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Swissinfo | Les failles du nouveau système suisse d’asile

Procédures trop rapides, délais intenables, problèmes de santé ignorés: les reproches sont vifs et constants depuis la mise en œuvre de la réforme du système suisse d’asile en mars 2019. Le Secrétariat d’État aux migrations a effectué des ajustements, mais il estime que le processus fonctionne.

L’article de Marie Vuilleumier « Les failles du nouveau système suisse d’asile » a été publié le 26 novembre 2020 sur le site de Swissinfo.

Les failles du nouveau système suisse d’asile

Par Marie Vuilleumier

Procédures trop rapides, délais intenables, problèmes de santé ignorés: les reproches sont vifs et constants depuis la mise en œuvre de la réforme du système suisse d’asile en mars 2019. Le Secrétariat d’État aux migrations a effectué des ajustements, mais il estime que le processus fonctionne.

Les critiques ne faiblissent pas depuis l’entrée en vigueur du nouveau système suisse d’asile en mars 2019. L’objectif de ce projet, accepté par le peuple à 66% des voix en 2016, était d’accélérer le traitement des demandes, afin que les processus d’intégration ou de renvoi puissent s’effectuer plus vite. Mais cette rapidité se fait au détriment de la qualité, estiment les associations actives dans le domaine de l’asile ainsi que de nombreux juristes*.

Des critiques corroborées par les chiffres du Tribunal administratif fédéral (TAF), qui traite les recours contre les décisions d’asile: depuis la mise en œuvre du nouveau système, le nombre de dossiers renvoyés au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour réexamen est passé de 6,5% à 13%. Dans la grande majorité des cas, précise le communiqué du TAF, les juges ont estimé que «le SEM n’avait pas établi les faits avec suffisamment de précision en ce qui concerne le motif d’asile» ou qu’il existait «des lacunes dans l’investigation des problèmes médicaux».

Par exemple avec la demande de ce Syrien déposée le 6 septembre 2019. L’homme a raconté avoir été enlevé, détenu et torturé par des groupes armés. Le SEM l’a auditionné une fois le 9 octobre et a rejeté sa requête le 21 octobre, estimant que son récit n’était pas vraisemblable. Saisi par un recours, le TAF a donné raison au requérant et renvoyé le dossier au SEM, jugeant que l’instruction sur les motifs d’asile était «inadéquate» et que les éléments essentiels n’avaient pas été tirés au clair.

Manque de clarification

Un autre exemple avec ce ressortissant guinéen qui a déposé une demande d’asile le 4 mars 2019, affirmant avoir été arrêté, détenu et torturé par la police de son pays. L’homme a été auditionné quatre fois et a indiqué qu’il souffrait de fortes douleurs au dos et de troubles psychiques. Le SEM a rejeté sa demande le 12 avril et prononcé son expulsion en Guinée. Le requérant a fait recours et le TAF a décidé de renvoyer le dossier pour réexamen. Les juges ont considéré que les faits pertinents n’ont pas été établis «à satisfaction» et que le SEM n’a pas tenu compte de toutes les circonstances ni des moyens de preuve déterminants pour prendre sa décision. Le TAF exige désormais qu’«un tableau clinique détaillé et un diagnostic complet» soient posés dans un nouveau rapport médical.

«C’est la preuve que le système fonctionne», indique Emmanuelle Jaquet von Sury, porte-parole du SEM. Elle rappelle que le but de la loi révisée sur l’asile est de mener des procédures accélérées et équitables, en attribuant à chaque requérant un représentant juridique qui l’accompagne tout au long du processus. «Un nombre plus élevé de décisions cassées par le TAF démontre que les juristes font recours lorsqu’il existe un réel besoin d’action en justice, ajoute Emmanuelle Jaquet von Sury. Le SEM veille à ce que chacune des décisions rendues fasse l’objet d’un examen des faits minutieux et se fonde sur tous les éléments à disposition.»

