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Notre regard

Algérie (II) | De la terre d’accueil à la fermeture des frontières

Deuxième partie de notre Chronique Monde sur l’Algérie. Retrouvez l’article précédent : Algérie (I) | À la croisée des chemins paru dans la revue Vivre Ensemble n° 173 / juin 2019.

TERMINUS ALGÉRIE / Camille Millerand Les images de cette chronique sont extraites de la série Terminus Algérie, débutée en janvier 2015, coréalisée avec Leïla Beratto. Elles relatent le quotidien d’un bâtiment de 2 étages situé à 30 km d’Alger. Trente personnes en migration y vivent. Ils surnomment ce lieu « Guantanamo ». Une micro-société avec ses histoires d’amour, ses conflits, son commerce, ses jeux d’argent, son bar, son système économique, et ses devoirs scolaires. À « Guantanamo », on survit dans une Algérie qui ne laisse que très peu de place à l’Africain. © www.camillemillerand.com

Au lendemain de l’indépendance en 1962, l’Algérie était décrite comme «une terre d’accueil et d’hospitalité». Alger se targuait alors d’être la «Mecque des révolutionnaires» en accordant asile et protection aux opposant·e·s du monde entier, au gré de la diplomatie du Ministre des Affaires étrangères de l’époque, Abdelaziz Bouteflika. Que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage ?

UN CADRE LÉGAL INADÉQUAT

Bien que l’Algérie ait ratifié la Convention relative au statut des réfugiés, le pays tarde à se doter d’un dispositif législatif encadrant le droit d’asile. En l’absence de procédure nationale, la détermination du statut de réfugié est assurée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Alger. Cependant, ce processus n’aboutit pas nécessairement à une régularisation pour les demandeur·se·s d’asile et les réfugié·e·s reconnu·e·s comme tel·le·s par le HCR. Le droit algérien exclut les personnes en situation irrégulière de la protection de la loi et n’interdit pas expressément les expulsions collectives comme le prévoit le droit international.

À ces lacunes s’ajoute une législation répressive à l’égard des étrangers sans statut légal. Une loi de 2008 a érigé l’immigration irrégulière en infraction pénale passible de deux ans d’emprisonnement et a instauré une procédure d’expulsion. Le refus d’obéir à un arrêté d’expulsion expose les contrevenant·e·s à une peine de cinq ans de prison.

Les femmes migrantes sont particulièrement fragilisées, car trouver du travail est encore plus compliqué que pour les hommes. Nicole et Stella, copines d’aventure naviguent sur les réseaux sociaux pour occuper leur ennui. Parfois, elles coiffent ou cuisinent pour les autres. Septembre 2016, © camillemillerand.com

UN PAYS DE PASSAGE ET DE DESTINATION

L’Algérie est souvent perçue, à tort, comme un pays de départ compte tenu de l’importance de sa diaspora dans les pays du Nord, notamment en France (voir VE 173). Depuis les années 2000, le pays est également un pays de transit ou de destination pour de nombreux·euses ressortissant·e·s d’États d’Afrique subsaharienne à la recherche d’emplois dans des secteurs tels que le bâtiment et l’agriculture. Des milliers de personnes originaires du Yémen et de Syrie tentent également d’y obtenir une protection.

EXPULSIONS ILLÉGALES

Les dirigeant·e·s algérien·ne·s aiment répéter à l’envi que l’Algérie n’a pas vocation à devenir le gendarme de l’Europe en référence aux initiatives de l’Union européenne visant à externaliser le contrôle de ses frontières extérieures.Pourtant,à partir de 2016,les autorités ont intensifié les arrestations de masse de ressortissant·e·s originaires d’Afrique subsaharienne en vue de leur expulsion. Ces opérations sont davantage fondées sur un profilage racial que sur une vérification des titres de séjour.

