Aller au contenu
Notre regard

Témoignage | « Beaucoup de chrétiens convertis sont arrêtés et torturés, ou même disparaissent »

Nous publions ci-dessous le témoignage d’un demandeur d’asile iranien ayant été débouté en Suisse et dont le dossier est en réexamen. Il craint pour sa vie en cas de renvoi du fait de sa conversion au Christianisme. La peine de mort est de plus en plus pratiquée en Iran, comme l’a récemment montré l’actualité et la conversion à une autre religion que l’Islam ou le prosélytisme sont passibles de la peine capitale. Suite au témoignage, nous proposons un bref éclairage des enjeux liés à la problématique.

Témoignage

Bonjour la Suisse !

Je suis un demandeur d’asile iranien. Il y a presque 18 mois que je suis en Suisse. Par deux fois, l’asile m’a été refusé par le SEM en l’espace d’un mois, sous l’argument que les chrétiens sont bien traités en Iran. Les chrétiens d’origine, oui, peut-être, mais les Iraniens convertis ? Dans mon pays, j’avais organisé une « maison-église » chez moi, en collaboration avec la campagne « Children of God » qui distribue des Bibles aux chrétiens convertis.

Avec sa décision, le SEM m’a prié de signer un papier et de rentrer chez moi. J’ai refusé, connaissant le traitement que j’ai subi dans mon pays d’origine. Alors, je suis interné dans un centre où vivent essentiellement des demandeurs déboutés ne pouvant de force être renvoyés chez eux. Certains sont là depuis 10 ou même 20 ans…

Le SEM refuse de croire aux persécutions des chrétiens convertis. La Suisse prétend que nous sommes en sécurité en Iran. Alors que le régime islamique donne 80 coups de fouets aux personnes qui boivent de l’eau dans la rue durant le Ramadan, que beaucoup de chrétiens convertis sont arrêtés et torturés, ou même disparaissent. Des centaines voire des milliers de personnes sont tuées par le régime, dans les rues par des tirs de mitrailleuses, ou écrasés sous des tanks et des hélicoptères simplement parce qu’ils protestent contre la politique étrangère et la détérioration des conditions de vie et la privation des libertés fondamentales dans le pays. Rien que la semaine dernière, le régime a pendu un homme parce qu’il avait bu de l’alcool. Imaginez ce que nous risquons à prendre la Sainte communion à l’Église. Sans parler de bien d’autres crimes…

Même en Suisse, je ne suis pas en sécurité. Durant cette année et demie passée dans divers   centres pour demandeurs d’asile en Suisse, j’ai été à plusieurs reprises menacé par des personnes de confession musulmane. Il y a un mois, un homme à qui j’avais rendu service pour une traduction avec les autorités du centre m’a attaqué et blessé à la tête, m’infligeant une dizaine de vilaines blessures, lorsqu’il a appris que j’avais changé de religion. La police a dû être appelée à la rescousse pour me défendre.

La Suisse observe la convention des droits de l’homme, où les personnes ne peuvent être discriminées en raison de leur race, leur origine, leur genre ou leur religion, mais apparemment les chrétiens convertis d’Iran n’entrent pas dans ces catégories !!

En arrivant en Suisse, j’ai cru que j’étais enfin en sécurité et protégé dans ce pays de liberté, de démocratie et de droits humains. Cela fait 9 mois aujourd’hui que mon dossier a été rouvert avec l’aide d’un avocat et je suis toujours sans réponse du SEM. Neuf mois que je vis dans une prison à ciel ouvert, que je me sens pris en otage. Je ne peux même pas envisager de partir dans un autre pays qui me renverrait en Suisse.

Avec l’aide d’urgence, qui en plus de deux repas servis quotidiennement, m’alloue 4 CHF par jour pour mon repas du soir, je n’ai vraiment pas de quoi voyager bien loin… Juste de quoi devenir fou sans le droit à rien : ni travail, ni déplacements, ni relations avec la population résidente…

Younes Bagherieh

Traduction française : Béatrice Jaquet

éclairage

Si les minorités religieuses sont reconnues par la Constitution iranienne, les musulman-e-s converti-e-s au christianisme ne le sont pas et les activités liées à leur conversion sont sévèrement réprimées par les autorités iraniennes comme en témoigne une recherche de l’analyse-pays de l’OSAR  de juin 2018.

Seul, Jérôme Briot

La pratique suisse à l’égard des personnes converties

Dans leur examen des demandes d’asile de personnes converties, les autorités doivent vérifier, lorsque la conversion est établie, quels seraient les risques encourus par le demandeur d’asile en cas de retour et si celui-ci peut y pratiquer sa foi et dans quelles conditions.

Dans un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme CourEDH (Affaire A.A c. Suisse novembre 2019) concernant un ressortissant afghan converti au christianisme, les juges avaient estimé que la Suisse n’avait pas effectué d’examen rigoureux et approfondi des risques en cas de retour. Elle a notamment rappelé que les autorités nationales, lorsqu’elles retiennent une conversion sur place, sont tenues de rechercher si le requérant serait exposé au risque de subir un traitement contraire à l’art. 3 CEDH (torture et traitement inhumain et dégradant) en cas de retour. Autre aspect se révélant souvent problématique dans la pratique suisse dans des cas de persécution pour des motifs religieux ou en raison de l’orientation sexuelle. Les autorités appuient parfois leur refus d’accorder l’asile en estimant que les personnes peuvent pratiquent leur foi ou manifester leur orientation sexuelle de façon discrète…. Ceci, en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, qui considère une telle exigence comme une entrave à des libertés fondamentales.

Ségolène Huber
(collaboration Sophie Malka)
Vivre Ensemble | asile.ch

En savoir plus