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Notre regard

AMIC | Bilan post-covid : les adolescents, seuls face à l’école en ligne

Durant le confinement, le soutien scolaire offert par l’AMIC a évité des décrochages

L’Association de médiatrices interculturelles (AMIC) a été très active ce printemps pour maintenir le lien avec la communauté migrante et apporter un soutien particulier aux jeunes sur le plan scolaire dans le contexte de l’école en ligne. Rachel Bolle médiatrice à l’AMIC en charge du pôle formation et des projets scolaires revient pour Vivre Ensemble (asile.ch) sur l’action de l’association. Elle a également recueilli le témoignage de deux jeunes qui ont bénéficié de l’appui de l’AMIC, à découvrir ci-dessous.

L’Association de médiatrices interculturelles (AMIC) a été créée en 2010 par d’anciennes femmes réfugiées et migrantes désirant partager et utiliser leurs expériences personnelles de la migration pour faciliter l’intégration des personnes nouvellement arrivées en Suisse en provenance notamment d’Érythrée et d’Éthiopie. Faisant à la fois partie de la communauté migrante dans laquelle elle joue un rôle de solidarité et d’entraide tout en étant active au sein de la communauté locale, les médiatrices interculturelles créent des « ponts culturels » entre la nouveaux arrivants et les réseaux institutionnels et professionnels qui les entourent. Durant la période de semi-confinement, l’association a été très active pour maintenir le lien avec son public et apporter un soutien particulier aux jeunes sur le plan scolaire dans le contexte de l’école en ligne.

L’AMIC est identifiée comme un lieu de solidarité, d’entraide et de partage. C’est un espace accessible et vivant, où des liens de confiance entre les différentes personnes fréquentant l’association se sont créés et continuent de se créer quotidiennement. Les mesures de protections suite à la crise sanitaire ont forcé tout le monde à l’isolement. Pour la population migrante qui se bat déjà continuellement contre une telle mise à l’écart, cette situation a été particulièrement difficile. Afin de continuer à apporter son soutien, l’AMIC a cherché à maintenir les liens avec ses bénéficiaires.

Par des téléphones réguliers, les médiatrices de l’association, mais aussi les bénévoles et les intervenant-e-s externes, ont maintenu un contact informel avec tous ses bénéficiaires. Outre des traductions d’informations importantes sur la situation sanitaire et sur les mesures à prendre, ces contacts avaient pour fonction d’apporter réconfort et rappeler notre présence si besoin aux familles qui fréquentent l’AMIC. Nous avons également organisé des activités pour permettre aux jeunes qui le souhaitaient de faire du bénévolat et de venir en aide à leur tour aux personnes les plus vulnérables, en collaboration avec le Parlement des Jeunes.

Pour les jeunes en formation (de primaire au secondaire I et II, apprentissage, non accompagné-e-s ou en familles), les soutiens scolaires par téléphone se sont rapidement avérés nécessaires et se sont organisés. Nous avons pu trouver 13 ordinateurs pour les jeunes et familles qui n’en avaient pas. Les liens de confiance entre les différents bénévoles, les médiatrices et les jeunes créés tout au long de l’année ont permis d’avoir des contacts spontanés, amicaux, informels, encourageants.

D’abord par téléphone portable, le soutien scolaire s’est ensuite fait en présentiel dans le local de l’AMIC en petit groupe. Souvent, les jeunes nous téléphonaient pour demander s’ils pouvaient passer pendant la journée. Notre local était ouvert sans obligation d’inscription, mais en respectant les distances et le nombre de personnes.
En étant à côté, il était beaucoup plus facile d’aider les jeunes, qui s’étaient retrouvés bien souvent seuls et démunis face à leurs devoirs.

