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Le temps des réfugiés | Tibétains déboutés de l’asile, un expert pro-chinois aurait influencé le SEM

Dans son blog Jasmine Caye se fait écho d’une importante enquête menée par la NZZ am Sonntag. Aujourd’hui, près de 300 requérants tibétains vivent en Suisse sans statut légal. Leurs demandes d’asile ont été rejetées parce que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) les soupçonnait d’être socialisés en dehors du Tibet. Or, l’unité spécialisée LINGUA du SEM semble sujette aux critiques. L’hebdomadaire suisse alémanique suggère que les personnes tibétaines déboutées de l’asile auraient été victimes d’un expert engagé par le SEM qui serait favorable à la propagande de l’État chinois. Une pétition en ligne vient d’être lancée afin de demander à la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter de réviser la décision du SEM concernant le manque d’attribution de statut de séjour à ces quelques 300 tibétains.

L’article “Tibétains déboutés de l’asile, un expert pro-chinois aurait influencé le SEM” a été publié le 29 octobre 2020 sur le blog de Jasmine Caye intitulé « Le temps des réfugiés »  et hébergé par le quotidien Le Temps.

Tibétains déboutés de l’asile, un expert pro-chinois aurait influencé le SEM

29 octobre 2020
Jasmine Caye

Aujourd’hui, près de 300 requérants tibétains sont sans statut légal. Leurs demandes d’asile ont été rejetées parce que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) les soupçonnait d’être socialisés en dehors du Tibet. La communauté tibétaine est l’une des cibles des nombreuses incohérences de l’administration fédérale.
Ainsi, les personnes déboutées de l’asile doivent vivre avec une décision négative et un ordre de quitter la Suisse sans que cela soit possible puisqu’elles ne disposent pas de papiers. En raison de leur séjour «illégal», ces personnes sont punies d’amendes et de peines d’emprisonnement et, dans certains cantons, de restrictions (1). Mais la question est de savoir si oui ou non ces personnes ont été victimes d’experts engagés par le SEM mais travaillant pour le compte de la Chine ? Une affaire révélée par la NZZ am Sonntag le suggère et la communauté tibétaine concernée vient de lancer une pétition en ligne demandant à la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter de légaliser leur statut (2).

Analyse Lingua

Pour éclaircir la provenance des requérants, le SEM utilise un service spécialisé composé de plus de 100 experts dont les noms doivent rester confidentiels. Ces personnes sont mandatées pour trouver l’origine réelle et le lieu de socialisation des requérants d’asile qui n’ont pas pu remettre les preuves de leur identité, de leur provenance.
L’analyse Lingua est effectuée par téléphone. C’est le dernier stade d’une demande d’asile qui doit permettre de cerner le dialecte, la connaissance de base du pays d’origine et la socialisation du sujet. L’avis des experts est décisifs pour un requérant d’asile et le Tribunal administratif fédéral (TAF) considère ces analyses comme ayant une «valeur probante» certaine.
Ces dernières années les experts ont cependant rejeté jusqu’à 80% des réfugiés tibétains ce qui explique les centaines de Tibétains sans papiers en Suisse.

L’expert “AS19“

C’est la fuite de documents confidentiels de la section “Analyse Lingua” du SEM qui a révélé le travail bâclé et criblé d’erreur de l’expert AS19 (3).
Cette fuite a permis à un groupe de tibétologues des universités de Berne, Leipzig et Paris de constater l’ampleur des dégâts. Les quatre scientifiques font des recherches sur la langue, la culture et l’histoire tibétaines depuis des décennies. Ils ont vérifié le rapport et rédigé une opinion d’expert à ce sujet.
Karénina Kollmar-Paulenz en fait partie. Elle est professeure d’études religieuses et culturelles d’Asie centrale à l’Université de Berne. Son constat est sans équivoque comme le raconte Lukas Häuptli de la NZZ. Cette spécialiste évoque des «erreurs substantielles et inacceptable» dans le rapport Lingua et «tant de lacunes qu’une évaluation neutre et objective n’est pas possible». Pire encore, le rapport de l’expert« AS19 » contredit les connaissances scientifiques actuelles en tibétologie et se base sur des connaissances qui datent des années 80.
Clou de l’affaire, les quatre scientifiques émettent de sérieux doutes sur l’identité de l’expert du SEM car le monde est petit en tibétologie et personne ne connaît un tibétologue qui correspond aux informations du Secrétariat d’État aux migrations. Et enfin il est évident que l’expert ‘AS19’ est très favorable à la Chine. Sa façon de s’exprimer ressemble à un discours de propagande officielle en faveur de l’État chinois, raconte Karénina Kollmar-Paulenz.

