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Notre regard

Droits des jeunes personnes migrantes non accompagnées: au-delà de l’âge

Nesa Zimmermann et Vista Eskandari

En décembre 2020, Mauro Poggia, Conseiller d’État genevois chef du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, Olivier Jornot, Procureur général du canton de Genève et Monica Bonfanti, Commandante de la police, présentaient en conférence de presse leur politique commune en matière de lutte contre la criminalité pour la période 2020 à 2023. Parmi leurs axes prioritaires, la volonté de lutter contre « les faux mineurs non accompagnés » [1]. Selon eux, une majorité des jeunes qui se déclarent mineurs ne le seraient pas. Il leur est ainsi reproché de bénéficier de droits réservés aux seules personnes mineures.

Ce discours n’est pas nouveau et n’est pas limité aux jeunes sans statut légal. Il est également présent dans le domaine de l’asile, où il a notamment incité les autorités à avoir recours à des expertises médicales contestées. Ainsi, la question de l’évaluation de l’âge des jeunes personnes migrantes non accompagnées a guidé nos deux années de recherches au sein de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’Université de Genève*.

Jose Mesa

Cette problématique est en effet centrale dans la mesure où la minorité donne lieu à des droits et à des protections particulières, découlant des normes internationales et nationales. Dans l’asile, ces dispositions spécifiques ont d’abord trait à la procédure.Ainsi,les personnes mineures isolées ont droit à l’accompagnement d’une personne de confiance, puis d’une curatrice ou d’un curateur qui est censé remplacer le rôle des parents absents ; elles ne peuvent pas être renvoyé·es dans un État Dublin [2], à moins d’y avoir des proches, et ne peuvent être renvoyées dans leur État d’origine à moins d’y bénéficier d’une prise en charge adéquate [3].

Les protections particulières accordées aux personnes mineures concernent plus généralement toute la prise en charge sociale et éducative de celles-ci, qu’elles relèvent ou non de l’asile. Elles doivent être hébergées et prises en charge dans des structures appropriées, et le droit leur garantit l’accès à la scolarité, quel que soit leur statut légal [4].

Ces protections disparaissent avec le passage à la majorité. La situation est particulièrement préoccupante pour les personnes mineures non accompagnées sans statut légal, souvent appelées par l’acronyme MNA. Ce changement signifie pour elles la cessation complète de la prise en charge par les autorités de protection de l’enfance du canton, soit la fin de tout accompagnement social et éducatif.

La rupture à 18 ans

Le passage à la majorité crée ainsi une rupture violente sur les plans socio-éducatifs et juridiques. Il devient alors un moment de stress et d’angoisses. Les avocat·es de la Permanence juridique MNA/RMNA à Genève racontent à ce propos que des jeunes se rendent régulièrement à la veille de leurs 18 ans à la Permanence pour savoir ce qu’il adviendra de leur place en foyer ou encore de l’accompagnement social auquel ils et elles ont droit. Cette rupture exacerbe ainsi la vulnérabilité des jeunes personnes migrantes isolées [5].

En effet, cette vulnérabilité n’est pas seulement liée à la minorité des jeunes personnes migrantes non accompagnées [7]. Elle découle également d’autres facteurs, comme l’expérience migratoire ou les traumatismes vécus, la situation dans le pays d’accueil ou encore le statut légal, dont la précarité ou l’absence peut être en lui-même une source de fragilité [6]. Les facteurs de vulnérabilités liés au jeune âge quant à eux peuvent également persister au-delà du jour du 18e anniversaire.

En effet, les médecins spécialistes de l’adolescence considèrent que le cerveau adolescent n’atteint sa maturité que vers 25 ans [7] et que l’âge de 18 ans ne signifie pas forcément que la personne ait pu acquérir les outils nécessaires pour mener une vie autonome. Pour pallier cet effet de rupture, et afin de garantir un meilleur accompagnement, il a été recommandé à plusieurs reprises que les jeunes personnes migrantes non accompagnées puissent bénéficier d’une période de transition allant jusqu’à leurs 25 ans [8].

Ainsi, au-delà de la stigmatisation qu’il induit, le discours politique distinguant les « fausses » des « vraies » personnes mineures est réducteur à deux niveaux. D’une part, parce qu’il ne tient pas compte des écueils et marges d’erreur dans l’évaluation de l’âge lorsque celui-ci ne peut aisément être prouvé par des documents d’identité. D’autre part, parce que cette vision néglige la vulnérabilité des jeunes adultes isolé·es et leurs besoins de protection et d’accompagnement qui persistent au-delà du jour de leurs 18 ans.

NESA ZIMMERMANN, Dre en droit VISTA ESKANDARI, titulaire du brevet d’avocate Coresponsables de la Law Clinic

*La Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables est un séminaire de Master de la Faculté de droit de l’Université de Genève ayant pour but d’offrir une formation juridique aux étudiantes tout en visant un objectif d’intérêt public et de justice sociale. Elle a publié en octobre 2020 la brochure Droits des jeunes personnes migrantes non-ac- compagnées, fruit de deux ans de recherche. Elle s’adresse aux jeunes personnes migrantes non accompagnées de 15 à 25 ans à Genève et tente de répondre aux principales questions juridiques qu’elles se posent. Elle est également un outil utile à toute personne intéressée à titre personnel ou professionnel. Vernissage en ligne et commande : unige.ch/droit/lawclinic/

[1] Tribune de Genève, 16.12.2020 ; Conseil d’État et Procureur Général, République et canton de Genève, Politique criminelle commune (PCC) 2021-2023, 16 décembre 2020.

[2] Art. 6 et art. 15 al. 3 du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.

[3] Art. 83 al. 4 LEI cum art. 3 et 22 CDE.

[4] Art. 3 et 28 CDE; art. 12, 19 et 62 al.2 Cst ; 82 al. 3bis LAsi; Tribunal Fédéral, Arrêt 2C_893/2018 du 6 mai 2019, consid. 6.1.

[5] N. Zimmermann, La notion de vulnérabilité dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Schulthess 2021 (à paraître).

[6] M. Baumgärtel, Facing the challenge of migratory vulnerability in the European Court of Human Rights, in Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. 38/1 (2020), pp. 12–29.

[7] S. Depallens, C. Plati, A.-E. Ambresin, « Une population qui grandit ? Les mineurs non accompagnés aujourd’hui en Suisse», in Paediatrica, no spécial (2016), pp. 21-22

[8] Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Recommandation aux États membres sur l’aide aux jeunes réfugiés en transition vers l’âge adulte (CM/Rec[2019]4); CDAS, Recommandations relatives aux enfants et aux jeunes mineurs non accompagnés dans le domaine de l’asile, Berne, 2016.