Parmi les difficultés évoquées de façon récurrente : celle de se concentrer dans leur lieu d’habitation en raison du bruit ou de l’exiguïté; l’absence de ou une mauvaise connexion Internet; le fait de partager leur chambre avec d’autres personnes qui ne sont pas forcément en études donc qui n’ont pas le même rythme; la méconnaissance des outils informatiques et donc les difficultés de naviguer sur la plateforme des cours en ligne du Département de l’instruction publique (DIP) ou de chercher les informations sur internet pour faire leurs devoirs; les difficultés de compréhension des énoncés. Le travail en ligne demande une plus grande autonomie au niveau de l’apprentissage, à laquelle nombre d’adolescent-e-s ne sont déjà pas armé-e-s et que beaucoup de jeunes migrant-e-s n’ont pas encore suffisamment développé dû à leur parcours scolaire dans le pays d’origine. L’AMIC est ainsi devenu un lieu où les jeunes peuvent travailler au calme et poser leurs questions.

Rachel Bolle
Médiatrice en charge du pôle formation et des projets scolaires à l’AMIC


 Témoignages

« Personne ne m’avait montré comment me connecter » 

Zenawi, 3 ans de scolarité, Classe d’Orientation Professionnelle (après Access II). Le premier mois, il a travaillé sur son téléphone, puis il a reçu un ordinateur par l’Hospice général. Ancien requérant d’asile mineur non accompagné.

Les maths et la géographie étaient très difficiles! J’ai commencé en Suisse à apprendre ces matières, je n’ai pas l’habitude et n’arrivais pas à travailler tout seul. C’était trop difficile. Le prof de maths m’a envoyé les devoirs mais je n’ai même pas regardé. Ça me stresse les maths, alors je ne fais pas.

Je n’arrivais pas à travailler chez moi. Je partage ma chambre avec quelqu’un, on est 5 dans mon appartement du foyer, il y a du bruit. J’arrive mieux à me concentrer lorsque je suis tout seul. En plus, on parle toujours tigrinya. Avec le confinement, on parlait encore plus tigrinya parce qu’on restait entre nous.

Avant le confinement, je n’avais jamais travaillé mes devoirs avec l’ordinateur, c’est seulement avec toi que j’ai commencé. On a eu quelques cours d’informatique avant à l’école mais je n’arrivais pas à l’utiliser seul. Je ne me rappelais plus ce qu’on avait fait et comme je ne l’utilisais pas, je n’ai pas continué. Et puis j’ai aussi pris des cours d’informatique à l’AMIC avant le confinement, ça m’a beaucoup aidé. Ça m’a donné envie. J’ai appris à utiliser les accents, à écrire avec le clavier, les majuscules. Liban (le prof qui donne des cours à l’AMIC) a continué de m’aider pendant le confinement.

Toi tu m’as aidé à aller sur Classroom [la plateforme en ligne du DIP], à trouver les codes pour accéder à mon espace en ligne, utiliser les adresses emails edu.ge, changer les codes pour que je m’en rappelle, comment trouver les devoirs dans l’ordinateur, comment rendre les devoirs pour les corrections. Je ne connaissais rien à l’espace en ligne. On n’avait jamais fait ça avant. Personne ne m’a montré comment me connecter. Je n’arrivais pas non plus à aller chercher des informations pour faire les devoirs. Et puis j’ai aussi appris à écrire des emails avec toi. J’ai une adresse email mais je ne savais pas comment l’utiliser, trouver et lire les messages. Alors je donnais mon adresse et après c’était fini et je m’arrêtais là. C’est seulement avec mon assistante sociale que j’échangeais des mails, mais c’était toujours la même chose, alors je savais comment faire avec elle.

Lorsqu’on travaille ensemble, c’est mieux, car j’apprends en même temps. Sinon, c’est trop difficile, cela me donne mal à la tête, c’est le stress et après j’arrête. Je veux continuer à travailler avec l’ordinateur maintenant. J’ai envie de savoir mieux l’utiliser, c’est très important pour trouver du travail plus tard. Les cours à l’AMIC m’aident beaucoup pour ça. Mais avec le confinement, c’était encore différent de ce qu’on fait pendant les cours. Alors c’était bien de faire avec toi.

