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Opinion | Accueil des réfugiés afghans: le courageomètre à 0

Dans une opinion publiée dans le Temps du 24 août 2021, Aldo Brina chargé d’information sur l’asile au CSP Genève exprime la nécessité d’accueillir des réfugié·es afghan·es dont des membres de la famille se trouvent en Suisse. Il rappelle que ce sont surtout les pays limitrophes comme l’Iran et le Pakistan qui vont continuer à vivre les plus grandes arrivées de personnes réfugiées. Non pas l’Europe. En Suisse, les demandes d’asile n’ont eu de cesse de baisser ces dernières années, les capacités d’accueil sont là. Selon lui, l’outil des visas humanitaires a cela de positif qu’il permet « un minimum de contrôle en amont du voyage, offre des voies de passage sûres et court-circuite les réseaux de passeurs ». Il exhorte à faire preuve de courage en accueillant les réfugié·es, en soutien notamment aux Afghan·nes qui se battent pour la démocratie.

L’opinion d’Aldo Brina « Réfugiés afghans: le courageomètre à 0 » a été publiée le 24 août dans le quotidien Le Temps.

Réfugiés afghans: le courageomètre à 0

Aldo Brina, Chargé d’information sur l’asile Centre Social Protestant Genève

OPINION. Nous demandons aux autorités de débloquer au moins le compteur des visas humanitaires, pour que les plus vulnérables puissent rejoindre leurs proches en Suisse, écrit Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant

La politique d’asile est un bon indicateur pour évaluer le courage d’un pays et sa disposition à défendre des idéaux de liberté et de droits humains face à la barbarie. Le Conseil fédéral a indiqué la semaine dernière où nous en étions sur cette échelle: à 0. En effet, si notre gouvernement a accepté d’offrir l’asile à 230 personnes de Kaboul en organisant une évacuation délicate sur le terrain, il faut préciser que, sur le plan de l’accueil à moyen terme, ce chiffre sera déduit des contingents déjà décidés auparavant. Autrement dit, cette décision implique que 230 autres réfugiés, qui auraient dû arriver dans notre pays par l’intermédiaire d’un partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ne seront pas accueillis. Un tour de passe-passe pour faire une annonce sans s’engager au-delà de ce qui était déjà prévu.

J’ai lu quelque part qu’à demander un peu mieux que 0, les associations verseraient dans l’émotionnel. Peut-être. C’est vrai qu’il est difficile de rester de marbre face à la prise de pouvoir des talibans, surtout pour nous professionnels de l’asile qui savons pertinemment de quoi ils ont été, ils sont, et ils seront capables en termes de violations de droits humains, de tortures et d’assassinats. Ceci dit, je ne sais pas si c’est par émotion ou par intérêt, mais les voix qui ont appelé à ne pas «répéter les erreurs de 2015» ont oublié certains faits – et d’abord, que ces «erreurs» ont sauvé des milliers de vies.

Ne pas craindre une «vague migratoire»

La «vague migratoire» de 2015 a culminé quatre ans après le début du conflit en Syrie, qui a démarré en 2011. Donc faut-il craindre un afflux similaire à celui de 2015 dès ces prochaines semaines à nos frontières? Je n’en suis pas certain. Les réfugiés afghans seront d’abord plus nombreux en Iran et au Pakistan, deux pays qui font face depuis des années à des arrivées bien plus importantes que les pays européens. De plus, en 2015, si ces arrivées plus nombreuses ont généré des images spectaculaires dans les pays de transit, c’est surtout les pays nordiques et l’Allemagne qui ont été confrontés aux défis de l’accueil. La Suisse, elle, est restée relativement à l’écart de ce tumulte et a fait, à l’encontre des demandeurs d’asile qui parvenaient jusqu’à son territoire, un usage abondant du Règlement Dublin pour les en expulser. Enfin, suite à la chute de Kaboul, les associations appellent à assouplir l’octroi de visas humanitaires. Ce ne sont précisément pas ces visas qui ont provoqué les arrivées par voie terrestre de 2015! Au contraire, ces procédures permettent un minimum de contrôle en amont du voyage, elles offrent des voies de passage sûres et court-circuitent les réseaux de passeurs.

Depuis une semaine, le Centre social protestant, comme les autres associations de défense du droit d’asile, est très sollicité. Les gens qui viennent nous voir et qui ont des proches encore en Afghanistan ne sont pas inquiets: ils sont terrifiés. Je pense à cet homme dont la mère veuve et les quatre sœurs, des jeunes femmes non mariées, sont seules à Kaboul. La demande préavis pour un visa humanitaire reste sans réponse de la part des autorités fédérales. Une autre femme établie en Suisse m’explique au téléphone que la famille de sa sœur est sans nouvelle depuis quelques jours de son beau-frère, qui a été molesté plusieurs fois par des talibans, avant même leur victoire, pour avoir coopéré avec les Américains. Une demande de visa avait été déposée il y a plusieurs mois, sans succès.

Il y a une marge de manœuvre

Nous n’avons pas d’avions militaires et ne pouvons pas répondre aux demandes désespérées d’évacuation de toutes ces personnes. Nous ne pouvons qu’informer sur les maigres possibilités de venir en Suisse pour celles et ceux qui parviendraient à fuir l’Afghanistan. Pour ceux-ci, nous demandons aux autorités de débloquer au moins le compteur des visas humanitaires, pour que les plus vulnérables puissent rejoindre leurs proches en Suisse. Et, par ailleurs, d’examiner de manière bienveillante les demandes de regroupement familial, même si elles émanent de personnes bénéficiant d’une admission provisoire et donc soumises à un régime strict en la matière.

Il est difficile d’articuler un chiffre du nombre de personnes à accueillir. Peut-être pourrait-on agir avec un peu d’éthique et faire le compte après? La «vague», c’était il y a huit ans. Le nombre de nouvelles demandes d’asile n’a cessé de baisser depuis, et est à son plus bas niveau depuis des décennies. Il y a donc une marge entre le 0 du Conseil fédéral et le sommet de cette courbe. C’est le moment de faire preuve de courage, un courage qui ferait écho à celui de celles et ceux qui manifestent dans les rues des villes afghanes, drapeau national sur le dos, les canons des talibans pointés sur leur torse.