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Notre regard

Thaïlande | Sous la plage, les barreaux

Non reconnus par la Thaïlande, les demandeurs d’asile, aux côtés des réfugiés, des travailleurs illégaux, des sans-papiers et des étrangers en dépassement de visa, sont des milliers à s’entasser dans des conditions inhumaines dans les centres de détention du royaume. Ils y attendent, parfois des années, que leur sort soit réglé. Parmi eux, de nombreux enfants et adolescents que des associations et bénévoles tentent de faire sortir.

Image: Haddock83

Reportage publié dans l’édition de décembre de la revue francophone Gavroche, éditée à Bangkok. Nous en reproduisons un extrait avec l’aimable autorisation de l’auteure et de l’éditeur.  Lire également Un visa, une (autre) vie publié dans la même édition.

Le désespoir des demandeurs d’asile

Immigration Detention Center, Suan Plu, Bangkok. Des personnes descendent des fourgonnettes grillagées qui viennent de se garer devant l’entrée du centre de détention. Ils sont Birmans, Cambodgiens, Rohingyas… Une femme porte un nourrisson de deux mois dans ses bras, d’autres tiennent leurs enfants par la main. Des travailleurs illégaux : ils ont été signalés par l’employeur lui-même, agacé lorsqu’ils lui ont réclamé leur salaire en fin de mois. Alors, devant une brise de rébellion, il a appelé la police qui les a embarqués.

Il est 10h28. La file des visiteurs, pour la plupart des membres d’associations caritatives de la communauté expatriée, tous bénévoles, se divise en deux : d’un côté les femmes, de l’autre les hommes. Sur leur sac, un matricule et un numéro de cellule où s’entassent des dizaines de réfugiés, femmes et enfants d’un côté, hommes et garçons au- dessus de douze ans de l’autre. Pas de lit ou de natte pour dormir, les détenus se relaient la nuit par tranche de quatre heures. Un seul lavabo, parfois pas d’eau et la gale en partage.

Thai Immigration Bureau office on Soi Suan Phlu, off Sathorn Road.
The bureau is a unit of the Royal Thai Police.
Image: Ian Fuller

Les portes s’ouvrent enfin. Après avoir déposé leurs effets personnels, les visiteurs sont fouillés. Des grilles les séparent de deux mètres des détenus. Ils ont 45 minutes pour échanger, parler, hurler, se taire, prier ou pleurer. Les plus aguerris arrivent à plaisanter, à rire même. Cacophonie de voix, de langues, et des visages aux mille facettes : réfugiés, individus exclus, enfants encore joueurs, vieillards édentés ou amputés, mères en pleurs, jeune Somalienne, adolescent syrien seul, chrétiens pakistanais, jeune homme irakien, Sri-Lankais témoins de l’ancienne guerre civile, Vietnamiens, Cambodgiens, Rohingyas persécutés en Birmanie, même des jeunes femmes russes, des « overstay »… Un peu de nourriture, un sourire, une attention. Des lettres s’échangent, des petits dessins, des regards. Parfois des avocats sont là aussi, messies juridiques, sauveurs du labyrinthe administratif. Le temps existe-t-il encore quand cela fait deux ans, six ans ou même dix ans que l’on est enfermé, parfois sans jamais recevoir de visite ?

La Thaïlande ne reconnaît pas le statut de réfugié

Sur le territoire, ils sont illégaux et doivent être incarcérés, même s’ils ont été placés sous la protection du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Si beaucoup de demandeurs d’asile arrivent, au bout de plusieurs années, à obtenir un statut, c’est une toute autre affaire que de trouver un pays d’accueil. Des agents de l’UNHCR confient que seuls 1% des 800 détenus du centre de détention de Suan Phlu (IDC) ont une chance d’être acceptés.

Que faire alors ? Que leur dire ? Beaucoup sont encouragés à retourner chez eux, entre autres les Pakistanais – presque tous de confession chrétienne – et les Sri-Lankais. Mais ils ont peur : leur vie, chez eux, est souvent menacée. Certains rentrent et se cachent, espérant repartir pour la Malaisie ou un autre pays quand ils auront réuni l’argent nécessaire pour payer les passeurs. Le commerce est fructueux.

Il fut un temps, une caution de 50 000 bahts permettait aux réfugiés de vivre dehors en attendant que leur cas soit résolu. Certaines institutions religieuses, des ONG, des particuliers, des hôpitaux les aident. Mais même libres, ils ne peuvent pas travailler légalement et doivent se loger, souvent à plusieurs familles pour partager le loyer. Ils vendent parfois de la nourriture, aident aux déménagements, au jardinage, à la couture, au bricolage. Mais ils ne sont jamais à l’abri d’une rafle ou d’une délation depuis que le programme a été arrêté voilà deux ans.

