Aller au contenu
Documentation

ODAE Suisse | L’Europe ne peut s’accorder que sur le cloisonnement

Fin septembre 2020, la Commission européenne a présenté sa nouvelle réforme de l’asile. Ce n’est que grâce à une « solidarité à la carte » qu’un accord pourrait être trouvé. L’Observatoire du droit d’asile et des étrangers-Suisse (ODAE) est sceptique quant à ce projet de pacte européen sur la migration, mais considère ces discussions comme l’occasion d’adopter une véritable approche solidaire. La Suisse doit aussi faire en sorte que davantage de voies d’entrée légales en Europe soient mises en place et que les droits des personnes cherchant protections soient assurés

Nous reproduisons ci-dessous l’article de l’ODAE-Suisse  « L’Europe ne peut s’accorder que sur le cloisonnement » publié le 03.12.2020 que vous pouvez également retrouver sur leur site.

L’Europe ne peut s’accorder que sur le cloisonnement

Fin septembre 2020, la Commission européenne a présenté sa nouvelle réforme de l’asile. Ce n’est que grâce à une « solidarité à la carte » qu’un accord pourrait être trouvé.

Depuis 2015, la question en Europe de faire preuve de plus de solidarité dans l’accueil des réfugié-e s a souvent été mise sur le tapis. La Commission européenne s’est donc efforcée d’introduire une « clé de répartition » contraignante. Selon celle-ci, les États membres devaient par conséquent s’engager à accueillir un certain nombre de réfugié-e s provenant de Grèce ou d’Italie notamment. Cependant, comme la Hongrie, la Pologne et l’Autriche ont jusqu’à présent refusé d’accueillir des réfugié-e s, la Commission européenne tente désormais d’amadouer les opposants avec un concept de « solidarité à la carte » (Echo der Zeit du 23 septembre 2020).

Asile : un système, deux approches

La nouvelle réforme de l’asile prévoit un système d’asile à deux vitesses : après une procédure d’examen rapide de 5 jours, durant laquelle l’identité, l’état de santé et les chances d’obtenir un droit de séjour doivent être déterminés, le triage commencera. Toutes les personnes requérantes d’asile qui représentent un danger pour la sécurité, qui proviennent d’un pays avec un taux de reconnaissance bas (en dessous de 20%) ou qui chercheraient à tromper les autorités, seront soumises à une procédure rapide, généralement suivie d’une procédure d’expulsion. Toutes les autres personnes requérantes d’asile seront dirigées vers une procédure d’asile régulière.

Les experts-e s en migration de Pro Asyl mettent déjà en garde contre ces procédures rapides : il n’est pas possible de mener une procédure équitable sur la courte période de 12 semaines prévue par la réforme. Ce court laps de temps ne permet pas un examen suffisant des motifs d’asile. En outre, selon Pro Asyl, durant toute la procédure, les personnes seront considérées comme n’étant « pas entrées dans l’Espace Schengen » et seront donc très vraisemblablement coincées dans des zones de transit fermées. Cette procédure rapide rate complétement l’un des objectifs de la politique d’asile européenne, à savoir décharger les États se trouvant aux frontières extérieures de l’UE.

Ce n’est que dans le cas des procédures régulières que ces pays pourront peut-être être déchargés : il devrait être possible – comme c’est déjà le cas maintenant –, sur la base d’un mécanisme de relocalisation, de transférer les personnes requérantes d’asile dans un autre État membre pour la suite de leur procédure. Cependant, un gros écueil persiste : la mise en place de ce mécanisme se fera sur une base volontaire, en raison d’une « solidarité à la carte ». Il n’existe en effet pas de clé de répartition contraignante. Ce n’est que lors de « situations de crise » – comme en 2015 – que les États membres peuvent être obligés de contribuer. Mais au lieu d’être obligés d’accueillir des réfugié-e s, les États pourront avoir également la possibilité de « parrainer des retours ». Ces parrainages sont destinés à soutenir les États membres sous pression aux frontières extérieures de l’Europe en prenant en charge l’intégralité du « retour » des personnes. Si le renvoi ne peut pas avoir lieu dans les 8 mois, ce sera à l’« État parrain » de prendre en charge lui-même la personne.

Un pas dans la mauvaise direction

Les États membres seraient donc libres de décider de prendre en charge des réfugié-e s en situation de crise ou d’assumer des renvois dans les pays d’origine. Toutefois, on ne sait pas encore comment la réforme garantira que les États ne s’abstiendront pas tous d’accueillir des réfugié-e s. Ce point représente un problème fondamental du système, car la possibilité de relocalisation existe déjà maintenant et fonctionne mal. Pour exemple, la Suisse, comme d’autres pays, n’utilise pas pleinement les contingents prévus. De plus, les personnes entrées en Suisse par le biais de la réinstallation n’ont pas l’assurance qu’elles pourront à terme y rester. En témoigne cette situation documentée par l’ODAE-Suisse (Cas 346).

La nouvelle réforme de l’asile et la Suisse

La conseillère fédérale Karine Keller-Sutter a salué la proposition de la Commission européenne, parce qu’elle est tout à fait conforme à l’orientation du Conseil fédéral. Celui-ci a toujours insisté sur l’importance d’une meilleure protection des frontières extérieures, de procédures plus efficaces et d’une politique commune de renvois (cf. interview sur SRF). L’ODAE-Suisse est extrêmement critique à ce sujet, car il craint qu’en l’absence d’une clé de répartition contraignante, la Suisse, tout comme d’autres États européens, continuera de manquer à ses responsabilités.

Pour l’instant la question de savoir comment cette réforme de l’asile affectera la Suisse n’est pas encore claire. Ce qui est sûr, c’est que le système Dublin sera aussi profondément réformé et que la Suisse, en tant que membre associé, devra reprendre ces modifications dans sa législation. Ces adaptations légales au niveau du droit national conduiront vraisemblablement à un référendum et une votation populaire (cf. article dans la NZZ du 25 septembre 2020).

Le pacte européen sur la migration semble avoir déjà échoué : une nouvelle chance pour faire mieux ?

Pour que le pacte européen sur la migration puisse entrer en vigueur sous la forme décrite ci-dessus, le Parlement européen et les États membres doivent donner leur accord. Cela semble déjà difficile, puisque l’Autriche, la Hongrie et la République tchèque se sont déjà prononcées contre le pacte et ont annoncé qu’elles n’allaient pas soutenir la nouvelle politique migratoire. La Hongrie et la République tchèque en particulier ont réclamé une cessation totale des arrivées illégales en Europe et la mise en place de hotspots dans des pays comme la Libye ou la Syrie (cf. article du taz du 24 septembre 2020).

L’ODAE-Suisse est sceptique quant à ce projet de pacte européen sur la migration, mais considère ces discussions comme l’occasion d’adopter une véritable approche solidaire. (cf. papier de position de l’OSAR du 28 août 2020).

L’ODAE-Suisse exige aussi que la Suisse fasse un meilleur usage de ses différents instruments légaux : octroi facilité de visas humanitaires (cf. rapport de l’ODAE-Suisse), accueil de réfugié-e s mineur-e s provenant notamment de Grèce, usage de la clause de souveraineté dans les cas Dublin, augmentation des programmes de relocalisation et de réinstallation. La Suisse doit aussi faire en sorte que davantage de voies d’entrée légales en Europe soient mises en place et que les droits des personnes cherchant protections soient assurés.

Littérature complémentaire