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Notre regard

RDC | Enfants sorciers, enfance sacrifiée [2014]

044405
Photo: UNHCR

Données socio-démographiques

Capitale: Kinshasa
Population: 69,6 millions d’habitants (ONU, 2012)
Langues principales: français, lingala, kiswahili, kikongo, tshiluba
Principales religions: Christianisme (surtout Églises du Réveil), Islam
Produits d’exportation: diamants, cuivre, cobalt, café, pétrole brut.

Statistiques de l’asile en Suisse pour 2013: ressortissants de RDC

  • Nouvelles demandes d’asile: 198
  • Dossiers traités en première instance: 181
  • Décisions positives: 6 octrois de l’asile, 49 admissions provisoires*
  • Décisions négatives: 71 rejets, 41 NEM dont 30 NEM Dublin**
  • Renvois sous contrainte: 0 au pays, 6 Dublin

* La Suisse compte les admissions provisoires comme des décisions négatives.
** Une NEM Dublin signifie que la demande doit être examinée par un autre Etat signataire de l’Accord de Dublin. Les motifs de fuite du requérant n’ont pas été examinés par les autorités.

La RDC, au centre de la « guerre mondiale africaine »

Entre 1988 et 2003, la République démocratique du Congo (RDC) a été au centre de ce qui a été appelé la «guerre mondiale africaine». Les combats entre les forces du gouvernement congolais, soutenues par l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe, et les rebelles –défendus par l’Ouganda et le Rwanda- ont été financés et en partie motivés par le trafic de diamants et de métaux rares. La guerre a fait plus de 3 millions de victimes et a laissé le pays dans une situation de désastre humanitaire. Malgré l’accord de paix et la formation d’un gouvernement de transition, la région du Nord-Kivu dans l’est du pays a été théâtre d’affrontements entre autorités et rebelles jusqu’en décembre 2013, quand ces derniers ont été désarmés suite à l’intervention de 3000 casques bleus de l’ONU. Un accord a été signé début 2014, mais la situation reste potentiellement explosive (BBC Country Profile).

La sorcellerie en RDC et les enfants « sorciers »

L’imaginaire de la sorcellerie est omniprésent en République démocratique du Congo. Touchant auparavant les femmes âgées isolées, les accusations de sorcellerie visent toujours plus les mineurs, en campagne comme en ville. Des enfants déjà vulnérables -orphelins, handicapés mentaux et physiques- sont soupçonnés d’avoir provoqué un malheur au sein de leur famille ou de leur communauté. Persécutés, victimes de violences physiques et psychologiques, ils sont emmenés chez un pasteur pour que celui-ci confirme les soupçons par des pratiques divinatoires. Un processus de «délivrance», coûteux, long et souvent très violent. Après un aveu forcé, les «sorciers» sont enfermés pendant des semaines sans eau ni nourriture, contraints à absorber des potions toxiques, battus ou brûlés. Même après la « guérison », ils sont stigmatisés à vie: chaque malheur engrange de nouvelles persécutions. Abandonnés par leur famille, ils se retrouvent à la rue. Aux violences qu’ils y subissent s’ajoute la drogue, l’alcool, l’exploitation, la prostitution. Certains finissent par se croire sorciers, ou s’approprient ce «statut» pour s’intégrer à un gang. D’autres partent, en quête d’un Eldorado européen.

Parmi les facteurs explicatifs du phénomène, la place de l’enfant dans la société en RDC. Employés dans le secteur minier, ou recrutés par l’armée, ils deviennent des acteurs sociaux à part entière. En tant que tels, ils peuvent être accusés de sorcellerie. Les décennies de guerre civile et la diffusion du VIH-SIDA ont laissé un grand nombre d’orphelins, pris en charge par la famille élargie, elle-même en difficulté. Des bouches de plus à nourrir, alors que les logiques contemporaines prêchent la primauté de la famille nucléaire et l’abandon de la solidarité communautaire. Enfin, certaines églises pentecôtistes, par ces « guérisons » miraculeuses, instrumentaliseraient les croyances en la sorcellerie pour gagner de l’argent et des fidèles (UNICEF, 2010).

La fragilisation de l’État suite à la guerre civile, la réticence des communautés à dénoncer les auteurs des violences, tout comme le fait que des policiers et fonctionnaires locaux voient ces enfants comme des coupables, non comme des victimes, sont parmi les obstacles à une protection effective par les autorités. Ceci, malgré l’interdiction d’accusation de sorcellerie dans la Constitution congolaise de 2005 et la ratification de la Convention sur les droits de l’enfant.

Le phénomène des enfants «sorcier» est répandu dans tout le bassin du Congo et, dans une moindre mesure, dans toute l’Afrique. De nombreuses études ont été menées sur la situation en RDC. Selon le Conseiller régional de UNICEF pour la protection de l’enfant dans l’Afrique centrale et de l’ouest, plus de 20’000 enfants des rues auraient été accusés de sorcellerie à Kinshasa seulement (2010). Les persécutions dont ils sont victimes, souvent avec le consentement tacite des forces de l’ordre congolaises, peuvent les amener à solliciter une protection internationale, en Suisse ou dans un autre pays européen. Leur demande se fonde juridiquement sur l’appartenance -volontaire ou involontaire- à un groupe social déterminé, celui des «sorciers». Cependant, à cause de l’omniprésence de la sorcellerie dans les sociétés africaines, les persécutions liées à ces croyances ne sont pas forcément abordées dans le cadre d’une demande d’asile, du moins dans un premier temps (UNHCR, 2011). En raison de la persistance de la stigmatisation associée à ces accusations, les risques d’un retour au pays doivent être envisagés.

J’étais un sorcier. J’ai été envoûté par ma grand-mère. Une nuit, elle est venue me voir pendant mon sommeil. Elle m’a offert du pain et du thé. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé mes voyages astraux avec elle. Un jour, elle m’a demandé de tuer papa en échange du thé et du pain qu’elle m’avait offerts. Aristote, 10 ans

Pendant trois jours, on n’a pas eu le droit de manger ni de boire. Le quatrième jour, le prophète a placé nos mains au-dessus d’un cierge pour nous faire avouer. Alors, j’ai reconnu les accusations et les mauvais traitements ont pris fin. Ceux qui n’acceptaient pas étaient menacés du fouet. Bruno, 9 ans

 

Nora Bernardi

Sources