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Notre regard

Livre | « La route à bout de bras » : un récit de résilience et d’espoir

Livres à (s’)offrir

En cette fin d’année 2020 où les contacts sociaux sont fortement réduits, la lecture reste un important repère. Entre le 25 novembre et le 20 décembre, nous proposons sur notre site asile.ch une sélection de  publications à lire et à offrir. Et nous continuons cette série avec La route à bout de bras, un récit retraçant l’extraordinaire périple de Mamadou Sow entre la Guinée et l’Europe, alors que ce dernier est paralysé des deux jambes. Retrouver également en bas de cet article deux interview de l’auteur.

Mamadou Sow, La route à bout de bras. L’abécédaire de l’Afrique à l’Europe en zigzag, propos recueillis par Elisabeth Zurbriggen. Editions Migrilude, ISBN : 979-10-97542-13-9. Prix fixe en France : 13,90 €, prix variable en Suisse selon les librairies.

Un jour, le fils du chef du village m’a dit :
– Ah, petit, tu es un enfant, mais maintenant tu dois te débrouiller tout seul et partir pour Conakry.
Comme tu es handicapé, tu pourras mendier et gagner un peu d’argent.

Dans ce récit sous forme d’abécédaire, Mamadou Sow, jeune migrant guinéen, nous raconte d’abord sa lutte quotidienne à Conakry pour échapper au rejet dont sont victimes dans son pays les handicapés comme lui. Encore enfant il parvient toutefois à vaincre l’adversité. Doué d’un véritable esprit entrepreneurial, il monte dans l’échelle sociale et passe de mendiant à cireur de chaussures, grâce à une ONG qui lui permet d’accumuler un petit pécule. Les années passent et il installe un stand de vente d’accessoires de téléphone au grand marché de Conakry.

Mamadou Sow décrit aussi ses efforts pour mettre sur pied dès qu’il le peut une association d’aide aux habitants de son village d’origine qui ne l’ont pourtant pas trop assisté. Puis il explique comment les affrontements ethniques en Guinée ont eu raison de ses efforts pour devenir autonome. Son petit commerce est la proie des flammes lors d’un pogrome contre les Peuls. C’est une des raisons qui motivent sa décision d’entreprendre à l’âge de dix-neuf ans son incroyable odyssée à travers le désert, le cauchemar libyen et la Méditerranée de laquelle il survit par miracle. Il n’est bien sûr pas le seul à affronter tous ces risques pour parvenir en Europe mais son exploit est d’y être parvenu sans l’usage des jambes, paralysées par la polio, ni l’accès à une chaise roulante.

Rêve et réalité
Le récit de vie de Mamadou Sow est aussi celui d’un rêve qui ne s’accomplit que très partiellement. Il est d’abord bloqué plus de deux ans en Sicile dans les étages supérieurs de divers foyers de migrants sans ascenseur. Découragé, il tente sa chance en France, d’où il doit repartir assez rapidement en raison des accords de Dublin. Il obtient quand-même le statut de réfugié en Italie mais se retrouve d’abord à la rue. Il est ensuite hébergé généreusement sept mois chez une habitante d’Aoste avant de pouvoir obtenir une chambre à lui dans un foyer valdôtain. La réalité confrontée à ses rêves ne le rend pas amer pour autant mais elle le pousse à avertir chaque fois qu’il le peut ses compatriotes. « L’Europe n’est pas comme on le voit sur les réseaux sociaux », répète-t-il inlassablement.

La route à bout de bras, reste un récit pourtant toujours positif et imprégné d’espoir : celui de pouvoir travailler et d’être un jour appareillé afin de retrouver ainsi un peu de liberté et de dignité. Et déjà, malgré la situation sanitaire actuelle et les délais interminables de l’administration italienne pour chaque étape de son processus d’intégration, Mamadou Sow échafaude de nouveaux projets. Lorsqu’il obtiendra enfin ses papiers d’invalidité lui permettant de chercher un emploi, il mettra sur pied une ONG pour envoyer en Guinée des chaises roulantes à ses compagnons d’infortune restés au pays.

Ce livre relate aussi indirectement l’engagement citoyen de deux femmes : l’une encourage Mamadou Sow par téléphone depuis la Suisse et l’autre l’a accueilli chez elle dans le Val d’Aoste. Une solidarité spontanée qui palie aux carences ou à la mauvaise volonté d’une Europe toujours plus frileuse.

Yves Magat
Journaliste

Deux témoignages de Mamadou Sow, qui décrit son sauvetage en Méditerranée et les discriminations à l’égard des personnes handicapées en Guinée