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Notre regard

Témoignage | Être débouté et en formation. Le cas de Sami, un exemple atypique?

Illustration Ambroise Héritier pour Vivre Ensemble

Sami a fui son pays l’Érythrée et est venu se réfugier en Suisse en 2015. À peine majeur, il n’avait qu’une idée, pouvoir se former, et reconstruire sa vie en sécurité. Peu après avoir signé un contrat d’apprentissage, le jeune homme d’une vingtaine d’années apprend qu’il est débouté. Les autorités cantonales décident néanmoins de lui laisser le temps de terminer sa formation. Une forme de tolérance dont pourraient bénéficier des centaines de jeunes déboutés contraints d’interrompre leur formation professionnelle entamée en Suisse.

Sami, pouvez-vous me décrire votre situation administrative en Suisse ?

Compliquée. Il y a deux ans, alors que j’étais encore en procédure d’asile, j’ai trouvé une place d’apprentissage pour un CFC, une formation d’une durée de quatre ans. Mais deux-trois jours après avoir signé mon contrat, j’ai reçu une décision négative des autorités suisses. Je suis allé au Service de la population de mon canton pour recevoir mon « papier blanc » [Document délivré aux personnes déboutées, qu’elles doivent faire tamponner auprès des autorités pour pouvoir accéder à l’ « aide d’urgence », ndlr]. À ce moment-là, j’ai mentionné le fait que je venais de conclure un contrat d’apprentissage. La personne au guichet m’a dit que je devais alors signer un papier indiquant qu’à la fin de mon CFC, je m’engageais à quitter le Suisse. Si je refusais, ils préviendraient le patron de l’entreprise où je travaille et je devrais arrêter l’apprentissage. Ayant eu peur, j’ai tout de suite accepté de signer ce document. J’ai donc le droit de rester en Suisse le temps de terminer ma formation.

Est-ce que des personnes sont au courant de votre situation ?

Au travail, mon formateur est au courant. Je n’en ai pas parlé tout de suite, mais le jour où je lui ai expliqué ma situation, il m’a dit « OK, c’est bon, pas de problème ». Il est très gentil, m’encourage beaucoup et croit en mes capacités. Il y a aussi ma copine avec qui j’habite, des amis et une assistante socio-professionnelle qui sont au courant et qui me soutiennent également. Pour l’instant, je pense que je ne vais pas parler de mon cas au patron de mon entreprise. Mais si un jour il l’apprend, j’espère qu’il ne dira rien.

En tant qu’apprenti, vous avez le droit à un salaire. Dans votre cas, comme cela se passe-t-il ?

Actuellement, je suis à l’aide d’urgence. Sur le salaire mensuel que je gagne en tant qu’apprenti, les autorités cantonales en retiennent une partie : mon revenu ne peut dépasser 500 francs. 1 Cela fait que contrairement aux autres apprentis, qui reçoivent des primes de motivation lorsqu’ils ont un bon rapport ou une bonne note, je ne peux rien obtenir de plus. Celles-ci sont saisies par les autorités. D’un côté, je ne trouve pas cela très juste. Mais ma motivation est de réussir mon apprentissage, d’avoir mon diplôme. Je vais donc me battre pour cela.

Comment appréhendez-vous l’avenir ?

Je veux pouvoir gagner ma vie et être indépendant. Pour l’avenir, par rapport à la signature de cet engagement à partir, je ne sais pas, je n’arrive pas à imaginer comment cela va se passer. Je suis content de faire cette formation, après on verra. Avec mon diplôme, ma maîtrise du français, j’ai l’espoir qu’on finira par m’accepter.

Quel message aimeriez-vous faire passer ?

Ne pas perdre l’espoir. Je connais beau-coup de personnes sans-papiers qui sont très déprimées en raison de leur situation, du fait qu’elles ne peuvent rien faire. Elles ont l’impression de n’avoir aucune perspective d’avenir. Moi je veux leur dire qu’il faut continuer à y croire et tenter de faire tout ce qu’on arrive à trouver. Il y a des personnes qui, malgré la situation, parviennent à avancer.

Propos recueillis par SÉGOLÈNE HUBER

1 Les personnes déboutées sont privées de l’aide sociale. Le montant de survie qu’elles reçoivent est de 8 à 10 francs par jour selon les cantons, versés souvent en « nature ». Les salaires mensuels recommandés selon les apprentissages varient aussi selon les cantons et les branches. Ils démarrent à 550-745 francs et augmentent pour arriver dans certains cas jusqu’à 1 750 francs (1 300 francs dans le cas de Sami) la 4e année