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Documentation

Le Temps des réfugiés | « Checkpoint »: exposition créé par des artistes et des jeunes migrant·es

A Renens se tient jusqu’au 20 juin une exposition qui est le fruit d’un travail mêlant artistes confirmés et jeunes mineur.es non accompagné.es. Jasmine Caye est allée la visiter et en revient avec un article enthousiaste sur cette démarche originale et porteuse de sens: « L’exposition Checkpoint nous interroge sur l’existence des frontières réelles et imaginaires. Les lois administratives construisent des murs entre les citoyens mais l’art comme le théâtre et le cinéma conduisent à des moments de grâce, des élévations nobles au-delà des lois et des préjugés qui nous divisent. »

Le billet « Des artistes et des jeunes migrants ont créé “Checkpoint” une exposition sensationnelle » a été publié le 21 mars 2021 sur le blog de Jasmine Caye « Le Temps des réfugiés » hébergé par le site du quotidien Le Temps. L’exposition peut être visitée à la ferme des Tilleuls jusqu’au 20 juin 2021

Des artistes et des jeunes migrants ont créé “Checkpoint” une exposition sensationnelle

CHECKPOINT est une exposition fabuleuse créée pour et par une cinquantaine de jeunes migrants non accompagnés. Elle a lieu jusqu’au 20 juin 2021 dans la belle maison de maître rebaptisée la Ferme des Tilleuls à Renens.

C’est une suite poétique d’immenses gravures, de sérigraphies, de séquences photographiques, de vidéos. Elle présente les œuvres créées lors de quatre ateliers réalisés entre 2019 et 2020 sous la direction artistique de François Burland et d’autres artistes triés sur le volet, la comédienne et metteuse en scène Audrey Cavelius, le “bricoleur professionnel” Stanislas Delarue et l’Agence des Chemins Pédestres, un collectif d’artistes créé en 2020 pour l’exposition.

La rencontre avec les mineurs non accompagnés

Tout a commencé en 2013, lorsque l’artiste François Burland reçoit dans son atelier du Mont-Pèlerin, et pour la première fois, deux jeunes migrants non accompagnés qui logent dans un foyer à Lausanne. Ce sera le début d’une série de collaborations artistiques avec d’autres artistes et beaucoup de mineurs non-accompagnés et jeunes adultes isolés. Le temps passé à créer des œuvres ensemble, les repas partagés durant les ateliers, l’humour et les rapports de confiance favorisent leur bien-être et facilite leur intégration.

La jeune femme yéménite Wafa Qasem raconte:

Lorsque j’ai vu le travail de François pour la première fois, je n’ai rien compris, mais j’ai ressenti une familiarité avec tous ces récits d’autres migrant-e-s. On a toutes et tous le même type d’expérience. Grâce à cela, je me suis rapidement adaptée à eux, et j’ai été encouragée à collaborer, malgré mon français vacillant. Je me réjouis de progresser dans cette langue, de pouvoir comprendre les blagues échangées pendant les ateliers et je suis sûr que je serai un jour une excellente oratrice. Je peux dire aujourd’hui que je me suis retrouvée. Ma priorité est de terminer mes études universitaires en Suisse et de travailler dans le domaine des droits de l’homme.” (1)

Dans ces ateliers, les jeunes et les artistes s’apportent mutuellement. A leur rencontre, un nouveau monde s’ouvre. François Burland le dit souvent, ces jeunes l’ont transformé.

“J’ai des rapport très forts avec beaucoup de ces jeunes, des rapports très parentifiés. Tous ces jeunes ont bouleversé ma vie. Avant ces rencontres, moi j’étais un artiste qui pensait qu’à sa gueule.

L’ Association NELA

Au fil des stages, François Burland se rend compte de leur isolement.  En 2017, il  fonde l’ Association NELA qui les accueille dans l’atelier. Pour eux et avec eux, des travaux artistiques collectifs prennent forme avec la collaboration d’autres artistes confirmés. L’association aide les jeunes à faire la difficile transition à la majorité tout en les accompagnant dans leurs recherches de formation et dans d’autres démarches administratives. Actuellement elle suit une centaine de jeunes.

Presque tous ces jeunes sont des marginaux par rapport à leur communauté. C’est souvent des jeunes qui se posent des questions, qui mettent en doute leurs propres valeurs, par rapport à leur religion, au monde dont ils proviennent. Souvent ils et elles sont embêtés dans leurs foyers et se retrouvent très isolés. Par exemple, la jeune fille érythréenne que je suis en train d’adopter, quand je l’ai rencontrée pour la première fois, cela faisait six mois qu’elle vivait enfermée chez elle dans son studio. Elle était hors des radars parce qu’elle venait de passer à la majorité. Son ancien assistant social n’a pas fait le lien et elle n’avait aucun contact avec le nouveau. Entre-temps elle a eu des ennuis de santé et une opération. Mais elle n’avait pas compris que sa situation médicale n’était pas grave, elle pensait qu’elle avait un cancer et qu’elle était foutue. Et puis son ami l’a quittée et pour couronner le tout, elle a reçu une décision négative d’asile. Elle s’est retrouvée dans une situation affreuse, elle n’avait plus envie de vivre. On a fait un bout de chemin ensemble, un vrai travail de reconstruction. Je l’ai reconstruite et elle m’a reconstruite aussi. Ça va dans les deux sens. Pour elle et une autre jeune fille que je connais aussi depuis longtemps, j’ai commencé une procédure d’adoption il y a un an. On verra ce que ça donne mais même si l’adoption ne se fait pas, nous on s’est déjà adopté.”