Les personnes arrêtées sont ensuite regroupées dans un camp de transit à Tamanrasset au sud du pays. Selon l’ONU, les Nigérien·ne·s sont transféré·e·s en bus à Agadez au Niger, tandis que les autres sont entassés dans des camions pour être littéralement reconduits à la frontière nigérienne ou malienne où elles·ils sont abandonné·e·s en plein désert, la plupart du temps sans nourriture et avec très peu d’eau.

Ces expulsions se sont inscrites dans un climat de racisme savamment entretenu par le pouvoir algérien dominé par le clan Bouteflika. Incapable de trouver des solutions aux difficultés économiques provoquées par la chute du prix des hydrocarbures en 2014, les responsables politiques ont trouvé en la figure du « migrant africain » le bouc émissaire idéal pour expliquer les maux du pays. Faisant écho à une campagne intitulée « Non aux Africains en Algérie » lancée sur les réseaux sociaux, le chef du cabinet de la présidence déclarait en juillet 2017 que les migrant·e·s subsaharien·ne·s sont « une source de drogue et de criminalité ». Face à cette banalisation du discours raciste, de nombreuses organisations de la société civile se sont mobilisées à travers une pétition «Nous sommes tou·te· s des migrant·e·s».

Le durcissement de la politique migratoire algérienne n’est pas non plus sans conséquence sur les populations tentant d’échapper aux zones de conflit du Moyen- Orient. En janvier 2019, le ministère de l’Intérieur a décidé de refouler systématiquement tout ressortissant arabe, en invoquant le « risque djihadiste » et qualifiant de «faux migrants» les personnes transitant par le Mali et le Niger de manière irrégulière. Une centaine de réfugié·e·s originaires de Syrie, de Palestine et du Yémen ont ainsi été refoulé·e·s vers le Niger en janvier 2019 suscitant l’inquiétude du HCR.

Parmi les revendications portées par le mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis le 22 février 2019 figurent le respect des droits humains et le renouvellement d’une classe politique perçue comme illégitime. Alors que les manifestant·e·s continuent toujours de battre le pavé pour demander une véritable transition démocratique, la crédibilité des dirigeant·e·s algérien·ne·s vis-à-vis de leurs concitoyen·ne·s ne devrait-elle pas se mesurer à leur capacité à répondre aux aspirations de la population plutôt qu’au nombre de reconduites à la frontière?

Alexis Thiry
Mena rights group

Données socio-démographiques à retrouver dans la chronique précédente Algérie (I) | À la croisée des chemins, VE 173 / juin 2019

Quelques statistiques sur les personnes réfugiées en Algérie

Nombre de ressortissant·e·s subsaharien·ne·s : entre 100 000 à 150 000 (Source : MSF)

Nombre de réfugié·e·s en provenance des zones de conflits (début 2019) : En début d’année 2019, les autorités ont avancé le chiffre de 50000 Syrien·ne·s accueilli·e·s sur le territoire algérien. Le HCR avance le chiffre plus prudent de 9000 réfugié·e·s enregistré·e·s ayant fui des zones de conflit.

Nombre d’expulsions aux frontières sud : 25 000 en 2018 ; plus de 5 000 depuis le 1er janvier 2019

Sources

– Amnesty International, Forcés à partir , décembre 2018
– À écouter : Leïla Beratto, Algérie : des migrants intégrés malgré tout dans l’économie, RFI, 26.07.2018.
– Caroline Christinaz, Des internautes font barrage contre une vague de racisme en Algérie, Le Temps, 28.06.2017
– Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de l’Algérie valant vingtième et vingt et unième rapports périodiques, 21.12.2017, CERD/C/DZA/CO/20-21
– HCR, Le HCR appelle à accéder aux réfugiés à la frontière entre l’Algérie et le Niger, 03.01.2019
– Marco Wolter Sertan Sanderson, Le Sahara, l’enfer pour les migrants expulsés d’Algérie, Info Migrants, 19.04.2019.