Aller au contenu
Documentation

Ajour Magazin | Trois tentatives de suicide au « Sonneblick »

Trois tentatives de suicide ont eu lieu au cours des derniers mois au sein du centre cantonal d’asile nommé « Sonneblick » (canton de Saint-Gall). L’organisation de personnes migrantes ROTA a organisé un rassemblement pour faire connaître cette réalité. Elle demande aux autorités du centre de réagir à ces événements en éclaircissant les faits et en offrant une écoute aux personnes qui ont été témoins des événements. L’article rédigé par un membre de ROTA décrit le quotidien au sein du centre, la succession des tentatives de suicide,  la mobilisation devant le centre et la réponse des autorités. 

L’article de Fuat Serif « Das Asyllager mit Integrationscharakter – Drei Suizidversuche im «Sonneblick» » a été publié le 18 mai 2021, a été publié en allemand dans Ajour Magazin. L’auteur de l’article nous a autorisé à effectuer sa traduction au français et à la relayer sur asile.ch.

Trois tentatives de suicide au « Sonneblick ».
Le camp d’asile « à des fins d’intégration»

Trois tentatives de suicide ont eu lieu au centre d’asile de Sonneblick, à Saint-Gall, en l’espace de huit mois. L’organisation de migrant-es ROTA a attiré l’attention sur cette situation en organisant un rassemblement. Mais les autorités responsables ne font preuve d’aucune compréhension. Visite sur place.

« Il s’agit de l’un des centres et concepts les plus modernes que nous ayons développés », explique l’homme. Non sans fierté, il désigne, tel un professeur au tableau, le camp d’asile de « Sonneblick », situé sur les hauteurs des collines de l’Appenzeller Vorderland dans le village de Walzenhausen (AR) et qui remplace depuis février le camp d’asile de Landegg. « Pourquoi ? » demande-t-il rhétoriquement : « C’est un centre d’asile à des fins d’intégration (ZIC). Ici, le travail d’intégration est fait consciemment. Cette forme de logement est destinée à préparer les personnes à un logement dans les communes. »

Cet homme est un fonctionnaire administratif du canton de SG et a été mandaté pour entamer un dialogue avec nous – du moins c’est ce que nous supposons, car il dit lui-même qu’il n’est pas un politicien. Nous ne l’avions pas invité. La police non plus, qui avait depuis longtemps bloqué l’entrée du « Sonneblick » avec une demi-douzaine d’agents. Pas plus que la télévision régionale de Suisse orientale (TVO), dont le matériel était déjà prêt à capturer quelques bonnes images de l’action. Quelques jours auparavant, nous, l’auto-organisation de migrants ROTA, avions appelé à participer à un rassemblement devant le nouveau camp.

La raison était un autre cas de suicide. La troisième en huit mois. Heureusement, les trois tentatives ont échoué. Quelque chose a terriblement mal tourné. Pourquoi les habitant-es pensent-ils et elles que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue ? Et qu’en disent les opérateurs responsables ? En février 2021, les premiers demandeurs d’asile ont enfin emménagé.

« Sonneblick » – Le soleil ne brille pas pour tout le monde

La petite histoire : fin août 2020, le premier cas s’est produit avant le déménagement au Sonneblick. Une jeune femme reçoit une décision positive en matière d’asile, mais doit continuer à rester dans le camp de Landegg avec son jeune enfant. « Cet endroit n’est pas bon pour mon enfant », aurait-elle déclaré selon ses collègues résidents. En outre, sa demande de regroupement familial a été rejetée. Et ceux qui vivent dans le camp doivent participer à la structure de jour. C’était déjà le concept à l’époque. Le moment du transfert vers une commune n’est pas encore venu – disent-ils. Elle n’en peut plus. L’ambulance arrive deux heures après la tentative de suicide et l’emmène. Les autres résidents sont choqués.

