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Solidarité sans frontières | Situation dans les centres d’urgence zurichois

Pour Solidarité sans frontières (Sosf), se protéger et protéger les personnes d’une infection au coronavirus est une priorité, même pour les personnes qui sont en situation irrégulière en Suisse. En mars 2020, une plainte a été déposée contre le Conseiller d’État zurichois Mario Fehr, les fonctionnaires de l’Office cantonal de l’aide sociale et les employé·e·s de l’entreprise ORS AG. Parmi les délits reprochés: la coercition et les lésions corporelles, ainsi que de violation de la loi sur les épidémies et de l’ordonnance COVID-19. Mais qu’en est-il actuellement des poursuites ? Retour sur la situation dans les centres d’urgence zurichois. 

Nous publions ci-dessous l’article de Peter Frei publié le 03 décembre 2020 sur le site de SOSF.

Situation dans les centres d’urgence zurichois

Se protéger et protéger les personnes d’une infection au coronavirus est une priorité pour tous·tes, même pour les personnes qui sont ici « illégalement ». Des habitant·e·s des centres d’urgence zurichois déclarent: « Nous dénonçons ».

Covid : La situation dans les centres d’urgence zurichois ne doit pas rester impunie

Les faits

À la mi-mars 2020, alors que le semi-confinement avait été prononcé, il s’est avéré que les mesures de protection dans les centres d’urgence zurichois étaient insuffisantes, qu’il n’y avait pratiquement pas de matériel de protection (savons, désinfectants) et que les règles de distance prescrites ne pouvaient pas être respectées. De nombreux reportages consacrés notamment aux médecins et aux employé·e·s des centres d’urgence ont été démentis par les autorités cantonales, mais n’ont entraîné aucun changement. Dans ce contexte, une alliance de bénévoles et d’organisations de défense des droits humains a été formée. Cette alliance a compilé les informations provenant des centres d’urgence, interrogé des habitant·e·s des centres et des tiers et réuni le dossier en une plainte pénale de 70 pages en mai 2020.

Les accusations ont été dirigées contre le conseiller cantonal Mario Fehr en tant que chef de la Direction zurichoise de la sécurité, contre les fonctionnaires de l’Office cantonal de l’aide sociale et les employé·e·s de ORS AG, l’entreprise mandatée par le canton pour gérer les centres d’urgence. Ils sont accusés de délits tels que l’abandon, la coercition et les lésions corporelles, ainsi que de violation de la loi sur les épidémies et de l’ordonnance COVID-19. En effet, le fait que les habitant·e·s aient l’obligation d’être présent·e·s dans le centre dans le cas d’une demande d’aide d’urgence (c’est-à-dire un toit au-dessus de leur tête et une indemnité journalière de 8,50 CHF) alors même qu’il existe une menace d’infection, peut constituer une coercition. D’autant plus que le risque d’infection est associé au risque de maladie grave, voire de décès. Il peut s’agir d’une tentative intentionnelle ou par négligence de dommage corporel. Et étant donné l’insuffisance des moyens de protection à disposition et l’impossibilité du maintien des distances dans les centres d’urgence, on soupçonne une violation de l’ordonnance COVID-19 du Conseil fédéral et de la loi sur les épidémies. Ce ne sont pas des infractions à prendre à la légère.

À peine avait-elle été déposée auprès du ministère public que la Direction de la sécurité qualifiait déjà le contenu de la plainte pénale de « fake-news à motivation politique ». Les personnes vivant dans les centres d’urgence seraient toutes des personnes dont la demande d’asile a été rejetée, qui seraient présentes illégalement et qui auraient dû quitter le pays depuis longtemps (1). Le conseiller d’Etat Mario Fehr a immédiatement reçu le soutien politique de l’UDC de Zurich. L’alliance « Nous dénonçons » a réagi à cela par une dénonciation adressée au Conseil d’Etat.