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) infiltré?

Récemment on apprenait que le SEM avait l’intention de renouveler un accord de surveillance avec les autorités chinoises, accord resté secret jusqu’à la révélation faite au mois d’août aussi par la NZZ. Les révélations sur les autorisations de séjours (sans visas) pour des officiels chinois afin qu’ils puissent aider les autorités suisses à identifier des personnes destinées à être renvoyées en Chine ont choqué l’ensemble des partis. Maintenant, il est aisé de penser que des “experts Lingua” travaillent pour le compte des autorités chinoises et influencent les décisions du SEM en rédigeant de faux rapports d’analyse sur des personnes Tibétaines ou Ouïghours venues chercher refuge en Suisse.

Enquêter sur le travail du SEM

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a tenté de se défendre dans la NZZ expliquant que le département Lingua effectuait des analyses de haute qualité depuis des années et que ses travaux faisait l’objet de revues régulières. Mais c’est aussi ce que réfute Karénina Kollmar-Paulenz.
Nous n’élisons pas nos hauts fonctionnaires et ils nous gouvernent. Demander à Madame Karin Keller-Sutter de se pencher sur le travail complexe du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) est inutile, elle fait confiance à son chef Monsieur Mario Gattiker qui lui est sourd aux bonnes idées. L’une d’entre elles est de savoir qui se cache derrière les interprètes super-puissants et les experts Lingua.
Une délégation parlementaire devrait ouvrir une enquête pour savoir si le SEM fait ce qu’il faut pour prendre les bonnes décisions sans être contrôlés par des interprètes ou des experts LINGUA politisés qui font entrer des amis d’amis sans motifs d’asile ou expulser des personnes qui elles ont besoin de protection.

NZZ am Sonntag, “Geheime Asyl-Abteilung des Bundes gerät unter Beschuss”, 25.10.2020: https://nzzas.nzz.ch/schweiz/geheime-asyl-abteilung-des-bundes-geraet-unter-beschuss-ld.1583455?reduced=true

NZZ am Sonntag, “Geheimvertrag: Chinesen dürfen in der Schweiz ermitteln”, 22.08.2020: https://nzzas.nzz.ch/schweiz/geheimvertrag-chinesen-duerfen-in-der-schweiz-ermitteln-ld.1572784?reduced=true

Notes  :

1.Depuis juin 2016, les Tibétains sont officiellement reconnus comme étant des ressortissants chinois, ce qui indique un changement dans la politique étrangère du gouvernement suisse sur le Tibet. Le SEM a affirmé que le changement de politique n’avait pas affecté l’éligibilité des réfugiés tibétains à l’asile mais depuis le taux d’approbation des demandeurs d’asile tibétains a beaucoup diminué au fil des ans. Seuls 54,8% des candidats tibétains se sont qualifiés en 2016, contre 71,8% en 2015 et 85,8% en 2014, ont rapporté les médias suisses.

2. Une pétition en ligne sur Change.org lancée par un groupe appelé LEGALISIERUNG DER TIBETISCHEN SANS-PAPIERS (Légalisation des Tibétains sans  papier) a recueilli 1010 signatures au moment de la rédaction de ce rapport. La pétition demandait à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter (FDJP) et au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) de légaliser tous les permis de séjour des demandeurs d’asile tibétains rejetés; garantie de procédures d’asile indépendantes et constitutionnelles pour les demandeurs d’asile tibétains et arrêt immédiat du renouvellement de l’accord secret entre la Suisse et la Chine.