«Erreur de triage»

La Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile pointe aussi du doigt la proportion importante de dossiers traités en procédure accélérée, alors que les cas plus complexes devraient faire l’objet d’une procédure étendue. Lors de la mise en œuvre du nouveau système, le SEM estimait qu’environ 28% des requêtes seraient traitées en procédure étendue. Ce pourcentage n’atteignait que 19% fin 2019.

Un arrêt du TAF reprend d’ailleurs le SEM sur une «erreur de triage»: une demande a été examinée en procédure accélérée, bien que le représentant légal du requérant ait insisté sur la complexité du cas et l’impossibilité de contester la décision dans les délais prévus. Le TAF a renvoyé le dossier au SEM en exigeant qu’il soit traité en procédure étendue et en soulignant que l’objectif d’accélérer le processus d’asile ne pouvait être conforme à l’État de droit «que si l’autorité inférieure procède avec la diligence requise au triage tel que prévu par la loi.»

Emmanuelle Jaquet von Sury explique que l’assignation d’une personne à un type de procédure dépend principalement de son origine et de la complexité de son cas. Après les critiques formulées par le TAF, la porte-parole souligne que le SEM «a ajusté sa pratique en conséquence et précisé les critères d’attribution à la procédure étendue». Pour l’année 2020, les chiffres du SEM indiquent que 26% des dossiers ont été traités en procédure étendue.

Une situation qui reste insatisfaisante, estime l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), car de nombreuses demandes complexes sont encore trop souvent examinées en procédure accélérée. L’OSAR vient de publier une série de critères qui devraient être pris en compte lors du triage.

 

Difficile collaboration

Les associations dénoncent également le régime sécuritaire qui prévaut dans les centres fédéraux d’asile. «Les habitants ont peu de marge de manœuvre pour organiser leur quotidien de manière autonome. Les atteintes à la vie privée au nom de la sécurité sont considérables», affirme Amnesty International, en donnant pour exemple les fouilles régulières des chambres et les fouilles corporelles à l’entrée des bâtiments.

Les ONG ont constaté un accès aux soins médicaux parfois compliqué dans certains centres, un manque d’interprètes et une coopération laborieuse entre les différents acteurs impliqués dans la procédure d’asile: les représentants du SEM, les juristes et les médecins. Une faiblesse reconnue par Emmanuelle Jaquet von Sury, qui estime que cette collaboration complexe mais nécessaire entre «plusieurs intervenants aux rôles différents» explique les difficultés à établir correctement les faits médicaux des requérants.

«Ajustements nécessaires»

Un groupe de travail se penche actuellement sur les problèmes rencontrés depuis le lancement de la nouvelle procédure d’asile. «Les premiers ajustements ont déjà été mis en place et les rôles se sont vus mieux définis, afin que la collaboration entre chaque intervenant soit encore améliorée», ajoute Emmanuelle Jaquet von Sury. La porte-parole relève qu’il a fallu un certain temps pour que tous les processus soient pleinement établis. «Il est normal que des ajustements soient nécessaires dans une réforme de cette ampleur, mais le système fonctionne.»

Un optimisme que ne partage pas la Coalition des juristes indépendant-e-s, pour qui «la procédure d’asile accélérée est menée à un rythme trop élevé». Elle demande, de même que les autres associations, davantage de temps à toutes les étapes, des échéances plus souples et des délais de recours élargis. «Le temps alors investi se révélera doublement rentable au final: il garantira des décisions d’asile de qualité et permettra, partant, d’éviter de longues procédures de recours», conclut l’OSAR.

* Notamment: Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), Amnesty International, Vivre ensemble, Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile, Centre social protestant (CSP), Observatoire du droit d’asile et des étrangers (ODAE), Caritas, Juristes démocrates de Suisse (JDS), Asylex, Solidaritätsnetz Bern, Freiplatzaktion Zürich et Bâle