Aller au contenu
Documentation

« Des conditions de vie qui rendent malade » | Des professionnel·les de la santé dénoncent le régime de l’aide d’urgence

Nous relayons ci-dessous la lettre ouverte signée par de nombreux·ses professionnel·les de la santé à l’attention du Conseil fédéral, des directeurs/directrices des affaires sociales, des médecins cantonaux, des autorités de migration, et des politiciens/politiciennes plus largement. Cette lettre fait suite au « rapport sur la santé mentale des requérant-es d’asile débouté-es » (en allemand), rédigé par le psychologue Urs Ruckstuhl et plusieurs expert·es, qui sera présenté au mois de mars 2022.  

Pour un traitement humain des requérant·es débouté·es

En tant que psychiatres, psychologues, thérapeutes ainsi que médecins de toute spécialité et autres professionnell·es de la santé, des services de conseil psychosocial et des organisations d’entre-aide, nous appelons les autorités cantonales et fédérales compétentes à mettre fin aux conditions psychologiquement dangereuses dans les régimes cantonaux d’aide d’urgence aux requérant·es débouté·es.

La situation des requérant-es débouté-es

En 2020, 6 660 demandeures/euses d’asile débouté-es, dont 1 061 enfants, vivaient dans le système d’aide d’urgence en Suisse. A la fin de l’année, environ 2 400 d’entre eux étaient bénéficiaires de longue durée. Il y a de nombreuses raisons à cela. Chaque canton dispose d’une grande marge de manœuvre pour structurer le système de l’aide d’urgence. La plupart de celles et ceux qui ont été rejeté-es vivent dans des conditions précaires et inhumaines pendant des années :

  • Extrême pauvreté : Les personnes à l’aide d’urgence ont droit à un budget journalier de 8 à 12 francs. Cela devrait couvrir tous les besoins de la vie quotidienne : nourriture, vêtements, hygiène, transports, téléphones portables, etc.
  • Logement : Les personnes déboutées vivent souvent dans des logements temporaires (conteneurs, caves-abris, bâtiments vétustes, hébergements d’urgence) et dorment dans des chambres à plusieurs lits, constamment exposées au bruit et aux conflits. Elles n’ont pas de sphère privée ou intime. Elles sont soumises à des règles rigides et harcelantes telles que l’obligation de s’annoncer (jusqu’à deux fois par jour) et l’obligation d’être présentes. Les descentes de police et les arrestations pour séjour illégal sont à l’ordre du jour, beaucoup de personnes sont frappées d’une assignation à une commune ou d’une interdiction de se rendre en ville.
  • Interdiction d’intégration/isolement : les requérant-es d’asile débouté-es n’ont pas accès aux offres de formation (par exemple, cours d’allemand) dans la plupart des cantons ; il leur est interdit de travailler, et l’interdiction géographique entraîne une interdiction de contact.
  • Soins médicaux : Les personnes déboutées ont droit à des soins médicaux de base. Nombreuses sont les personnes souffrant de troubles psychologiques chroniques et de troubles de stress post-traumatique. En raison de la situation précaire et instable de l’aide d’urgence, ces personnes n’ont pas accès aux offres psychosociales, psychiatriques et psychothérapeutiques dont elles auraient pourtant tellement besoin.

L’aide d’urgence a été conçue comme une solution temporaire, afin de couvrir pendant quelques mois les besoins de base conformément à l’article 12 de la Constitution. Lorsqu’elle s’inscrit dans la durée – nous connaissons des bénéficiaires de longue durée qui survivent dans le système de l’aide d’urgence pendant 5, 10, 15 ans – elle devient intenable, épuisante, inhumaine et cruelle.

Image : johnhain / Pixabay

Des conditions de vie qui rendent malade

Cela nous concerne tous. Les requérant-es d’asile débouté-es sont un groupe de personnes oubliées et isolées qui vivent parmi nous sans que nous les voyions. Jusqu’à présent, vu leur statut juridique et la situation politique en Suisse, elles ne rencontraient guère de compréhension, de sympathie et de solidarité de la part de la population, car il n’y avait pas de cadre de référence. Espérons que la crise du coronavirus aura changé cela. Elle a montré combien l’isolement social, la crainte de perdre son emploi, l’absence de loisirs habituels et les privations multiples affectent le bien-être de la population en un an et demi. Elle a révélé à quelle vitesse on perd l’orientation dans des conditions de vie précaires et à quel point les pensées et les actions irrationnelles nous guettent. Les taux de troubles anxieux et de dépression ont grimpé en flèche, les téléphones d’urgence n’arrêtent pas de sonner.

Les requérant-es d’asile débouté-es – hommes, femmes et enfants – vivent depuis des années un confinement renforcé ; emploi, proches, amis, perspectives d’avenir – tout leur manque.

La recherche sur la migration a permis de comprendre que les séquelles liées aux expériences vécues avant et pendant la fuite peuvent se renforcer dans le pays d’accueil si celui-ci n’offre ni sécurité ni espace de développement minimal.