Travailler sur un téléphone ou un ordinateur est très différent. Avec le téléphone, il est difficile de se concentrer. On me téléphone tout le temps, on m’envoie des messages auxquels je dois répondre et je n’arrive pas à avancer. Je perds mon temps. Avec l’ordinateur, je peux laisser mon téléphone de côté.

J’aime bien faire les devoirs sur l’ordinateur, mais avec toi. Sinon, c’est trop dur, c’est déprimant. Et en plus, je n’ai pas Internet chez moi. Je ne peux pas partager l’Internet de mon téléphone avec mon ordinateur parce que c’est trop lent. L’année prochaine, j’aimerais avoir Internet pour pouvoir utiliser mon ordinateur. Pendant le confinement, j’allais parfois dans un parc où il y a l’Internet. Il y a des tables où je pouvais travailler calmement. J’allais tout seul.

Je n’ai pas eu de contact avec les autres élèves, et seulement un petit peu avec mes profs. Je pouvais appeler mon prof de classe si j’avais besoin. Mais je n’ai téléphoné qu’à toi. On a travaillé ensemble, tu te rappelles ? Les profs m’envoyaient les devoirs et je les faisais ensuite avec toi. Je n’aime pas demander aux profs parce qu’ils n’ont pas beaucoup de temps. C’est normal, il y a d’autres élèves, je ne suis pas tout seul.

Si on continue avec le confinement, c’est très important d’avoir un espace comme l’AMIC qui reste ouvert. Comme ça je peux sortir de chez moi pour me concentrer. C’est motivant.

Les points positifs du confinement ? J’ai appris un petit peu mieux à utiliser l’ordinateur. Mais surtout, je n’avais jamais téléphoné à des personnes en parlant en français, comme avec toi par exemple. C’est difficile de parler en français au téléphone et encore plus de faire ses devoirs. Mais c’est un bon exercice pour moi. J’étais content que tu me téléphones. Et puis j’ai aussi écrit beaucoup de messages en français pour communiquer avec les profs. Ça aussi, je ne l’avais jamais fait. J’ai écrit beaucoup de messages en français pendant le confinement, c’est bien.


« Je n’osais pas trop poser des questions aux profs »     

Sabela, 2ème classe d’accueil du cycle, vit en famille

C’était difficile parce qu’il n’y avait personne chez moi. Mon père travaille toute la journée. Ma mère ne parle pas français. Ma sœur est plus petite que moi. Et il y a aussi mon petit frère.

Quand je n’arrivais pas à faire mes devoirs, je téléphonais à la personne qui m’aide à l’AMIC, Chloé [répétitrice qui fait les soutiens scolaires depuis des années]. On arrivait bien à travailler par téléphone. On le faisait environ 2 à 3 fois par semaine parce qu’elle travaillait aussi à côté, alors je ne pouvais pas l’appeler tous les jours.

Je recevais les devoirs par la poste et quelques fois par email aussi. Mais je n’ai pas d’imprimante alors je ne pouvais pas faire et envoyer les devoirs par email, comme les autres élèves.

Je recevais les devoirs par la poste pour pouvoir faire les exercices sur du papier. Et après, la prof m’envoyait les corrections par email. Mais c’était difficile parce que je devais faire les corrections toute seule. Heureusement, je pouvais téléphoner à Chloé pour mieux comprendre.

Je pouvais aussi demander aux profs, ils m’ont dit que ce n’était pas un problème. On avait des cours deux fois par semaine sur Meet. On pouvait poser des questions, mais il y a beaucoup de monde pendant le Meet. Pour les autres élèves, ils veulent continuer et aller vite. Comme j’avais des contacts avec Chloé, je n’avais pas trop besoin de poser des questions sur Meet. En plus,  je n’osais pas trop poser des questions aux profs, je ne voulais pas les déranger parce qu’il y a beaucoup d’élèves. Avec vous, c’est plus facile parce qu’on se connait bien.  Mais c’était important d’avoir des réunions sur Meet. On a aussi regardé des videos sur Meet. C’était bien.

