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Swissinfo | Après le Danemark, la Suisse pourrait-elle renvoyer des réfugiés à Damas?

Les réfugiés syriens sont en sécurité en Europe. Mais plus au Danemark. Copenhague estime possible de les renvoyer dans la région de Damas, une zone qualifiée de sûre par ses services d’immigration. Ce précédent en Europe peut-il influencer les conditions de renvois fixées par la Suisse?

L’article « Après le Danemark, la Suisse pourrait-elle renvoyer des réfugiés à Damas? » a été publié le 8 mai 2021 sur le site de Swissinfo.

Après le Danemark, la Suisse pourrait-elle renvoyer des réfugiés à Damas?

08 mai 2021 de Giannis Mavris pour Swissinfo

Le Danemark est l’un des pays européens dont les lois sur l’immigration et l’asile sont les plus strictes. La Première ministre Mette Frederiksen l’a rappelé publiquement en janvier. Son objectif est «zéro demandeur d’asile». La cohérence de l’approche du gouvernement social-démocrate a été récemment démontrée avec le non-renouvellement, par les services d’immigration danois, des titres de séjour temporaires d’une partie des réfugiés de Syrie.

Cela affecte les personnes issues de Damas et ses environs, car le Danemark classe cette région comme sûre. Mais comme le Danemark et la Syrie n’ont pas de relations diplomatiques, aucune personne ne sera expulsée pour l’instant. Toutefois, les premiers Syriens concernés ont déjà été envoyés dans des centres d’expulsion, pour une durée indéterminée. L’une des raisons de ce manque de coopération, soit dit en passant, est le fait que le Danemark n’a pas d’ambassade à Damas – pour des raisons de sécurité, comme l’ont raillé divers médias.

Le Danemark est seul en Europe à faire cette évaluation de la situation en Syrie. La guerre civile qui dure depuis une décennie est l’un des rares conflits à faire l’unanimité en matière de politique d’asile: les rapatriements ne sont pas raisonnables. La raison tient à la brutalité du régime Assad, qui continue de faire fi de toute norme en matière de droits humains dans sa lutte contre les forces d’opposition.

Pratiques internationales

De son côté, la Suisse s’abstient généralement de procéder à des rapatriements. Depuis 2011, plus de 20’000 Syriens y ont demandé l’asile, dont environ deux tiers ont obtenu le statut d’admission temporaire. Cela signifie que, bien qu’ils soient autorisés à rester en Suisse, ils devraient théoriquement retourner dans leur pays d’origine une fois que le conflit sera terminé et que le pays sera à nouveau considéré comme sûr.

Dans ce contexte, la décision du gouvernement danois est significative. Officiellement, les évaluations du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) sont basées sur ses propres clarifications et sources. En outre, l’Office des migrations doit obligatoirement tenir compte de la pratique du Tribunal administratif fédéral suisse. Néanmoins, le climat environnant compte également: plus il y a de pays qui classent un État comme sûr, plus il y en a d’autres qui le rejoignent. C’est pourquoi les agences d’aide considèrent que la décision du Danemark constitue un dangereux précédent.

«La pratique des autres États peut jouer un rôle», estime Angela Stettler, juriste à l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Elle souligne que si la situation en Syrie se calme, les autorités suisses pourraient également modifier leur pratique en matière d’admission temporaire.

La Suisse a déjà une pratique d’expulsion, selon la région du pays concerné. En Afghanistan, en Libye, en Somalie et en Irak, par exemple, le SEM considère que certaines villes ou régions sont stables. Les personnes peuvent y être renvoyées dans certaines circonstances. Il ne s’agit que de quelques dizaines de cas par an, notamment parce que le rapatriement est souvent impossible pour des raisons pratiques – par exemple, si la région n’a pas d’aéroport.

En général, il y a beaucoup d’incertitude pour ceux qui ont fui, car la situation est mouvante dans leur pays d’origine, en particulier au Moyen-Orient, dit Angela Stettler. Prenez l’exemple de l’Afghanistan, où les dernières troupes américaines seront retirées d’ici septembre prochain. Il devient évident que les talibans vont reprendre le pouvoir ou entraîner le gouvernement dans une guerre civile.

Ce n’est pas la première fois que le Danemark ouvre une brèche en matière de renvoi. Copenhague l’a fait en 2014 avec l’Érythrée. Le Danemark a été le premier pays à y envoyer une mission d’enquête pour recueillir des informations sur le terrain. Son rapport a conclu qu’un retour en Érythrée était possible dans certaines circonstances. Le rapport a été fortement critiqué à l’international, notamment par le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés. Le Danemark lui-même a rapidement pris ses distances avec le rapport, mais des politiciens d’autres pays y ont fait référence. Un an plus tard, la Grande-Bretagne a publié de nouvelles directives qui faisaient explicitement référence au rapport danois. Aujourd’hui, la Suisse considère que le retour en Érythrée est raisonnable.

La pression des populistes de droite

La décision actuelle du gouvernement danois sur la Syrie a été fortement critiquée par un groupe de spécialistes mentionnés dans l’évaluation des services d’immigration danois. Les experts se sont plaints que leurs conclusions n’avaient pas été suffisamment prises en compte. En fin de compte, la critique montre que la décision de classer un pays ou une région comme «sûrs» est dans une large mesure politique.

Ce qui est piquant dans cette affaire, c’est que ce sont les sociaux-démocrates qui appliquent les nouvelles règles de la politique d’asile. Le professeur Michael Baggesen Klitgaard, qui dirige le département de politique et de société de l’université d’Aalborg, attribue cette situation à la constellation politique du pays: «Pour gagner des majorités, ils se sont considérablement déplacés vers la droite en matière de politique migratoire.»

Dans les années 1990, les sociaux-démocrates étaient largement au pouvoir. Au cours de cette décennie, la question de la migration a commencé à dominer les débats, entraînant des luttes d’orientation au sein du parti, dit-il. Elle a également vu la montée d’un parti populiste de droite qui a constamment alimenté cette thématique. La politique d’immigration et d’asile, très stricte en comparaison européenne, est ainsi devenue une stratégie des sociaux-démocrates pour s’affirmer contre les partis de droite.

Apparemment, certains sociaux-démocrates estiment également que le généreux État-providence danois doit être protégé, notamment en limitant l’immigration. Et avec leurs politiques extrêmement restrictives, ils veulent éviter d’être ciblés par les partis de droite, selon le politologue danois. Jusqu’à présent, cela semble fonctionner. En ce moment, les sociaux-démocrates ont atteint leur taux d’approbation le plus élevé depuis des décennies.

Pas d’expulsion par la Suisse

L’exemple du Danemark créera-t-il un précédent en Europe? La plupart des pays ont une attitude prudente à l’égard de la Syrie. En Suisse également, rien ne laisse présager un changement dans la pratique actuelle. Comme confirmé par mail, le SEM et le Tribunal administratif fédéral «continuent de considérer l’exécution de l’expulsion vers la Syrie comme globalement déraisonnable, en raison de la situation générale de la sécurité et des droits humains ainsi que des conflits armés en cours dans les sous-régions du pays […]». Cela vaut également pour la capitale Damas.

Le SEM écrit encore: «Pour qu’un retour en Syrie redevienne généralement raisonnable, il faudrait que la situation humanitaire et sécuritaire sur le terrain s’améliore et se stabilise à long terme». La réélection de Bachar Al-Assad pour un quatrième mandat à la tête du pays doit avoir lieu le 26 mai prochain. Rejeté par avance par trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ce scrutin a peu de chance de modifier la nature répressive du régime Al-Assad.