Un sentiment de malaise se répand. Heureusement, le déménagement au « Sonneblick » est imminent. Ils pourront y profiter d’une vue panoramique sur la région du lac de Constance et le triangle frontalier, ce qui contribuera à dissiper le chagrin. Malheureusement, peu de temps après l’emménagement, une autre femme décide que la vie n’a plus de sens. L’agitation et la perturbation augmentent. Les responsables du camp sont également désemparés. C’est probablement la raison pour laquelle ils ne cherchent pas le dialogue avec les résidents.

Trois semaines à peine s’écoulent. Cette fois, c’est un jeune homme qui tente un suicide. Son colocataire tire la sonnette d’alarme. Un de ses amis du camp raconte qu’il s’est précipité dans la pièce et a trouvé le garçon grelottant sur le sol. L’ambulance est appelée immédiatement. Une demi-heure passe – et encore une demi-heure. Où sont les secours ? Encore une demi-heure et l’ambulance arrive enfin. Le jeune homme est à peine vivant. Il est emmené au service des soins intensifs. Personne ne lui a parlé depuis.

Confrontation à l’extérieur du camp

Qu’est-ce qui se passe ? À ce stade, les autorités responsables devraient faire quelque chose pour lutter contre le trouble et le malaise croissants des habitant·es. Parler aux gens, les impliquer, au moins les assurer qu’ils sont actifs et qu’ils font un effort, le protocole standard. Mais rien.

Le fait que rien ne se passe ici est d’intérêt public. Nous avons donc besoin d’en faire parler, d’où le rassemblement. Quelques personnes solidaires de la région suivent l’appel. Nous nous réunissons et faisons connaître notre opinion. Il faut que quelque chose se passe ! Après nous avoir assuré que notre droit d’exprimer notre opinion sera respecté, l’agent administratif cantonal nous explique le concept du « Sonneblick ».

Pendant ce temps, la directrice responsable du camp se tient derrière un buisson, près des policiers qui gardent la route d’accès. Elle reste retranchée, observant l’action de derrière la haie. Son supérieur costaud, qui est probablement le responsable de tous les camps gérés par le canton, a également pitié d’elle. Il reste là, les deux bras croisés sur sa poitrine, les coins de sa bouche se contractent. Le masque vibre sur son nez charnu. Cela donne l’impression qu’il suffirait d’une seule étincelle pour que sa tête large explose au visage de tou·tes.

L’agent administratif du siège nous assure que les résident-es ont « un accès complet au système de soins de santé ». L’ambulance a mis 90 minutes pour atteindre le camp – pourquoi le problème n’est-il pas éclairci, demandons-nous. Et c’est ce qui semble mettre le feu aux poudres : « Si les gens veulent savoir quelque chose, qu’ils le demandent ! » aboie la directrice du camp. Aucune honte, aucune initiative, aucun aveu. Aucune promesse d’amélioration, en bref : aucun concept de responsabilité. Cette personne se perçoit complètement dans le droit chemin.

Nous concluons en scandant : « Les vies des personnes réfugiées comptent ! », et nous remballons. La télévision régionale (TVO) veut nous poser des questions. Après cela, nous rentrons en ville avec une promesse : la situation reste sous observation. Quand on se dit au revoir, il n’y a plus de sentiment de fierté chez les responsables. Les résident·es nous applaudissent et sifflent. « C’était bon de vous voir ». Le rassemblement a fait de la publicité devant le « Sonneblick »……sous les yeux suspicieux de l’administration du camp.