Sérénité et lumière sur le visage, le Frère Bernard est un incontournable. Cela fait vingt ans qu’il rend visite aux détenus, ici et dans les prisons. « Les conditions de détention à l’IDC sont bien plus difficiles que celles des prisons car ils sont beaucoup plus nombreux par cellule, constate-t-il. Nous ne pouvons rien faire ici, si ce n’est apporter un rayon de soleil lors des visites. »

Aides aux enfants réfugiés

Sur la gauche, à l’intérieur du centre de détention de l’Immigration à Suan Phlu, se trouve une charmante petite école peinte en bleu ; c’est le IDC Daycare Centre où se rendent tous les jours de la semaine les enfants incarcérés. Cette école, où l’appren- tissage se fait en anglais, est soutenue par le gouvernement thaïlandais, mais aussi par l’IOM (International Organization for Migration), les Etats-Unis et la Suisse.
«Le gouvernement est très actif pour la protection des enfants en Thaïlande, et plus particulièrement pour agir contre leur exploitation, explique Yanathip « Steve » Kongnukool, principal de la Kincaid International School à Bangkok, l’une des écoles internationales de la capitale qui accueillent des réfugiés. Les demandeurs d’asile qui sont arrêtés et conduits à l’IDC ne le savent pas, mais s’ils ont avec eux un enfant mineur et qu’ils font appel devant le tribunal, ils gagneront l’appel et l’enfant sera relâché.»
Pour ces enfants, les frais de scolarité, souvent supportés par des organisations humanitaires, des institutions religieuses ou des bénévoles, sont considérablement revus à la baisse. Le directeur de l’école se rappelle s’être levé très tôt pendant plusieurs mois pour se présenter au centre de détention de Suan Phlu à 6h30 du matin afin d’accompagner un enfant de détenu dans son école et le ramener après les cours. A la Kincaid International School, les salles de classe sont avenantes, des enfants galopent en riant dans les couloirs à la récréation.
«Ce n’est pas en fonction de ses mérites que l’on accepte un élève. Nous ne croyons pas à cette notion qui est encore un facteur de discrimination, explique Steve Kongnukool en désignant un enfant de réfugié. Tous les enfants méritent d’aller à l’école et d’être instruits. Plus un enfant est en situation difficile et plus il a besoin d’un encadrement sécurisant», continue-t-il. Les enfants peuvent ainsi être scolarisés de quelques mois à plusieurs années en fonction de l’évolution de la situation de leurs parents.

Un matin de septembre comme les autres au centre de détention de Suan Phlu, un jeune adolescent, réfugié pakistanais, se retrouve «dehors», un grand sourire aux lèvres. Il fait partie d’un nouveau programme de familles d’accueil. Lui, ainsi que ses frères et sœurs, sont désormais « adoptés ». Une fois par semaine, ils reviennent voir leurs parents détenus à l’IDC. A leurs côtés, Kimberley Quinley, co-fondatrice de l’association Ahead, partenaire de la Childline (Thailand) Foundation qui, partout dans le monde, défend les droits des enfants – ici en Thaïlande avec le soutien du gouvernement, en accord avec la convention des Nations Unies sur les Droits des Enfants (CRC) dont le pays est signataire.

Le projet « Born free », en partenariat avec Childline, Step Ahead et l’IDC, propose des formations pour les futu- res familles d’accueil qui se portent volontaires. Après plusieurs semaines et des séminaires de formation, elles reçoivent un certificat du centre de détention de Suan Phlu validant leur capacité à s’occuper d’enfants de de- mandeurs d’asile. Mais aucune asso- ciation ou organisation ne peut affirmer que ce qui commence aujourd’hui pourra être poursuivi demain, tant les lois changent et tant la peur et l’incertitude règnent dans le monde des réfugiés.

Pour rendre visite aux réfugiés : Bangkok Accueil bangkokaccueil.caritatif@gmail.com Pour accueilir un enfant réfugié : Step Ahead, quinleyfam@gmail.com

 Laurence Brune

Données socio-démographiques

Capitale : Bangkok

Population :69 millions d’habitants

Langue(s) officielle(s) : thaï

Religions : bouddhistes, musulmans, chrétiens, hindouistes, animistes (UNHCR, 2017)

Populations :  Thai Isan et Lao (13 milllions), Chinois (9,5 millions, 14%), Malais musulmans (1,5 millions), Khmer (1,4 millions), groupes indigènes dits « highland » (923’257), groupes indigènes dits « sea nomad » (10’000)( Minority Rights Group International, 2017)

Chef d’Etat : le roi Maha Vajiralongkorn (depuis 2016)

Premier ministre : Prayuth Chan-ocha

Statistiques « réfugiés » en Thaïlande (HCR 2016)

  • 106’447 réfugiés
  • 5’010 demandeurs d’asile

Bangkok compterait environ 8000 réfugiés « urbains », selon le site asylumaccess.org. Ils viennent du Pakistan, Palestine, de Syrie, du Sri Lanka, du Vietnam, de Somalie, et de Chine et fuient les conflits armés et la persécution.