur le sujet de l’hébergement – bilan post Covid-19

  • Gestion de la pandémie dans les centres collectifs: mission impossible?!
  • Société civile dans les centres fédéraux: une lutte contre l’isolement des requérant-e-s d’asile