La plus haute autorité – le directeur du bureau des migrations de Saint-Gall

Plus tard dans la soirée, nous nous regardons l’émission d’info de la TVO. Un reportage présente notre action et son contexte. Le chef de l’office des migrations des Saint-Gall a également son mot à dire. Il explique ces incidents – mais pas leur accumulation – par trois facteurs : « D’une part, il y a ce qu’ils et elles ont vécu dans leur pays d’origine. Ensuite, il y a les expériences qu’ils et elles ont vécues pendant leur vol. Et il y a aussi le fait que la procédure d’asile soit un peu plus longue que la moyenne, notamment parce que la situation est très complexe. Tout cela est très stressant. »

Au moins un soupçon d’autocritique, même s’il l’adresse au Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Et, au moins, la perspicacité concernant l’accumulation. Mais alors, sur la base de tels faits, il faut aussi prendre la peine de traiter la situation avec la prudence appropriée. C’est simple : les tentatives de suicide ont toutes eu lieu ici, pendant la procédure d’asile et non pendant les étapes précédentes de la fuite. L’élément déclencheur de cet acte ultime doit être recherché dans les structures du régime d’asile, et non relégué dans le passé des personnes.

A la fin du reportage, le manager du camp s’énerve. Le canton aurait également souhaité qu’il y ait un échange direct entre les deux parties et que celui-ci ne se fasse pas en public. Les manifestant-es ne l’avaient apparemment jamais cherché.

Travail d’intégration

Peut-être que tout cela se passe d’explications. « Ici, le travail d’intégration est fait de manière consciente et ciblée », avait dit l’homme du siège. En quoi consiste ce travail ? Les résident-es ont la liberté de choix : concierge, cuisine ou garde d’enfants. Travail de reproduction. Chaque activité est certifiée, ce qui est censé ouvrir les portes du marché du travail par la suite.

Nous commençons à 8 heures. Petit-déjeuner, puis rangement et préparation. Jardin : désherber, pelleter, transporter des pierres. Ménage : essuyer les couloirs, les escaliers, les bureaux de la direction, nettoyer les toilettes, les toilettes de la direction du camp en font également partie. Surveillance : s’occuper des enfants, assurer la paix et l’ordre. Travail en cuisine : éplucher, hacher, cuisiner. A 12 heures, c’est l’heure du dîner.

L’après-midi, il y a des cours. Les bases de la langue et de la culture sont enseignées. Vous devez savoir comment vous comporter plus tard. Ensuite, il y a d’autres devoirs et d’autres choses à faire. 17 heures : vous pouvez pointer. L’équipe de cuisine est déjà en train de préparer le dîner. Et c’est à qui le tour de faire la vaisselle ? Ça va durer jusqu’à 20 heures. Si vous vous dépêchez, seulement jusqu’à 19h30. Si vous le souhaitez, vous pouvez faire une promenade pour digérer la journée.

Mais vous devez être de retour à 22 heures au plus tard. Parfois, ils ferment les yeux jusqu’à minuit tout au plus – les rares exceptions confirment la règle. Si vous n’êtes pas de retour à ce moment-là, vous êtes considéré-e comme officiellement absent·e. Cela signifie une déduction d’un franc et cinquante centimes sur votre argent de poche. 32 francs par semaine moins 150. Si vous vous négligez et ne vous acquittez pas consciencieusement des tâches que vous avez librement choisies, la même déduction s’appliquera. Il existe parfois des possibilité de travail supplémentaires pour cela. Pour la somme forfaitaire de trois francs. Ce n’est pas mal du tout, après tout, vous êtes logé·e et nourri·e gratuitement.

Mais ce n’est pas suffisant pour un abonnement demi-tarif. Pour cela vous ne devriez pas dépenser un centime pendant cinq à six semaines. Et sans la carte demi-tarif, les transports publics sont assez chers. De temps en temps, vous pouvez vous faire plaisir. Lorsque vous allez rendre visite à un ami ou autre, de préférence le week-end, pour que ça en vaille la peine. Mais pour cela, vous avez besoin d’un permis, que vous obtenez généralement sans problème. Mais en ce moment, le virus fait des ravages et tous ceux qui quittent le camp pour la nuit doivent être mis en quarantaine à leur retour. Dix jours. Cinq jours si vous êtes négatif au Corona.
Cela vaut pour tout le monde, sans exception. Sauf pour les administrateurs·trices. Eux et elles sont déjà intégré·es.