Pendant ce temps, le Ministère public s’est fait attendre. Bien qu’il y ait eu une demande pour que les habitant·e·s du centre d’urgence soient interrogé·e·s immédiatement, car ces personnes étaient passibles d’expulsion, le Ministère public est resté inactif pendant des mois. Fin septembre 2020, le ministère public a renvoyé la plainte contre le conseiller d’Etat Mario Fehr au Grand Conseil afin de clarifier s’il était autorisé à mener une enquête pénale. Dans une lettre d’accompagnement, le Ministère public a déclaré que les responsables de la Direction de la sécurité et de l’ORS avaient toujours appliqué et adapté les mesures de protection pendant la période d’incrimination et qu’elle ne voyait aucune preuve que les fonctionnaires cantonaux avaient intentionnellement porté préjudice aux habitant·e·s des centres de renvoi ou les avaient contraints à le faire. En réalité, le Ministère public n’a effectué aucune enquête à ce sujet.

Au début du mois d’octobre 2020, ce qui devait arriver arriva : dans le centre d’urgence d’Urdorf, situé dans un abri de protection civile et dont la fermeture est demandée depuis un certain temps par le PS du canton de Zurich et d’autres partis – sans succès – a eu lieu une flambée massive d’infections au coronavirus. Plusieurs habitant·e·s et deux employé·e·s ORS ont contracté le coronavirus. Le 2 octobre, les habitant·e·s ont été transféré·e·s dans l’ancien centre de soins Erlenhof à Zurich et mis·e·s en quarantaine. Le 8 octobre, deux hommes sont tombés d’une fenêtre du troisième étage de l’Erlenhof et se sont blessés si gravement qu’ils ont dû être hospitalisés. Le 4 novembre, le Conseil d’Etat a affirmé que les deux hommes s’étaient révoltés avant la chute et s’étaient montré agressifs envers un employé. La police a pu calmer la situation et s’est retirée. Le plus âgé d’entre eux avait déclaré qu’il voulait faire des courses malgré la quarantaine. En même temps, le Conseil d’Etat a admis que la situation à Erlenhof était déjà tendue avant la chute. Cela n’est pas surprenant lorsqu’on tient compte du fait les habitant·e·s du centre étaient en isolement ou en quarantaine sous la surveillance de la police depuis le 2 octobre. Au lieu de déplorer la défenestration, le Conseil d’Etat souligne surtout qu’il s’agissait d’hommes qui avaient commis des infractions pénales ou qui avaient eu des comportements inacceptables dans d’autres centres. Toujours est-il que cette situation soulève des questions qui n’ont pas encore été clarifiées, comme le sens de la surveillance policière pendant la quarantaine, ou encore la manière d’envisager la gestion des conflits dans cette situation particulière du semi-confinement.

Le 5 novembre 2020, le Bureau du Grand Conseil zurichois n’a pas donné suite à la demande du Ministère public d’ouvrir une enquête pénale contre Mario Fehr. Toutefois, un recours devant le Tribunal fédéral est recevable dans un délai de 30 jours.

Auteur : Peter Frei 

Conclusion

La Direction de la sécurité de Zurich et le Conseil d’Etat se battent avec acharnement lorsque la gestion des centres de renvoi est pointée du doigt. Mario Fehr ne craint pas les propos diffamatoires à l’égard des exilé·e·s. Avec cette tactique, il tente de détourner l’attention des conditions de vie discutables qui existent dans les centres d’urgence. Selon ses propos, ce sont toujours les habitant·e·s des centres d’urgence qui sont fautifs·ves. Toute personne qui ose émettre des critiques est menacée de voir ses propos catalogués de fake-news.

Malgré l’opposition politique de la Jeunesse socialiste, des Verts, de l’AL et du PS, Mario Fehr est soutenu par d’importants médias et les partis bourgeois du canton de Zurich. Ce rapport de force a apparemment aussi conduit le Ministère public à ne pas prendre en main l’enquête criminelle, mais à l’enterrer sans bruit. Que le Bureau du Grand Conseil offre son soutien sans examiner les dossiers de plus près, et crée ainsi un précédent pour l’enquête pénale contre celles et ceux qui ne bénéficient pas de l’immunité, est scandaleux et préoccupant.

(1)En réalité, parmi la partie plaignante, il y a aussi des personnes qui ont déposé une deuxième demande d’asile ou une demande pour les cas de rigueur et qui bénéficient donc d’un droit procédural de séjour, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas considérées comme « présentes illégalement ».

Sosf

A lire également le dossier consacré à l’hébergement collectif en temps de Covid-19 dans la revue Vivre Ensemble n° 178 /juin-juillet 2020