J’avais un ordinateur mais mon petit frère l’a fait tomber, il s’est cassé. Alors j’ai essayé avec le téléphone mais je n’y arrivais pas. On n’a pas reçu d’autres ordinateurs. En plus, je n’arrive pas à envoyer des choses compliquées. Pour écrire ça va, mais pour envoyer des photos, je n’arrive pas. Par exemple, on avait un exercice avec le prof de diction et des photos, je n’ai rien compris. Chloé m’a montré comment faire avec le téléphone. Et après j’ai réussi.

Le plus difficile c’était les devoirs de français. C’est plus difficile pendant le confinement parce qu’il n’y a personne avec toi. Dans le cadre de l’école tu travailles ensemble, si tu ne comprends pas, tu peux faire avec quelqu’un, tu peux vite regarder comment on fait. Mais à la maison, personne ne peut faire avec moi.

Je n’ai pas aimé cette période. Ce n’était pas facile de rester à la maison tout le temps. Quand l’AMIC a ouvert, c’était bien. J’ai pu travailler avec quelqu’un à côté de moi. Et c’est plus motivant, sinon ça me stresse et je ne peux pas faire. J’arrête et après y a encore plus de choses à faire. En tout cas, si on doit refaire comme le confinement, j’aimerais que AMIC reste ouvert pour venir. 2 ou 3 personnes, c’est bien, aussi pour le moral. On arrive mieux. Fermer l’école et travailler à la maison, c’était très dur pour moi.


 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que l’AMIC ?

AMIC, Association de médiatrices interculturelles, a été créée en 2010 par d’anciennes femmes réfugiées et migrantes désirant partager et utiliser leurs expériences personnelles de la migration pour faciliter l’intégration des personnes nouvellement arrivées en Suisse en provenance notamment d’Érythrée et d’Éthiopie. 

Identifiées comme personnes de référence au sein de leur communauté et des institutions, elles sont sollicitées pour garantir le passage des informations, permettre la compréhension des différences, qu’elles soient d’ordre culturel, socio-économique, sociétal, linguistique, ou religieux, et fournir une aide pour une gestion constructive de celle-ci. A travers de nombreuses traductions et médiations, l’AMIC facilite les liens entre différents acteurs locaux actifs dans le domaine de l’accueil des migrants, comme les institutions publiques, les associations, la société civile. La médiation interculturelle est un élément essentiel du processus d’intégration.

Depuis sa fondation, l’AMIC a développé différents projets visant à répondre aux besoins de sa population cible. Des activités pour les personnes réfugiées, menées par les réfugié-e-s ont été mises en place, enrichies par des collaborations avec d’autres professionnels et l’aide précieuse de nombreux bénévoles. En proposant un accueil solidaire, un accompagnement adapté, et en soutenant l’éducation et la formation, AMIC facilite l’intégration des réfugié-e-s et migrant-e-s. Elle contribue ainsi à la construction d’une société plurielle et inclusive. 

Quatre programmes :

-Un espace d’accueil pour les femmes avec ateliers de français et cours d’informatique, ateliers thématiques de discussion en lien avec la vie quotidienne, activités culturelles et sportives, programme de marrainage.

-Suite à l’arrivée importante des nombreux mineur-e-s non accompagné-e-s en 2014 de différents pays, un programme d’accompagnement avec soutien à la formation (soutien scolaire et cours d’informatique), soutien à l’insertion professionnelle, et programme de parrainage, loisirs

-Un espace Parents–Enfants avec activités ludiques et éducatives pour renforcer le développement des enfants, cours de rythmique en collaboration avec l’Institut Jaques-Dalcroze

-Une permanence tout public pour toutes questions administratives et personnelles, soutien psycho-social, orientation, conseils, écoute