Visite guidée

Ouvert, chaleureux, bavard, doué et passionné, François Burland nous a guidé dans notre visite. Devant chacune des œuvres, il a mille choses à dire.

On passe d’abord devant l’installation  “AUTRES” créée par les jeunes avec l’artiste Audrey Cavelius. Dans une pièce sombre, des dizaines de photographies défilent. Ce sont les jeunes projetés dans des versions toutes autres. Les images défilent sur fond de musique et François Burland explique à la vitesse du défilé, qui est qui et pourquoi ils ont choisi tel ou tel déguisement.

Puis on se trouve devant les trois immenses fresques appelées “CARTOGRAPHIE DES MERVEILLES”. Elles ressemblent à ce premier beau projet intitulé “GEOGRAPHIES PERDUES” créé en 2020 au CAIRN à Meyrin avec cinq jeunes migrants mineurs non-accompagnés (MNA). Les cartographies sont sensationnelles. Sur un fond blanc, elles ressemblent à d’immense découpages qui racontent en rouge les merveilles de 56 jeunes.

Autour des images, quelques belles écritures racontent les chemins parcourus à travers les déserts, les montagnes, les mers, les souvenirs de parfums, les souvenirs d’enfance et aussi les dangers sur le chemin de l’exil. Et le résultat n’est pas sombre, il est gai, esthétique et frais. On peut les admirer des heures, revenir et découvrir à chaque fois un nouveau détail, un message original.

Au départ, ce projet de cartographie des merveilles ne leur disait rien du tout. Alors, je leur ai proposé de réfléchir à leurs merveilles à eux. Chacun a choisi parmi 1500 images que j’avais présélectionnées, les jeunes les ont découpées, assemblées et collées. Ce qui est sympa c’est qu’avec le découpage d’image on ne peut pas savoir l’âge des gens, ça gomme toutes les différences.

Et puis on entre dans une autre petite pièce sombre où se trouve le merveilleux théâtre d’ombre réalisé dans le cadre de l’atelier “TOURMENTE” de Stanislas Delarue qui a réuni François Burland et les jeunes. Ce théâtre fait de mobiles qui tournent est digne d’un rêve, avec ses formes projetées qui représentent des traumatismes et des espoirs.

Un moment de grâce

L’exposition Checkpoint nous interroge sur l’existence des frontières réelles et imaginaires. Les lois administratives construisent des murs entre les citoyens mais l’art comme le théâtre et le cinéma conduisent à des moments de grâce, des élévations nobles au-delà des lois et des préjugés qui nous divisent.

Remerciements:

  • Merci à François Burland pour son temps et ses explications.
  • Merci et bravo aux jeunes artistes: Awat Salih, Deeqa Salayman Muhamed, Gabi Fati, Yohana Gebrat, Haben Issak, Izis Victoria Santos de Souza, Magaly Nzola, Tigist Girmachew, Tsega Gebru, Nazifa Akhtari, Sajida Akhtari, Alganesh Rezene, Hamid Shirali, Dibora Lucas, Seare Rufael, Eliseu Ukivana, Mamadou Sadjo Bah, Salma Nicoulaz, Sabrin Ali, Samira Sido, Tizalu Mingst, Felipe Cataño, Neslyan Yildirim, Sébastien Gonin, Valdo Dabo Sanchez, Diana Maatouk, Mamadou Harouna Sow, Cléo Dorido, Lucas Brito Garcia, Oona Kaeser, Shuhib Ahamad Hussein, Valérian Baer, Wafa Qasem, Elnaz Noor, Alessandra, Cambai Ouebe, Mamadu Dialo, Javad Neishabourian, Arash Ashrafzadhniek, Mohamad Shakib Mouhammad, Abiel Fanus, Umaro Kuruma, Medahne Weldat, Aliga Kijara, Alejandra Scupham Cassels, Kisanet Tesfamariam, Mostafa Heydari, Hafiz Arabzadeh, Wali Kakar, Wazir Ali, Ali Turgay, Hamidolah Golbeg, Ali Ahmad Mohammadi, Damon Nurani, Dibora Lucas.
  • Merci à Chantal Bellon (Directrice de La Ferme des Tilleuls) pour la visite des lieux et de la belle résidence d’artiste.

Voir et lire:

(1) Le témoignage de Wafa Qasem figure dans le catalogue de l’exposition.