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Notre regard

Colombie | Le danger d’être une femme et une dirigeante sociale en Colombie

Renata Cabrales

Malgré la signature de l’accord de Paix en 2016, la Colombie continue de s’enliser dans la boue fétide de la guerre. Comment oublier le cri déchirant du jeune fils de Maria del Pilar Hurtado, face au corps inerte de sa mère baignant dans le sang devant leur humble maison? La dirigeante sociale a été tuée le 21 juin 2019, alors qu’elle quittait son domicile pour aller travailler. Et lorsque son enfant a hurlé de douleur, les voisins n’ont rien dit. Pas par indifférence, mais par peur. Telle est la situation dans différentes régions de Colombie : dans de nombreux cas, il vaut mieux se taire pour préserver sa vie. Mais le silence n’a jamais été une option pour Cristina Bautista Taquinas, une autre leader communautaire indigène. Elle déclarait aux médias avant d’être tuée : « si nous parlons, ils nous tuent et si nous nous taisons, ils nous tuent aussi. Alors, parlons ! » Gouverneure de la réserve de Tacueyó et défenseuse du territoire, elle est l’une des cinq victimes d’un massacre perpétré à Cauca.

Le conflit armé et l’accord de Paix

Le processus de paix entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée populaire (FARC-EP) a commencé en octobre 2012, dans le but de mettre fin au conflit armé interne qui sévissait dans le pays. Les dialogues ont eu lieu à Oslo et à La Havane et se sont conclus, quatre ans plus tard, par un accord de Paix.

Au cours des négociations, une Sous-Commission Genre a été créée, composée de différentes dirigeantes d’organisations de femmes victimes de violence, ainsi que de membres de la communauté LGTBI. Cette commission avait pour but d’inclure une perspective de genre dans l’accord de paix, parce que les femmes et les personnes LGTBI avaient souffert de la violence politique de manière différentielle. Il était nécessaire que des mesures de réparation globales et des garanties de non-répétition leur soient accordées.

Le risque d’être une femme, une dirigeante et une défenseuse des droits humains

Depuis la signature de l’accord, plus de 400 dirigeant· es sociaux et signataires de la paix ont été assassiné· es en Colombie. [1] (p.13) Et les femmes ont, dans ce contexte, été ciblées de manière spécifique en raison de leur travail de leadership social. Selon l’étude «Double résistance: être femme et dirigeante en Colombie» publiée dans La paz en el terreno, «les dirigeantes sociales en Colombie ont constamment et historiquement été violées, pour le seul fait d’être des femmes et pour faire taire leurs luttes. Au moins 65 dirigeantes sociales et défenseuses des droits humains ont été assassinées entre 2019 et juin 2020» [2].

Le rapport «Défenseuses, voix de la vie et de la résistance», rédigé par les organisations Somos Defensores, Sisma Mujer, Limpal et le Sommet national des femmes et de la paix, estime que les militantes «font face à des risques liés au genre auxquels les défenseurs masculins ne sont pas confrontés dans la même proportion, en raison des rôles préétablis qui sous-estiment et dégradent la condition féminine… Les femmes défenseuses sont constamment exposées aux abus, aux agressions et à l’esclavage sexuel, à la traite à des fins d’esclavage sexuel et domestique (…). De nombreuses menaces et actes de violence sont dirigés contre les membres de la famille nucléaire, en particulier contre les fils et les filles» [3] .

«Si nous parlons, ils nous tuent et si nous nous taisons, ils nous tuent aussi. Alors, parlons!» Cristina Bautista Taquinas

Dessin de Renata Cabrales

Selon ce document, entre 2013 et 2019, il y a eu 1339 attaques contre des femmes dirigeantes, dont 84 homicides qui sont pour la plupart restés impunis. 67% (902 cas) de ces attaques sont attribuées à des groupes paramilitaires et dans 25 pour cent (331) d’entre elles, l’auteur présumé est inconnu. Les institutions étatiques (police, armée) sont en outre identifiées comme responsables de 4% de ces attaques (56 cas), les dissidents des FARC de 3% (34 cas) et l’ELN de 1% (13 cas).

Dans son dernier rapport de mission sur la Colombie, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme [4] estime que «les attaques contre les figures féminines de la société civile et les défenseuses des droits humains continuent d’entraver leur participation à la mise en œuvre de l’Accord final et, plus généralement, à la consolidation de la paix.» Or, en cherchant à évincer de l’Unité pour l’attention et la réparation globales aux victimes le groupe de discussion sur les différences et le genre qui avait émergé des accords de paix à La Havane, le gouvernement [5] réduit encore la protection accordée aux actrices de la paix face aux violences politiques.

RENATA CABRALES Journaliste colombienne réfugiée en Suisse

Traduction: Elisa Turtschi

[1] «Líderes desprotegidos y comunidades indefensas», Human Rights Watch, 10 Febrero 2021. https://www.hrw.org/es/report/2021/02/10/lideres-desprotegidos-y-comunidades-indefensas/asesinatosde-defensores-de

[2] «Doble resistencia : ser mujer y lideresa en Colombia», octobre 2020, https://lapazenelterreno.com/especiales/defender-la-vida/lideresas.html

[3] «Defensoras, voces de vida y resistencia», Programa Somos Defensores, 2020, p. 15-16, https://drive.google.com/file/d/1ztkaVm3AHLHQsRf3w4UBiMI_mMCIDjc9/view

[4] UNVMC, «Informe trimestral del Secretario General 26 de septiembre a 28 diciembre 2020 S/2020/1301», 29 décembre 2020, https://undocs.org/fr/S/2020/1301

[5] Unidad para la Atención y Reparación Integral a las Víctimas, projet de résolution 0236