Les conséquences psychologiques et physiques

En tant que spécialistes de la santé, nous connaissons bien ces conséquences à long terme des circonstances de vie décrites, que ce soit pour avoir traité des personnes concernées ou par les études correspondantes. Les symptômes sont les suivants :

  • insomnie
  • symptômes de stress et d’anxiété
  • apathie, retrait social, dépression, agressivité, tendance suicidaire accrue
  • comportement addictif
  • troubles psychosomatiques
  • état de stress post-traumatique voir re-traumatisations
  • troubles physiques : maux de tête, symptômes gastro-intestinaux, système immunitaire affaibli, susceptibilité accrue aux maladies infectieuses, etc.

En tant que professionnel-les qui observent et traitent les troubles de ce type, nous sommes dans l’obligation d’insister sur le fait que les souffrances, puisant dans les vulnérabilités que les personnes réfugiées ont acquises au cours de leurs parcours, sont exacerbées de manière irresponsable par les conditions de vie précaires et inhumaines dans le régime des aides d’urgence.

Nos revendications

Nous exigeons de la part des autorités, du monde politique, des offices responsables et des organisations d’exécution qu’ils tiennent compte des conséquences de la pratique de l’aide d’urgence et qu’ils entreprennent les mesures nécessaires pour supprimer ce système. Il s’agit d’une pratique qu’en tant que spécialistes nous considérons comme humiliante, épuisante et pathogène. Le régime de l’aide d’urgence doit être révisé pas à pas afin qu’il respecte la dignité des requérant-es débouté-es, qu’il préserve leur santé psychique et physique et qu’il garantisse la participation à la vie sociale, indispensable pour sauvegarder l’intégrité personnelle.

Voici nos revendications pour les bénéficiaires de longue durée, qui vivent depuis un au moins de l’aide d’urgence :

  • couverture des besoins fondamentaux en lieu et place de l’aide d’urgence
  • fermeture des centres d’hébergement assimilables à des camps ; hébergement dans des appartements et des collocations.
    A l’instar du canton de Berne, tous les cantons doivent permettre l’hébergement privé sans suppression du soutien financier par le canton.
  • levée immédiate de toutes les mesures d’assignation à une commune et d’interdiction de se rendre en ville ; fin des arrestations arbitraires, de la détention et des peines pécuniaires pour séjour illégal.
    Nous soutenons l’établissement d’un document d’identité tel qu’introduit par le canton de Vaud afin de protéger les requérant-es débouté-es des contrôles policiers.
  • Droit à une participation à la vie en société, à la formation, à l’emploi, à des activités structurantes ainsi qu’au offres culturelles et de loisir qui permettent de préserver le bien-être et la santé psychique.
    Nous soutenons la pétition «Bildung für alle – jetzt»1( «Formation pour tous – maintenant ») et regrettons le rejet de la motion du Conseil National par le Conseil des Etats qui aurait permis aux requérant-es débouté-es de terminer leur apprentissage.
    Garantie de la prise en charge médicale, psychiatrique et psychothérapeutique, accès aux prestations psycho-sociales
  • Conditions de vie conformes aux droits des enfants pour les familles déboutées et leurs enfants. Selon la Convention relative aux droits de l’enfant, les droits des enfants sont à garantir de manière prioritaire indépendamment du droit de séjour.
  • Régularisation du statut de personnes déboutées enfermées depuis des années dans le système de l’aide d’urgence

Nous soutenons les recommandations de la CFM Commission fédérale des migrations, c’est à dire de réfléchir à l’admission provisoire de personnes qui, pour des raisons techniques ou de santé, ne peuvent pas quitter la Suisse ainsi qu’une réglementation souple pour les cas de rigueur dans tous les cantons. Nous soutenons aussi la motion 21.3187 Streiff-Feller « Pour une mesure humanitaire exceptionnelle en faveur des personnes vivant de l’aide d’urgence après avoir été déboutées de leur demande d’asile en vertu de l’ancien droit », signée par de nombreuses personnes.

Premiers/ères signataires (au 1er décembre 2021) :

  • Fana Asewaf, Dr. med., Fachärztin für Kinder und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie, Kanton Zürich, Kompetenzzentrum Trauma und Migration in Winterthur, Winterthur
  • Jean Bauer, Dr, membre du comité MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, oncologue, Vaud
  • Klaus Beeler, Psychotherapeut ASP, Supervisor BSO, St. Gallen
  • Nathalie Bennoun, Psychologue Responsable Adjointe, Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP, Appartenances Vaud, Consultation Psychothérapeutique pour Migrant·es
  • Charles Bonsack, Prof., Professeur associé Centre hospitalier universitaire et Université de Lausanne, Président de la société suisse de psychiatrie sociale (so–psy.ch), Vaud
  • Bernard Borel, Dr, membre du MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, pédiatre, Vaud
  • Elean Briggen, eidg. anerkannte Psychotherapeutin
  • Hugues Burkhalter, Dr, membre du MASM, Médecine interne générale, Vaud
  • Noémie Cuissart de Grelle, Docteure, Psychiatre et psychothérapeute FMH
  • Nicolas de Coulon, Dr, membre du MASM, Psychiatre et psychothérapeute, Vaud
  • Irene de Santa Ana, Psychologue spéc en psychothérapie, Psychologue Appartenances-Genève, Genève
  • Felicia Dutray, Docteure, Médecin responsable consultation psychothérapeutique pour migrant-e-s, Association Appartenances, Médecin associée, Unité Psy@Migrants, DP-CHUV, Vaud
  • Serena Gallli, Dr. med., ärztliche Psychotherapeutin, Basel
  • Betty Goguikian, Dr en psychologie, Maître d’enseignement et de recherche Université de Genève, Responsable de l’Unité de psychologie clinique interculturelle et de la Consultation pour enfants et adolescents migrants, Genève
  • Ronnie Gundelfinger, Dr., Kinder- und Jugendpsychiater, Zürich
  • Andreas Günter-Witt, Dr. med., Allgemeine Medizin FMH, Niederscherli
  • Daniel Halpérin, Pédiatre, Genève
  • Eva Heim, Professeure Associée, Psychologie Clinique Interculturelle, Université de Lausanne, Vaud
  • Yvon Heller, Dr, membre du MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, pédiatre, Vaud
  • Theodor Itten, ehem. Stiftungsrat Pro Mente Sana, Psychologe und Psychotherapeut i. R.
  • Bernhard Küchenhoff, Dr. med., Facharzt für Psychiatrie und Psychotherapie FMH, Praxis Beckenhof, Zürich
  • Laurent Lob, Dr, membre du MASM, Médecine interne générale, Vaud
  • Sara Mazetti, Dre, membre du MASM, Pédiatre, Vaud
  • Jean-Claude Métraux, Psychiatre, Vaud
  • Sara Michalik-Imfeld, lic. phil. , Fachpsychologin für Psychotherapie FSP, CAS Psychotraumatologie, Präsidentin Verband Aargauer Psychologinnen und Psychologen (VAP), Präsidentin Paxion, Geschäftsleiterin Psy4Asyl
  • Konrad Michel, Prof. Dr. med., Facharzt für Psychiatrie und Psychotherapie FMH, Spiez
  • Emilio Modena, Arzt und Psychoanalytiker
  • Nicole Pellaud, Dr, Pédiatre , Valais et Genève
  • Josiane Pralong, Dr, Présidente de MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, Médecin cheffe en soins palliatifs, Vaud
  • Martine Rais, Dr, membre du MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, psychiatre, Vaud
  • Bigna Rambert, Dr. med. FMH für Psychiatrie und Psychotherapie
  • Udo Rauchfleisch, Prof. Dr., ehem. Professor für Klinische Psychologie Universität Basel, Psychotherapeut in privater Praxis, Basel
  • Saira Renteria, Dre, membre du MASM, Médecin gynécologue, Vaud
  • Sandra Rumpel, lic. phil., eidg. anerkannte Psychotherapeutin ASP/SBAP, Co-Geschäftsleitung Verein family-help
  • Vera Saller, lic. phil., Psychoanalytische Praxis
  • Paul Scheider, Dr, membre du MASM, Médecins Action Santé Migrant.e.s, chirurgien retraité, Vaud
  • Lena Sophia Sorg, Psychologin MAS, Psychotherapeutin i. A., Bern
  • Elisabeth Steiner, lic. phil., Psychotherapeutin ASP, Zürich
  • Daniel Strassberg, Dr. med. Dr. phil., Psychonanalytiker und Philosoph, Zürich
  • Antonia Stulz-Koller, Dr. med., FMH für Kinder- und Jugendpsychiatrie und -psychotherapie, Co-Geschäftsleitung Verein family-help
  • Julien Gnipieven Tekombo, Dr. med., St. Gallen
  • R. Torriani, pens. Kinderarzt FMH
  • Amina Trevisan, Dr. phil., Gründerin und Präsidentin von Prosalute
  • Saskia von Overbeck Ottino, Dr., FMH psychiatrie-psychothérapie enfants-adolescents et adultes, Médecin-associée, SPEA et DMPR, HUG, Responsable du dispositif MEME (Santé Mentale Migrants et Ethnopsychanalyse), Présidente du Forum Psychoanalysis, Migration and cultural Identities de la FEP, Présidente de l’Association Santé Mentale Suisse-Rwanda
  • Ruth Waldvogel, Dr., eidg. anerkannte Psychotherapeutin in eigener Praxis in Basel, Basel
  • Anna Witte, Psychologin, M.Sc., Psychotherapeutin in Delegation, Bern
  • Hans Jakob Zehnder, Dr.med., Innere Medizin FMH, Riggisberg
  • Psychoanalytisches Seminar Zürich (PSZ)
  • Verein family-help
  • Stiftung für Psychotherapie und Psychoanalyse
  • Paxion, Psychosziale Unterstützung für Geflüchtete
  • Verein Psy4Asyl
  • Ambulatorium für Folter- und Kriegsopfer SRK
  • Verein accompagno, Komplementärtherapie für Menschen in prekären finanziellen Verhältnissen

Documentation en lien (en allemand) :